Ordination presbytérale de Barthélemy Dinama Khonde et de François Servera

Dimanche 30 juin 2019, cathédrale de Cahors

Par l’imposition des mains et le don de l’Esprit Saint,
Pour le service de l’Eglise et l’annonce de l’Evangile,
Monseigneur Laurent CAMIADE, Evêque de Cahors,
a ordonné prêtres,
Barthélemy Dinama Khonde
et
François Servera
le dimanche 30 juin 2019 à 15h30, cathédrale de Cahors.


Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

La vocation des prêtres, donc celle de François et de Barthélémy que nous allons ordonner aujourd’hui, révèle à tous les baptisés leur propre vocation à la sainteté. Or, pour chacun d’entre nous, se savoir appelé à devenir meilleur, à devenir des saints, provoque une remise en cause personnelle. Il est tellement facile de critiquer les autres et tellement difficile de s’auto-critiquer ! Mais comme nous en avertit saint Paul dans la lettre aux Galates : « si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde, vous allez vous détruire les uns les autres ». Juste avant cela, l’Apôtre avait dit : « que votre liberté [celle que donne la foi au Christ] ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme, au contraire, mettez-vous par amour au service les uns des autres » (Gal 5,13).

Le prêtre n’a pu être prêtre que du fait d’un appel personnel à se mettre au service des autres. La liturgie d’ordination formalise de façon très nette cet appel « avec l’aide du Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu et notre sauveur, nous les choisissons pour l’ordre des prêtres » (Rituel des ordinations, n° 120). C’est alors l’être même du ministre ordonné qui devient un signe de l’appel du Christ pour inviter tout homme et toute femme à marcher à sa suite, à devenir saint ou sainte. L’Église aura toujours besoin de prêtres pour cela : pour se souvenir qu’elle n’est pas une association structurée de façon horizontale mais un Peuple appelé par Dieu,. L’Église se rassemble à la convocation d’un de ses frères qui a été lui-même choisi pour être le signal de l’appel personnel du Christ adressé à chacun. Notre pape insiste souvent sur l’urgence pour l’Église de ne pas être mondaine ni auto-centrée. Pour vaincre ces tentations, l’Église a besoin de tous les sacrements et spécialement du sacrement de l’ordre, notamment l’ordre des prêtres.

La vocation des prêtres est une vocation qui révèle à chacun des baptisés sa propre vocation à la sainteté. Or réciproquement, devenir prêtres et servir la sainteté des autres n’exclue pas Barthélémy et François de la vocation commune à la sainteté !

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous sont présentés trois hommes appelés à suivre Jésus. Ces trois types peuvent nous faire comprendre comment Jésus veut conduire spécialement à la sainteté les prêtres qu’il donne à son Église.

Le premier type se déclare prêt à suivre Jésus n’importe où. C’est beau, mais peut-être trop désincarné ! Jésus l’avertit de l’inconfort qui attend ceux qui le suivent : « Le Fils de l’homme n’a pas d’endroit ou reposer sa tête ». La sainteté du prêtre suppose un engagement total de soi, sans attendre de gratifications confortables. C’est bien dans cette logique du don de soi qu’il faut comprendre la pertinence du célibat que choisissent de vivre les prêtres. Choisir le célibat c’est aussi accepter d’assumer notre incomplétude en s’appuyant sur le Christ. Jésus, ici, souligne précisément la place du corps et de ses limites dans le chemin vers la sainteté. La sanctification du prêtre, comme pour tout le monde, passe par la sanctification de son corps. La manière dont il se dépense généreusement et aussi dont il se repose, le lieu où il habite, la façon dont il vit son corps et dont il a conscience des limites de ses propres forces et dont il ajuste ses relations, sont autant de réalités à ouvrir à l’Esprit Saint qui sanctifie. Cela ne va pas de soi car nous participons à une société de la performance qui cherche à zapper le corps, à se couper de son influence pour le réduire à la seule fonction de plaisir. Certains rêvent d’un cerveau connecté à de puissantes machines. Un cerveau qui n’expérimente plus les limites ni la vulnérabilité du corps. Des idéologies puissantes revendiquent le droit de chacun à remodeler son corps comme il l’entend, aussi bien les caractères sexuels que les autres limites du corps. N’être que femme ou que homme, sans avoir le choix, est présenté souvent comme une frustration insupportable. Ou bien, pour prendre un tout autre exemple, il est présenté comme catastrophique pour nous d’avoir chaud l’été ou d’avoir froid l’hiver. Heureusement, les préoccupations écologiques actuelles peuvent inciter à rechercher un rapport plus juste et apaisé aux signaux de notre corps et à ses sensations les plus normales. Le Christ ne s’est pas fait cerveau, il s’est fait chair. Jésus vit dans un corps qui a expérimenté les bons repas et la bonne odeur des parfums. Il a également connu la faim, la soif, la fatigue et même la douleur. La sainteté à laquelle il appelle ses ceux qui le suivent suppose alors un engagement de tout leur être, incarné, qui ne craint pas d’expérimenter même la fatigue corporelle. Chacun devra trouver son équilibre et c’est pourquoi Jésus avertit ce disciple généreux qui veut le suivre partout que c’est un peu au-dessus de ses forces ! L’équilibre de vie des prêtres participe à leur sanctification et à la fécondité de leur ministère. Si l’on se donne réellement et profondément dans la mission, il est vital également de connaître nos limites et de savoir se reposer. Je m’interroge souvent sur la dispersion exigée des prêtres quand ils doivent couvrir un vaste territoire et ne savent pas résister aux pressions de multiples attentes pas toujours justes. C’est à toute la communauté chrétienne d’accepter qu’un prêtre a ses limites. La tentation d’abus de pouvoir dont parle souvent le pape François est profondément liée à cette difficulté actuelle à accepter de ne pas être tout, de ne pas tout maîtriser, de ne pas tout couvrir. Le Fils de l’homme n’a pas de lieu où reposer sa tête et le suivre partout où il va n’est pas à la portée d’un seul homme.

Le deuxième type dont parle l’évangile de ce jour devrait plaire aux indécis : Jésus lui dit : « suis-moi » et il répond : « oui, mais ». Oui, mais je vais d’abord enterrer mon père. La riposte du Seigneur est un coup de fouet : laisse les morts enterrer les morts et toi, annonce le royaume de Dieu. Cela doit être entendu spécialement par les jeunes qui sont ici, les garçons et les filles : il y a une urgence du royaume de Dieu ! Si vous entendez au fond de vous et par la voix de personnes qui vous interpellent et vous aident à discerner, l’appel du Christ ; s’il vous dit « suis-moi », quel que soit l’appel, ne différez pas ! Il n’y aurait que de mauvaises excuses pour hésiter et retarder la réponse. Même la bonne excuse (accompagner son vieux père mourant aurait pu être la meilleure des excuses !) est mauvaise face à l’appel du Seigneur et à l’urgence du royaume de Dieu. On a le droit de ne pas savoir à quoi on est appelé, on a le droit de cheminer peu à peu. Toutes les formes de vie sont des chemins de sainteté. Mais, pour ceux que Jésus appelle à tout donner pour le suivre, survient un moment où tous les voyants sont lumineux, l’appel objectif de l’Église fait alors écho dans une certitude intérieure. C’est parfois un long combat pour en prendre conscience, mais vient toujours le moment où c’est évident, lumineux. Alors il ne faut pas attendre. Jésus-Christ ne déçoit pas ! S’il t’a choisi, c’est pour un chemin de sainteté joyeux qui donne sens à ton existence. Les objections du diable vont sûrement tenter de te décourager, de te démontrer, par exemple, que l’époque où nous vivons ne se prête pas à pareille vocation. Mais comme l’écrivait le père Cubayne, célèbre poète occitan de notre diocèse, « Sò que dotze an pogut, oc podèm ». « Ce que douze ont pu, nous le pouvons ». Ce poème décrit les hésitations de Jules Cubayne, en 1921, lorsqu’il était séminariste et connaissait des difficultés un peu analogues à celles d’aujourd’hui, car après la grande guerre, beaucoup de ses amis ont abandonné leur vocation et il se disait qu’il n’était pas plus fort qu’eux et pourrait un jour craquer à son tour. Mais dans ce poème, il dit pourquoi il a repris courage (je lis les vers en français) : « Ce que douze ont pu, nous le pouvons. Serions-nous / encore moins d’ouvriers que nous ne sommes / il y aura du beau travail, pourvu que nous ayons avec nous / ce Christ que les douze ont eu ! — Or, nous l’avons ! » (Homme de Dieu, poème sacerdotal, p. 78).

Il y a un troisième type dans l’évangile d’aujourd’hui, que je voudrais vous présenter pour conclure. C’est l’homme qui « a mis la main à la charrue et regarde en arrière ». Nous ne devons pas croire que cette tentation est seulement pour les autres. Tout le monde vit cela. Un chant scout classique dit « ne tourne pas la tête, un scout regarde en avant ». C’est un chant de marche. Ceux qui ont marché savent qu’il y a des moments critiques, des fatigues, des déceptions, des ampoules aux pieds (oui, toujours le corps !) ou la peur d’avoir pris la mauvaise route… Il y a des âges critiques dans l’existence et cela existe pour les plus solides d’entre nous comme pour les plus fragiles. Le funambule ne peut pas tenir en équilibre s’il regarde vers le bas ou s’il se retourne. Il doit regarder devant lui, vers le but de sa marche. Et il sait que le moment critique se situe vers le milieu de la corde, lorsque cela balance le plus. Là, on sait qu’on ne reviendra pas en arrière. Les pères du désert appelaient ce moment critique l’acédie, ou démon de midi. Ce démon-là profite de la chaleur du jour pour désorienter nos appétits et susciter la tristesse en face de ce qui devrait nous réjouir le plus. C’est précisément quand tout semble aller bien que la tentation de fuir devient la plus forte. La sainteté du prêtre consiste à persévérer en s’en remettant à Dieu qui est la vraie source de sa joie. Ne pas regarder en arrière, cela ne signifie pas fuir en avant sans s’inquiéter que la direction prise ait pu dévier. La perte de la joie sacerdotale est un symptôme à prendre très au sérieux. Et il existe une manière dynamique de regarder notre histoire non pas de façon nostalgique avec le regret de ce que l’on a laissé derrière soi mais avec le discernement nécessaire pour contempler ce que le Seigneur nous donne de vivre. Il est bon, alors, de relire attentivement nos journées pour retrouver l’âme de notre apostolat. Peser la densité de sa mission, de la parole annoncée et qu’il faut travailler davantage pour ne pas devenir routinier ni superficiel, peser la valeur spirituelle objective des sacrements qui nous apportent tant de joie, prendre conscience du bonheur de donner la vie de Dieu par le baptême, ou contempler les fruits de l’eucharistie pour les vivants comme pour les morts, éprouver la joie de dispenser la miséricorde de Dieu au confessionnal. Relire aussi nos relations avec les gens et le temps que nous prenons pour les rencontrer et les écouter, évaluer ce qui les aide à grandir, leur donne de se sanctifier dans la communauté chrétienne. Cultiver la fidélité dans les humbles devoirs quotidiens. Participer aux différents conseils qui font progresser la mission commune. Tous ces petits efforts sont la sainteté quotidienne du prêtre qui ne regarde pas en arrière pour regretter ses renoncements mais demeure habité par la joie de tout ce que le Seigneur lui donne pour remplir sa vie. Le prêtre est envoyé pour enseigner, sanctifier et gouverner. Cette triple fonction est le lieu principal où s’incarne sa sanctification personnelle. En prêchant la bonne nouvelle à ses frères de façon à répondre à leurs besoins spirituels, il s’édifie lui-même. En célébrant les sacrements, il trouve sa joie et la fécondité de sa vie donnée. En accompagnant des personnes ou des équipes, comme en conduisant des groupes ou des paroisses, le prêtre apprend à se laisser lui-même conduire de plus en plus par l’Esprit Saint qui est le maître de la Mission. Ainsi, par son ministère, le prêtre apprend à accomplir sa propre vocation à la sainteté. Il se sanctifie au milieu du Peuple de Dieu et en le servant. C’est ainsi qu’il progresse en maîtrise de soi et en vertu car il doit sans cesse se décentrer de lui-même pour rencontrer le Christ dans les personnes vers qui il est envoyé. Sa vie de prière est indispensable pour vivre ce décentrement dans le Christ mais cela s’articule nécessairement avec l’exercice du ministère. Alors la joie du prêtre encourage les autres à rester fidèles au Christ, chacun selon sa vocation.

La tâche première d’un prêtre est de conduire les hommes à Dieu. Barthélémy et François, le Seigneur vous y appelle, allez-y sans hésiter ! Mettez-y tout votre cœur et tout votre corps. Savourez la joie de l’Évangile ! Il nous suffit d’avoir avec nous le Christ que les douze apôtres ont eu… et nous l’avons !

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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Photographies : David Griaux et Michel Lhommelet

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