25 octobre 2019 - Prédication de Mgr Camiade / Retour en images

Cathédrale de Cahors

Veillée œcuménique de prières / Cathédrale de Cahors

Vendredi 25 octobre 2019 à 18h30
Cathédrale de Cahors

Le diocèse, le groupe œcuménique et la paroisse de Cahors ont organisé une veillée œcuménique dans le cadre du 900e anniversaire de la cathédrale pour marquer les efforts en faveur de l’unité des chrétiens réalisés depuis nos blessures anciennes.
L’œcuménisme est une dynamique propre aux chrétiens qui partagent, pour l’essentiel, la même foi et peuvent prier avec les mêmes mots.
Il se veut aussi appel à tous les hommes de bonne volonté pour favoriser l’unité du genre humain dans la paix et la justice.
Cette veillée a proposé des prières en faveur de l’unité, élaborées par chaque confessions représentées.
Ces prières ont été entrecoupées de chants animés par la chorale œcuménique de Cahors.
La prédication a été assurée par Mgr Camiade.
Les confessions présentes ou représentées étaient l’Eglise protestante unie de France (EPUF), les églises protestantes évangéliques de France (CNEF), les églises orthodoxes russes et de Roumanie, la Communion anglicane et l’Eglise presbytérienne d’Ecosse.

 Prédication de Mgr Laurent Camiade :

Chers amis, chers frères en Christ et vous aussi chers amis qui peut-être n’avez pas foi au Christ mais êtes venus ici ce soir parce que la démarche œcuménique vous touche ou vous interpelle.

Les textes et prières que nous venons de proclamer disent tout un programme pacifique, constructif, confiant dans la puissance de l’amour qui peut transformer nos manières de vivre pour les rendre plus conformes au projet de Dieu sur l’homme.

J’ai bien conscience que cette confiance dans la puissance transformante de l’amour n’est pas partagée par tout le monde. Le regard sévère porté souvent sur l’histoire des religions en fait ressortir tout le paradoxe : ceux qui ont toujours professé le désir de la paix et de l’unité n’ont pas toujours travaillé dans ce sens ! Et, comme le suggère la prière du père Couturier, nous n’avons pas toujours la conscience assez douloureuse de la gravité de nos désunions.

En célébrant les 900 ans de la cathédrale Saint-Etienne de Cahors, nous célébrons 900 ans de proclamation globalement fidèle de la parole du Seigneur en ce lieu, dans cet édifice qui a été bâti pour cela mais nous ne pouvons pas ne pas évoquer également les périodes sombres, qui vont de la simple dispute de sacristie au pillage ou pire, peut-être, à l’arrogance d’une auto-affirmation de la communauté chrétienne qui oublie parfois qu’elle est faite pour servir Dieu et non pour se servir de Lui.

« Il vous faut revêtir la tenue des élus de Dieu » (Col 3,12) dit saint Paul. Cette tenue n’est pas un vêtement de honte, mais ce n’est pas non plus un vêtement de prétention ni d’auto-affirmation de soi ostentatoire. Cette tenue, dit l’Apôtre Paul est « entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience ». En vérité, c’est une curieuse tenue que celle des élus de Dieu vue par Paul : ce n’est pas une tenue extérieure, ostentatoire, mais une tenue de nos entrailles, de nos tripes pourrions-nous dire. Il faut s’habiller les tripes. Nous dirions plus sobrement et plus poétiquement, « s’habiller le cœur ». Le renard que rencontre le petit prince de Saint-Exupéry réclame pour cela de la régularité. Il explique au jeune garçon que pour l’apprivoiser, il faut venir plusieurs jours de suite à la même heure afin que, dans l’attente de ce rendez-vous, il puisse « s’habiller le cœur ».

Chers amis, je ne sais pas si vous avez pris le temps de vous habiller le cœur avant de venir à cette veillée de prière. Moi, je l’ai fait. Et si cela a été possible pour moi, comme pour le renard du petit prince, c’est parce que depuis que je suis à Cahors, chaque année, au mois de janvier, nous vivons une veillée un peu semblable. C’est ainsi que nos liens d’amitiés se concrétisent et grandissent. C’est ainsi que nous nous apprivoisons. Cela prend du temps de s’apprivoiser. C’est pourquoi un événement comme celui des 900 ans de la cathédrale, s’il a marqué beaucoup de temps forts religieux ou civils, ne pourra pas rester sans lendemain, sous peine de n’avoir pas été jusqu’au cœur de ce que nous désirons tous : une vie de paix et de joie, sans haine, sans violences. Néanmoins le temps fort de ce soir est hautement significatif car il témoigne justement du chemin déjà parcouru par de nombreux chrétiens pour retisser la tunique déchirée de l’Église, patiemment, humblement, avec des fils de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience.

Il y a 900 ans, le schisme entre les Eglises d’Orient et d’Occident (1054) était déjà consommé. Pourtant notre cathédrale avec ses deux puissantes coupoles ovoïdes sur pendentifs, de style byzantin montre qu’on n’a pas encore oublié, au moins sur le plan architectural, qu’il existe deux poumons du christianisme comme l’avait rappelé Jean-Paul II : « On ne peut pas respirer en chrétien, je dirais même plus en catholique, avec un seul poumon ; il faut avoir deux poumons, c’est-à-dire l’Oriental et l’Occidental » (31 Mai 1980, à Paris, lors d’une rencontre avec des représentants des différentes confessions chrétiennes). Cette petite phrase, semble-t-il improvisée pour répondre aux diverses interventions qu’il avait écoutées et en évoquant sa rencontre avec le patriarcat œcuménique de Constantinople deux ans plus tôt, a très souvent été citée depuis. L’image des deux poumons est évidemment parlante et aussi stimulante, encourageante, même si elle ne rend pas compte de toute la complexité du chemin œcuménique.

Les chemins de l’œcuménisme sont longs et compliqués. Mais je suis très heureux que la Sainte-Coiffe, avec laquelle j’imagine que nos frères protestants ne sont pas vraiment à l’aise, ait par ailleurs attiré ici de nombreux orthodoxes dont les chants ont fait résonner ces coupoles en signe de notre désir d’unité. Aux yeux de certains orthodoxes, ce serait saint Louis qui aurait donné la Sainte-Coiffe à Cahors au XIII° siècle, ce qui est une troisième hypothèse après celle de Charlemagne très contestée et celle de l’évêque Géraud de Cardaillac qui l’aurait ramené des croisades au XII° siècle.

Je tiens à dire que nous sommes redevables à nos frères protestants d’avoir dû réajuster la manière de vénérer un objet comme la Sainte-Coiffe, le mot vénérer signifiant simplement respecter. Le Concile de Trente, au XVI° siècle, pour répondre aux critiques de la réforme qui voyaient à juste titre que certains fidèles attachaient plus d’importance au culte des reliques qu’à celui du Christ, a dû préciser un vocabulaire qui nous éclaire encore aujourd’hui, distinguant fermement le culte de dulie qui consiste à reconnaître avec respect le lien entre des personnes ou des objets avec la grâce du Christ et le culte de lâtrie qui est réservé à Dieu. Mais, bien entendu, tout cela ne s’est pas réalisé sans incompréhensions ni tensions. L’histoire de la noyade de l’autel au fond du Lot est contestée par certains historiens (en tout cas, nous n’avons pas retrouvé l’autel), mais le sac de la cathédrale et plus particulièrement encore le fait que la Sainte-Coiffe a été retrouvée en 1580 par la famille Dadine de Hautesserre est attesté par de nombreux documents certifiant l’achat et le financement par cette famille de reliquaires et monstrances diverses. Nous ne pouvons pas évoquer ces périodes de violence sans une grande tristesse, sachant tous bien comme les imbrications politiques autant que théologiques restent comme des témoignages de trop d’incapacités à porter la tenue des élus de Dieu, ce qui aurait dû consister à s’habiller le cœur « de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience ». De part et d’autre, cela n’a pas été le cas. Pas souvent, en tout cas.

Ce que je tenais spécialement à souligner ce soir, c’est que nos frères protestants nous ont aidé et nous aident encore en nous avertissant de ne pas céder à la tentation de l’idolâtrie qui est dénoncée dans la Bible comme le péché le plus grave. Sur ce point, il me semble que nous sommes tous d’accord, catholiques, orthodoxes et protestants, pour n’adorer que Dieu seul. Nos pratiques cultuelles diverses n’ont pas pour objet de nous diviser sur cette vérité fondamentale : Dieu seul peut être adoré et son œuvre de Salut est première vis-à-vis de toute mise en œuvre humaine de la foi.

J’aime bien souligner le fait que si mon prédécesseur au XVII° siècle, le bienheureux Alain de Solminihac organisait des controverses publiques avec les calvinistes, il n’a jamais accepté que l’on emploie la force ni que l’on impose aux protestants de payer la dîme pour l’Église, contrairement à certains curés qui s’opposaient violemment à lui. Ainsi, le curé de Caussade (qui faisait alors partie de notre diocèse) n’hésitait pas à menacer, armé d’un pistolet, les protestants qui refusaient de lui verser ce qu’on appelle aujourd’hui le denier de l’Église. Ce prêtre était le chef de file d’une trentaine de prêtres du Quercy (sur 900 environ) qui s’opposaient ouvertement à leur évêque et ont même tenté de le faire mourir quand ils le savaient affaibli par des ennuis de santé. Comme quoi, les conflits et divisions entre chrétiens ne sont pas limitées aux grands schismes. Il y a toujours et dans toutes les communautés des durs à cuire et des extrémistes.

Le chemin de l’unité est fondé sur le dialogue et sans doute d’abord sur la prière. Jésus lui-même a prié pour demander l’unité entre ceux qui croiront en lui. S’il a fait cette demande à son Père sur un ton qui me semble un ton grave, c’est probablement parce qu’il sait que bien des inclinations humaines vont dans le sens contraire de ce que la foi en un unique Sauveur devrait inspirer. Il sait combien l’adversaire qu’il a combattu et vaincu au désert est un maître de la division, le diabolos, dont le nom signifie littéralement « diviseur ». Mais puisque Jésus a vaincu le tentateur par sa mort sur la croix, par son amour plus fort que toute haine et toute prétention malsaine, nous gardons confiance dans la puissance de réconciliation qu’il continue de répandre dans les cœurs qui s’ouvrent, dans les cœurs qui s’habillent de miséricorde, bonté, humilité, douceur et patience.

Que notre prière ce soir renouvelle notre confiance dans la puissance transformante de l’amour du Christ. Et que cette rencontre fraternelle, simple, soit un humble jalon dans l’apprivoisement mutuel qui nous aide à reprendre conscience que nous avons été choisis par Dieu pour témoigner de sa miséricorde, de sa bonté, de son humilité, de sa douceur et de sa patience !

« Revêtir la tenue des élus de Dieu » (Col 3,12), c’est aussi nous rappeler, alors que notre monde actuel est en proie à toutes sortes de violences et de tensions, qu’une des tâches des Chrétiens est sans doute de redonner confiance dans la capacité humaine, avec l’aide de la grâce divine et selon le plan de Dieu, de faire progresser la fraternité et de vaincre les divisions, à la ressemblance de Jésus-Christ.

La semaine dernière, je participais au pèlerinage diocésain en Terre Sainte et nous avons vu que les franciscains qui assurent l’accueil dans beaucoup de lieux saints fêtent eux aussi cette année un anniversaire, les 800 ans de la visite de François d’Assise au sultan Al Malik Al Kamil, à Damiette, en 1219. Cent ans après la construction de notre cathédrale de Cahors. Cela nous permet de ne pas oublier que dans deux jours, le 27 octobre, nous fêterons les 33 ans de la première rencontre inter-religieuse d’Assise, proposée par le pape Jean-Paul II en 1986. La veillée de ce soir n’a pas eu l’ambition d’être une rencontre inter-religieuse, bien que nous gardons la mémoire émue de la venue d’une trentaine de nos amis musulmans dans cette cathédrale, le dimanche 31 juillet 2016. Ils étaient venus manifester leur solidarité avec les catholiques quelques jours après l’assassinat du père Jacques Hamel. Ce geste nous a beaucoup touchés. Il est aussi un signe d’espoir que l’on aurait tort d’oublier ou de minimiser tandis que l’on communique tant sur les signes de désespoir dès qu’ils se produisent.

Avec les musulmans comme avec les autres religions non chrétiennes, on ne parle pas, au sens précis de ce mot, d’œcuménisme. Le dialogue entre confessions religieuses différentes est une chose différente. L’œcuménisme, c’est l’accueil d’une grâce en vue de l’unité dans la foi que le Christ veut pour ceux qui croient en lui. Avec les musulmans ou les boudhistes, nous avons des points communs mais nous ne pouvons pas chercher ensemble l’unité autour du Christ. Cela dit, il me semble, s’habiller le cœur de miséricorde, bonté, humilité, douceur et patience est tout aussi envisageable dans le dialogue inter-religieux. Et prier Dieu qu’il nous garde tous dans un esprit de paix n’est pas inutile.

Qu’Il soit béni, à jamais !

De gauche à droite : Mgr Laurent Camiade, évêque du diocèse de Cahors, père Jean Vesel, église orthodoxe russe, patriarcat de Moscou, révérende June Hutchinson, communauté anglicane, pasteur Luc Serrano, église protestante unie de France (Sud-est du Lot et Rodez), père Jean Labro, paroisse Saint-Etienne, délégué au groupe oecuménique Cahors Sud du Lot, révérend John King, communauté anglicane, père Raphaël Bui, délégué à l’oecuménisme (église catholique Aveyron), pasteur Frédéric Nicolas de l’Assemblée de Dieu (Cahors), père Luc Denjean, curé de la paroisse Saint-Etienne, pasteure Joanne Evans-Boiten, église protestante d’Ecosse, pasteur Bonheur Agudzé, église protestante unie de France, (Sud du Lot et Nord du Tarn-et-Garonne), père Guy Lourmande, délégué à l’oecuménisme (église catholique Tarn-et-Garonne).

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