Lettre pastorale de Mgr Camiade : "L’espérance d’une fraternité en Dieu notre Père"

15 juillet 2025 / N° 10

Le véritable nom de notre espérance est Jésus. Au cœur même de la célébration de l’Eucharistie, après la prière du Notre Père, nous affirmons notre attente que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur. Nous prions le Seigneur de nous délivrer de tout mal et de donner la paix à notre temps. Et toute l’Église est engagée à coopérer à cette œuvre du Salut par le Christ. Le mystère de l’Église, selon la définition du Concile Vatican II, a pour visée ultime « l’union intime avec Dieu et l’unité de tout le genre humain » et elle est le sacrement de ces réalités élevées, c’est-à-dire qu’elle est le signe et le moyen de leur réalisation. Libération du mal, paix, union avec Dieu, unité de la multitude des humains. Voilà ce que nous espérons, ce que nous sommes appelés à vivre, ce qui motive notre vie et notre mission de baptisés. Dans le même sens, lors de la messe inaugurale de son pontificat, le pape Léon XIV n’a pas hésité à formuler ainsi son espérance pour l’Église : « je voudrais que ce soit notre premier grand désir : une Église unie, signe d’unité et de communion, qui devienne ferment pour un monde réconcilié. ».

Lettre pastorale n°10 du 15 juillet 2025

Plus j’écoute mes conseils ces derniers mois (conseil presbytéral, conseil épiscopal, conseil pastoral, conseil des doyens…), plus je crois important, au cœur de cette année jubilaire 2025, de rappeler spécialement une priorité à mettre en œuvre dans notre Église diocésaine de Cahors, à savoir la stimulation, l’accompagnement, la consolidation et le développement de fraternités locales missionnaires et, plus généralement, de la vie fraternelle dans toutes nos relations. Il s’agit de répondre concrètement aux appels du Seigneur, de nourrir ainsi notre espérance, mais aussi de témoigner en vérité du Christ, Fils unique du Père et notre frère, au milieu d’un monde qui ne le connaît plus beaucoup mais où Il ne cesse d’agir.

Une espérance fondée sur l’amour et nourrie de l’Eucharistie.

Dans la bulle d’indiction du jubilé 2025, le regretté pape François enseignait que l’espérance, « se fonde sur l’amour qui jaillit du cœur de Jésus transpercé sur la croix ». Cet amour infini du Christ comble les désirs les plus élevés de nos âmes. Et plus on désire des biens élevés, plus on devient capable de les désirer vraiment. Nous avons été créés pour cet amour. Et c’est cet amour qui nous sauve du péché. Cet amour, qui nous est communiqué en tout premier lieu dans les sacrements et spécialement l’Eucharistie, nous délivre des rétrécissements du cœur qui conduisent aux péchés. La participation à l’Eucharistie élargit notre capacité d’aimer et fortifie nos liens fraternels. De la même manière que l’on ne peut pas prétendre aimer quelqu’un qu’on ne voit jamais, c’est en fréquentant de plus en plus Celui qui nous aime de toute éternité, spécialement à la messe, que nous pouvons commencer à espérer, c’est-à-dire à désirer partager avec Lui et avec nos frères humains une éternité de vie et de bonheur.

Le renouvellement de la consécration du diocèse de Cahors au Sacré Cœur de Jésus, le 24 mai dernier, trouvait ainsi naturellement sa place au cœur du jubilé des pèlerins d’espérance. Ce fut un grand moment de communion diocésaine. Ce renouveau des cœurs qui se laissent habiter et élargir par l’amour du cœur de Jésus est un appel à vivre concrètement l’amour fraternel, d’abord avec nos frères et sœurs dans la foi, ceux qui nous aident à progresser dans la connaissance et l’amour du Seigneur, mais plus largement avec tous nos frères et sœurs en humanité, ceux auprès de qui nous vivons comme ceux qui sont loin, ceux qui partagent nos goûts, nos préoccupations et nos idées comme aussi ceux qui nous étonnent ou nous déplaisent, et même ceux vers qui nous ne pourrons pas aller sans une étape de pardon mutuel.

Dans cette dixième lettre pastorale, au bout des dix premières années de mon épiscopat (j’ai été nommé évêque de Cahors par le pape François le 15 juillet 2015), je voudrais dire que mon espérance en Jésus-Christ grandit quand je vois ces mouvements de fraternité, aussi bien dans les communautés chrétiennes qu’au dehors, dans les périphéries existentielles, dans les efforts de paix, de compassion, de soutien envers les malades, les pauvres, les petits, tous ceux en qui nous sommes sûrs de trouver un visage de Jésus : « ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

Nous avons de grands motifs d’action de grâce ! Tant d’évènements heureux vécus ensemble, l’élan et le goût de Dieu d’un grand nombre de personnes, des prêtres, des diacres et des laïcs investis dans la mission, des nouveaux venus de plus en plus nombreux, des demandes d’adolescents et d’adultes pour les sacrements de l’initiation chrétienne (baptême, confirmation, eucharistie) et aussi le sentiment très encourageant que, malgré mes faiblesses, le peuple chrétien aime et soutient dans ma mission le serviteur indigne que je suis.

Nous transformer dans la fraternité.

Je ne suis pas insensible aux tensions qui malheureusement opposent certains chrétiens les uns aux autres, sans parler des nombreux conflits de ce monde, souvent exacerbés avec ce mot de « réarmement » qui semble être la dernière mode sémantique, mais correspond aussi à une effrayante actualité militaire.

Je ne suis pas non plus aveugle sur les statistiques globales de l’Église qui continuent de baisser en termes de nombre total de baptisés et d’ordinations ou de consécrations religieuses. Un modèle d’Église est probablement toujours en train de s’effacer, mais de nombreux germes d’un renouveau apparaissent et ils me semblent profondément liés à l’expérience de la vie fraternelle en Église, ce dont le monde actuel, violent et clivé, a le plus besoin et ce dont l’Église a toujours eu à vivre et à témoigner.

Je souhaite cette année qu’une commission composée de quelques prêtres et quelques laïcs aide les conseils de notre diocèse à réfléchir en profondeur aux changements à opérer dans notre organisation. Beaucoup de fidèles, les prêtres souvent en tout premier lieu, sont en souffrance car ils sont poussés à se crisper en mettant une énergie folle à maintenir un système à bout de souffle. Chacun croit devoir tenir bon sur tel ou tel domaine et tend à reprocher aux autres de n’avoir pas les mêmes points d’appui, ce qui durcit des clivages. De nouvelles priorités et une organisation renouvelée sont à imaginer ensemble en prenant un peu de hauteur, en ouvrant davantage nos cœurs à l’Esprit Saint, avec une grande disponibilité de fond. Mais ce qui demeurera et qui doit présider aux changements à venir, c’est la fraternité chrétienne qui est l’essence même de l’Église : les baptisés sont devenus enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ. Nourris de l’Eucharistie, ils doivent être toujours prêts à rendre compte de leur espérance d’être intimement unis avec Dieu et de l’unité du genre humain, dont la vocation est de partager la gloire éternelle du Père.

La joie palpable dans de petits événements, de petits lieux, de petites réalités de l’Église dans nos paroisses et nos villages est quelque chose qui ne trompe pas. L’Esprit Saint reste à l’œuvre en ce temps que nous vivons et il suscite, me semble-t-il, davantage d’attention aux autres. Du fait, sans doute, des ombres du tableau, ce que Dieu fait de lumineux dans le cœur de nos frères ressort plus nettement et, voyant cela, les autres fidèles font davantage et plus spontanément l’expérience de l’émerveillement. Tout cela représente un grand signe d’espérance.

Depuis dix ans que je suis votre évêque, dans mes lettres pastorales, je n’ai cessé d’insister sur l’urgence de cultiver des fraternités missionnaires locales, dont la définition se trouve dans notre charte des paroisses (9/12/2017). Or, l’augmentation récente du nombre de convertis vient confirmer la nécessité de multiplier ces laboratoires de la communion ecclésiale.

La leçon des nouveaux convertis.

Il y a quelques jours, le conseil pastoral diocésain a pris le temps d’écouter des témoignages et de regarder cette réalité dont beaucoup de médias ont parlé, à savoir l’arrivée de nouveaux convertis dans nos assemblées ecclésiales. En tout premier lieu et de façon incontournable, ressort la difficulté pour les nouveaux venus de trouver des fraternités locales qui les accueillent. Certains disparaissent très vite de nos écrans, faute d’avoir trouvé une insertion dans un milieu ecclésial où ils puissent expérimenter durablement la fraternité. Or, sans cela, l’élan initial se dilue très vite et la joie d’avoir découvert l’amour du Christ laisse trop vite place à la tièdeur.

Pourtant, beaucoup de catéchumènes, quand ils m’écrivent pour demander le baptême, commencent par exprimer leur gratitude pour l’accueil qu’ils ont reçu dans leur paroisse. L’accompagnement proposé dans le cadre du catéchuménat est souvent de grande qualité sur le plan fraternel. Plusieurs disent même que c’est ce qui leur a fait découvrir réellement ce que signifie le mot « fraternité » selon l’Évangile, un partage en pleine liberté, un respect des différences, une véritable écoute mutuelle et, quand il l’a fallu, de petits recadrages délicats à la lumière de la parole de Dieu qui aident à ne pas se perdre et à sentir vraiment la présence de Jésus-Christ, vivant au sein du groupe.

Cela confirme bien la place centrale de la vie fraternelle dans le témoignage à rendre au Seigneur Jésus-Christ. Dans une société polarisée où les murs semblent plus faciles à construire que les ponts, dans un monde où les bombes tombent plus vite que les aides alimentaires ou médicales, accueillir des personnes avec des itinéraires très variés et donner sa place à chacun est de l’ordre du miracle, en tout cas de l’émerveillement.

Arrêtons-nous donc brièvement sur trois ingrédients de la fraternité chrétienne :

1. La liberté dans l’Esprit Saint.

Les jeunes générations actuelles sont sensibles à la liberté que représente la foi chrétienne. Surtout dans une société sécularisée, devenir croyant est un signe de liberté. De plus, Dieu est souverainement libre. Il n’a pas créé le monde parce qu’il y aurait été obligé par qui ni quoi que ce soit. Par bonté et par amour, la Trinité a choisi de manifester sa gloire infinie en créant un monde immense et magnifique. Et Dieu a soumis ce monde à la liberté de ses créatures humaines, auxquelles Il a donné de participer à sa propre liberté. Cette liberté nous a été donnée pour aimer, pour aimer avec respect, en liberté et en cherchant à faire grandir la liberté de ceux que nous aimons. C’est la marque d’une fraternité chrétienne que d’être et de rester un espace de liberté. Il y a abus dès que la liberté d’autrui n’est plus respectée. L’accueil de ceux qui ont surmonté le poids des conditionnements modernes et les tentations diaboliques est aussi une occasion de nous émerveiller de cette liberté manifestée par nos frères, comme d’un signe de la force de l’Esprit de Dieu en eux. « Le Seigneur c’est l’Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » (2 Co 3,17)

2. Une diversité fraternelle rayonnante.

Les origines sociales, les appartenances politiques, les couleurs de peau, les différences entre hommes et femmes, ne comptent pas entre les baptisés (cf. Gal 3,28). Dans une société clivée, il est évident que c’est un témoignage percutant, qui va à l’encontre de tous les préjugés. Les nouveaux convertis ont parcouru souvent de longs chemins avant d’arriver à la foi au Christ et ces itinéraires sont toujours très singuliers. Chacun arrive avec ce qu’il est, ils en sont bien conscients. Justement, que cette variété extrême converge dans la découverte de l’amour du Christ, redonne l’espérance dans un monde où les conflits se multiplient et les chemins de dialogue semblent souvent bouchés. Dans la communauté, le rôle des pasteurs que sont les prêtres et les évêques est depuis toujours lié au besoin radical de se replacer sans cesse sous le regard de Jésus- Christ pour sortir de l’entre-soi. Le petit nombre de prêtres aujourd’hui est un manque, aussi à cet égard. Mais il demeure que le Christ nous rassemble, nous fait persévérer, même quand, humainement, la communion semblerait impossible. La fraternité chrétienne se caractérise par ce fait qu’elle tient son origine de notre Père commun qui est Dieu le Père.

3. La Parole de Dieu pour se recentrer.

Ce troisième aspect de l’expérience des nouveaux convertis est d’une grande importance, même si la conscience de ce que la Parole de Dieu a un contenu objectif est aujourd’hui contre-culturelle. Beaucoup pensent que l’émotion suffit, voire même caractériserait l’essentiel de la foi chrétienne, articulée sur l’amour —amour compris essentiellement comme un sentiment positif et agréable. Or, rien n’est moins vrai. L’amour du Christ conduit à la croix. Il ne peut être réduit à un programme de développement personnel ni, encore moins à un bon sentiment, toujours plaisant. La Parole de Dieu nous déplace, parfois de façon douce et agréable, comme un soulagement face à de faux problèmes ou à des peurs dont elle nous libère, d’autres fois, aussi en nous bousculant, en provoquant des renoncements qui peuvent connaître des phases douloureuses. Les jeunes générations cherchent des repères. Certains jeunes se plaignent, du fait notamment de l’invasion du numérique, d’une défaillance de la pensée, sans cesse entrecoupée par des notifications, stimulations mécaniques froides et indifférentes. La Parole de Dieu, au contraire, est vivante et énergique. Ce qui doit caractériser plus que tout nos fraternités locales, nos groupes, nos communautés et nos équipes de baptisés, c’est l’attachement à la parole de Dieu, lue, méditée, partagée, reçue ensemble dans le dialogue et la mise en perspective avec ce que nous vivons, puis célébrée et nourrie de l’Eucharistie. Ainsi elle transforme notre manière de vivre et fait de nous des témoins de l’espérance en Jésus-Christ vivant.

* * *

Les prêtres, indispensables pour réunir les baptisés autour de l’Eucharistie, aussi près que possible de leurs lieux de vie, doivent également considérer comme une priorité le soutien et l’encouragement à apporter aux fraternités locales, aux petits groupes qui déjà existent. Que ces groupes soient informels, qu’ils aient un projet ou une mission précis, qu’ils soient en lien avec un mouvement ou pas, fragiles ou bien ancrés dans le territoire et l’histoire locale, jeunes ou vieux, etc, ils ont besoin d’être soutenus, valorisés et accompagnés. La fraternité ne se décrète pas, elle est un don de Dieu, c’est pourquoi il en est des fraternités locales comme des fleurs variées dans un pré. Elles sont des laboratoires de la communion, que les pasteurs doivent aider à s’ouvrir sans cesse à des cercles plus larges et au rayonnement missionnaire, mais aussi à s’enraciner davantage dans le mystère du Père. Les prêtres n’ont pas la disponibilité pour tout suivre et accompagner directement, mais ils peuvent former et déléguer des personnes pour stimuler, accompagner et consolider les fraternités, pour qu’elles déploient en Église leurs charismes missionnaires propres.

Le regretté pape François nous a engagés à vivre le jubilé de 2025 en « pèlerins d’espérance ». La première à se mettre en route à cause de l’espérance en Jésus- Christ est la bienheureuse Vierge Marie. Peu après l’annonce de l’ange, Marie part « en hâte » vers la région montagneuse, chez sa cousine Elisabeth. L’ange lui a parlé de cette grossesse inespérée d’une veille femme stérile. Marie part en hâte, sûrement avec ce désir de contempler l’œuvre de Dieu en train de s’accomplir en sa cousine. Véritable témoin de l’espérance, elle marche d’un pas rapide sur 160 kilomètres. Son espérance la rend capable de ce dynamisme. L’espérance produit la joie de vivre et une sortie de soi-même, un dynamisme et un élan vers Dieu et vers les autres. Sûrement, la hâte de la Vierge Marie était aussi motivée par sa charité fraternelle envers sa vieille cousine qu’elle a dû aider dans ses derniers mois de grossesse. Marie nous rappelle ainsi le lien entre espérance et amour fraternel. Qu’elle stimule, accompagne, consolide et nous aide à développer nos fraternités ! Ainsi nous coopérerons vraiment avec l’Esprit Saint dans le monde actuel et il sera évident pour tous que Dieu est notre Père, pour toujours.

Fait à Cahors, le 15 juillet 2025

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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