Retour sur le 123ème pèlerinage à St Benoît-Joseph Labre 2018

Jeudi 12 au lundi 16 avril 2018
St Hilaire - Lalbenque

Elargis l’espace de ta tente

Depuis sa fondation par l’Abbé Bos, le 25 décembre 1895, les pèlerins de Saint-Hilaire et des environs accourent au pèlerinage dédié au saint artésien Benoît-Joseph Labre. Comme chaque fois, beaucoup viennent de très loin. Cette année à l’église, au village de Saint-Hilaire, on prépare avec ferveur le 123ème pèlerinage annuel.

À l’approche de ce grand rassemblement, les Lotois sont gagnés par la ferveur religieuse, qui attire, relie et rapproche… Cette fois, l’évènement religieux a lieu du jeudi 12 avril au lundi 16 avril 2018.

Face au presbytère, la porte d’entrée de la petite église campagnarde invite au silence et au recueillement. Sur de longs bancs en bois clair, des pèlerins, des paroissiens attendent en silence l’arrivée des invités venu célébrer avec eux cet évènement.
Posées de part et d’autre de l’entrée, la statue de sainte Bernadette Soubirous et celle de l’évêque saint Hilaire semblent sourire à l’effervescence des préparatifs festifs qui s’annoncent. L’église sent bon la fraîcheur toute campagnarde, et l’odeur boisée de ses vieux murs ranime de pieux souvenirs d’enfance chez les visiteurs Labriens invités pour la circonstance. Ils viennent de la même fraternité, celle des frères et des sœurs de saint Benoît-Joseph Labre, située dans le département de l’Eure qui fait partie de la Haute-Normandie. L’un est le Père Samuel, prêtre du diocèse d’Evreux, il est le prédicateur annoncé pour ce pèlerinage, l’autre est le frère Alexis, venu lui de Boulogne-sur-Mer, dans le département du Pas-de-Calais, ville du diocèse d’Arras, diocèse dont le saint vagabond est originaire. Frère Alexis est venu donner témoignage de sa vocation et de son attachement à la spiritualité du saint pèlerin.

Au soir du premier jour, accueilli par le Père Jean-Martin Méda, curé de la paroisse, le Père Samuel ouvre officiellement ce pèlerinage par le témoignage de sa vocation Labrienne et de son itinéraire de vie. Au fil des minutes qui s’écoulent, il captive l’attention par l’évocation de son parcours, témoignant avec clarté, détaillant la chronologie des différents évènements qui vont le conduire lentement à son ordination sacerdotale.

Dans sa rencontre personnelle avec le Christ, le Père Samuel accompagne son aventure humaine et spirituelle aux multiples rebondissements par un récit détaillé de son origine ; ainsi nous apprendra-t-il, « je suis issu du milieu protestant », rien pourtant ne laissait présager à ce moment qu’il serait un jour prêtre catholique au sein d’une communauté. Il parlera avec émotion de son mariage, de la naissance de sa fille, de sa maladie, de la maladie de son épouse et du décès de celle-ci… De son désarroi et de sa rencontre providentielle avec le fondateur de la fraternité Labrienne, le frère Benoît-Joseph Weytens. Dynamisé par son témoignage, Samuel invite les pèlerins à le suivre dans une vie donnée aux autres, comme des témoins passionnés de Dieu et des hommes. Il le redira plus tard lors de son homélie qui nous entraînera très tard dans la nuit. Père Samuel est aumônier de prison à la maison d’arrêt d’Evreux : il est bon de nous rappeler que : « visiter les personnes en prison est une œuvre de miséricorde qui revêt, surtout aujourd’hui, une importance particulière du fait de la « justice à outrance » auxquelles nous sommes soumis. Ne nous montrons pas du doigt les uns les autres. Soyons tous au contraire des instruments de miséricorde, par des attitudes de partage et de respect. Je pense souvent aux prisonniers… J’y pense souvent et je les porte dans mon cœur. Je me demande souvent ce qui les a poussés à se mettre hors la loi et comment ils ont pu céder aux différentes formes de mal. Et pourtant, tout en pensant cela, je sens qu’ils ont tous besoin de proximité et de tendresse, car la miséricorde de Dieu accomplit des prodiges. Combien de fois ai-je vu des larmes couler sur les joues de prisonniers qui n’avaient peut-être jamais pleuré de leur vie, et cela uniquement parce qu’ils se sont sentis accueillis et aimés ».

Le lendemain, la matinée sera dédiée à la visite des malades. Frère Alexis et le Père Jean-Martin Méda, ainsi que le Père Samuel s’organisèrent afin de porter la communion à la longue liste des personnes âgées et malades de Saint-Hilaire et des villages environnants. Pour les Labriens, visiter les malades est un devoir, une œuvre de miséricorde. A l’image de Jésus, comme nous le rappelle l’évangéliste Matthieu (Mt 8, 14-17) : « Etant venu dans la maison de Pierre, Jésus vit sa belle-mère alitée, avec la fièvre. Il lui toucha la main, la fièvre la quitta, elle se leva et elle le servait. Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques ; il chassa les esprits d’un mot, et il guérit tous les malades, afin que s’accomplît l’oracle d’Isaïe le prophète : Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies ». La règle de saint Benoît rythme la vie des frères Labriens, elle dit au chapitre 36 : « On prendra soin des malades avant tout et par-dessus tout. On les servira comme s’ils étaient le Christ en personne, puisqu’il a dit : « J’ai été malade et vous m’avez visité ».

Cette belle rencontre au domicile des familles et de la maison de retraite de Montdoumerc était édifiante pour nous ; chacun de nos anciens partagea un peu de lui-même. Face à la maladie, l’écoute est le meilleur remède… Nous étions attendus, dira le frère Alexis : « Un peu partout où nous sommes passés, il faut dire que chez les anciens, le pèlerinage à saint Benoît Labre est synonyme de partage, c’est l’heure des confidences, d’autres fois encore, il reste un secret à révéler, une anecdote, une histoire familiale à confier, un drame, une souffrance cachés. Pourtant, aucun d’eux, ne parlera de son infirmité, s’excusant bien souvent de ne pouvoir venir à cause du grand âge. Sobrement avec délicatesse, on nous raconte les pèlerinages d’hier, la vie d’autrefois avec sa solidarité nécessaire et forcément unique pour chacun et chacune d’entre eux. Je les écoutais, attentif à la moindre expression de leur physionomie, certains avaient le visage buriné par des années de travail dans les champs, les sculptures de leurs mains indiquaient une dure vie de labeur. Ils sont les derniers d’une époque adaptée à la vie dans les campagnes, leurs histoires font d’eux des légendes pour ce temps d’aujourd’hui.
Le soir, nous récitions le chapelet, disait la grand-mère, comme pour nous rappeler le but de notre visite, elle était assise près de son mari, devant la séculaire ouverture, les pieds perchés sur la pierre patinée de la cheminée. L’odeur de la fumée flottait légèrement dans l’unique pièce, quand le Père Jean-Martin Méda invita l’assistance à réciter le Notre Père, leurs yeux se levèrent un instant devant le saint sacrement… ici nul besoin de mots pour comprendre ce qui se disait dans le secret de leurs cœurs. Gardons les yeux grands ouverts au présent qui a tout à apprendre de la sagesse et du passé de nos aïeux. »

A la fin de ce second jour de pèlerinage, ce sera au frère Alexis de développer son appartenance et sa vocation de frère donné au sein de la fraternité.

Avant la messe, le frère donne le même ton de vie humaine que le récit de son supérieur le Père Samuel, ainsi il nous révèlera : « Enfant, j’ai toujours pensé qu’une indéfinissable Présence était à mes côtés et qu’elle ne pouvait venir que de Dieu ». Pourtant malgré cette aparté au début de son récit, rien ne pouvait lui laisser entrevoir qu’il serait un jour le frère Labrien que nous accueillons à Saint-Hilaire. Parfois dans l’effervescence de la vie quotidienne, Dieu souhaite parler aux hommes par des chemins de vie difficile et chaotique…

Atteint de tuberculose osseuse à l’âge de 5 ans, enfermé durant cinq années dans un sanatorium, il en gardera aujourd’hui encore, une angoissante peur de l’obscurité. Il nous confiera sans retenue, non sans émotion, les affres de son adolescence, de sa tentative de suicide, de sa vie de délinquance et d’errance, de son séjour en prison, et dira-t-il : « après avoir été prisonnier en maison d’arrêt, je fus par la suite compagnon d’Emmaüs ». A ce moment de son parcours, le frère détaillant son récit nous apprendra qu’il avait perdu tout espoir, et qu’à cet instant de sa vie d’adolescent, l’alcoolisme d’un père violent avait détruit l’équilibre de sa vie.

Pourtant, nous apprendrons que sa rencontre avec deux prêtres allait bouleverser sa vie : récupéré, par l’affection du prêtre de sa paroisse, il fit même un essai chez les Bénédictins mais comme pour saint Benoît Labre, Dieu le voulait ailleurs. Par la suite, il décrivit sa rencontre avec le saint d’Amettes. Il dira : « Mon premier lien avec le saint vagabond a commencé, il y a 37 ans, avec lui, lors de ma première visite à Amettes ». Dans la maison natale du saint, il rencontra le mendiant de Dieu. « C’était indéfinissable, incompréhensible » poursuit-il. Ce jour-là, « j’ai appris que je pouvais donner un sens à la vie, à ma vie, il y avait désormais pour moi, un avant et un après, Dieu m’a sorti de là, Il a ouvert une porte. Alors je lui ai confié ma vie et elle ne devait plus jamais être la même ». Il s’inséra dans la société par le travail, sa vie professionnelle comme directeur technique et chef de service au sein d’une grande entreprise lui donna l’aisance matérielle. Elle s’acheva en 2012, date à laquelle il fut licencié à la vente de l’entreprise.

Dans le jardin de son expérience de vie, le frère Alexis nous réserva d’autres bonnes surprises ainsi apprendrons-nous que 25 années plus tard, les enseignements reçus des deux prêtres devaient resurgir, se concrétiser et éveiller sa foi en Dieu, celle qui n’avait jamais cessé de l’interpeller. Son amitié avec un prêtre canadien du diocèse d’Amos réveilla le feu intérieur qui l’habitait depuis cet instant où jadis à Amettes, il avait donné un sens à sa vie. Le 19 avril 2015, lors d’une cérémonie au sein de la fraternité, il fit ses premiers vœux de frère donné. Il disait oui au Seigneur. Désormais, Alexis est éducateur auprès de personnes handicapées dans un E.S.A.T à Boulogne-sur-Mer, heureux de donner et de proposer dans le monde du handicap, l’esprit du serviteur Labrien…

Par la suite le Père Jean-Martin Méda, lors de son homélie, reprenant à l’exemple des moines de Tibhirine, dont nous avions vu la projection du film « Des hommes et des Dieu » avant le témoignage d’Alexis, nous fit remarquer que les frères de la communauté formant cercle autour de l’autel avaient une différence. Certains portaient l’étole du prêtre et d’autres étaient de simples frères.

Mettant en parallèle les deux témoignages des frères Labriens, il mit l’accent sur le parcours différent de chacun, l’un prêtre, l’autre frère, une vie différente que tout semble opposer et pourtant ils se retrouvent dans la même communauté soudés autour d’une même identité, accrochés au même charisme de fidélité à l’appel de Dieu.

Nous sommes tous différents, nos parcours de vie, nos souffrances, nos joies, nos peines peuvent être divers et parfois insurmontables. Pourtant une chose est certaine, le cher Benoît-Joseph Labre les attendait là, pour une mission bien particulière qu’aucun d’eux n’aurait pu prévoir. Le bon Dieu fait bien les choses. Dans la rencontre avec le Christ, nous avons un ami fidèle qui nous accompagne en tout évènement, c’est le chemin de la liberté des hommes, et comme les autres, nous sommes fragiles et humains. Vivre à la suite du Christ est une aventure humaine et spirituelle. Cependant il nous aide à dépasser le « MOI » que nous sommes pour lentement devenir le « NOUS », qui témoigne de la parole de Dieu. Ce NOUS qui nous permet « d’élargir l’espace de notre tente ».

« Nos routes à nous ne sont pas comme celles de Benoît-Joseph Labre. Mais cependant, je porte témoignage qu’en notre vie serpente une route. Ce n’est pas nous qui la traçons, c’est Jésus qui l’a tracée pour nous, cette route que j’ai inaugurée, dans son pays natal, à la porte de sa maison, à l’ombre du clocher dont les sonneries ont marqué les évènements de ma vie de jeune croyant, cette route est une route de dépouillement et d’humilité, celle où Jésus vient à notre rencontre. Alors il nous sera donné de le saisir, ou plutôt d’être saisi par LUI. A partir d’un tel moment, il ne permettra pas que nous nous trompions de chemin ». Frère ALEXIS.

Les autres jours furent tout aussi merveilleux, le samedi fut ponctué par la rencontre « Bible » où le diacre Christian nous fit entrevoir son érudition théologique. Les discussions eurent pour thème les lectures du jour (Saint Jean 6, 16-21 et saint Luc 24, 35-48) suivies de l’Adoration où chacun confia au Seigneur les moments forts de ce pèlerinage : « Benoît-Joseph Labre n’est pas né saint, il l’est devenu ; il a grandi, comme tout un chacun, avec ses qualités et ses défauts, ses traits de caractère qu’il a dû dominer et maintenir dans la mesure, au prix d’une longue lutte, chaque jour il est, et sera comme absorbé par la prière, à laquelle il va désormais se livrer avec une fidélité sans faille ».

Le dimanche clôtura de ce beau moment de joie et de prières, il prit fin avec la messe et le repas partagé dans le jardin du presbytère. Un dernier partage, des recommandations touchantes, des promesses de retour adressées au villageois dont les yeux semblaient dire : « Restez avec nous, ici on vous aime… »

Le lendemain, 16 avril jour de la saint Benoît-Joseph Labre, les laudes suivies de la messe amorcèrent le départ de Saint-Hilaire des Labriens, la route du retour était longue et les « au revoir » difficiles.

(Le 26 mars 2018 marque le 270èmeanniversaire de la naissance de saint Benoît-Joseph Labre, célébré à Amettes. Sa naissance est fêtée le 26 mars tandis que sa mort l’est le 16 avril).

Soutenir par un don