Veillée pascale. Samedi 30 mars 2024

Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères et sœurs,

Nous voici avec les femmes au tombeau, à la fois émerveillés et peut-être un peu effrayés, ne sachant quoi penser, ne sachant comment vivre notre foi toute rajeunie par le mystère de Pâques au milieu d’un monde si perturbé, si marqué par la violence et par diverses fuites en avant : la dette qui augmente, la culture de mort qui pénètre de plus en plus notre législation, des guerres où l’on n’hésite pas à massacrer des enfants innocents, l’instabilité familiale, des faits divers toujours plus odieux, les perturbations climatiques et l’appauvrissement de la biodiversité, tout cela étant aggravé par nos difficultés à entrer dans une réelle sobriété et dans un partage plus équilibré des ressources, etc.

Comment vivre notre foi dans ce contexte si lourd ? La première chose est de nous laisser imprégner par la joie de Pâques. Nous voyons combien Jésus lui-même n’a pas traversé l’histoire des hommes en modifiant brutalement la réalité dans laquelle il s’est immergé. Jésus savait qu’avant le péché des hommes, il y avait la création de Dieu, si belle et si bonne. Il est le Verbe de Dieu, il a donc pris part à cette création. Quand le texte de la Genèse nous fait entendre ces mots : « Dieu dit », cela montre que la Parole de Dieu qui est le Christ participe à la création. « Et Dieu vit que cela était bon ! » Cet après-midi, je me suis arrêté quelques minutes dans le jardin de l’évêché et j’ai eu la joie d’écouter chanter deux merles qui se répondaient d’un toit à l’autre. C’est si joli le chant d’un merle au printemps, une merveilleuse mélodie et c’est gratuit, sans téléchargement, sans consommation électrique…

Dieu avait dit « que les oiseaux volent au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel » (Gn 1,20) et ce qu’il a dit continue toujours de se produire aujourd’hui, malgré tout le mal que nous faisons sur cette terre. Quand le Verbe s’est fait chair et qu’il a commencé son ministère public, saint Pierre dira que lorsqu’il est passé dans l’histoire des hommes, « il faisait le bien » (Ac 10,38). Cette expression, « il faisait le bien » est pleine de douceur, légère comme un chant d’oiseau. Après cela, il a pris sur lui tout ce mal dont le monde est marqué. Et par sa résurrection, il a définitivement ouvert une brèche dans le mur de la haine et de l’injustice, dans la fatalité du péché et de la mort. Puis, la joie de son Évangile a été annoncée pour rejoindre avec douceur tous les aspects de notre vie sur la terre, pour que le monde se convertisse en profondeur, pour que, humblement, chacun puisse entendre un appel à le suivre en faisant le bien et à témoigner de sa vie plus forte que la mort. Voilà le chemin, notre chemin de chrétiens.

Le pape François synthétise cela en employant la formule « disciples-missionnaires ». Nous devons être des disciples de Jésus et en même temps des missionnaires de sa bonne nouvelle. Personne ne peut témoigner de la foi au Christ s’il n’a pas d’abord choisi de suivre le Christ, d’être son disciple, de faire l’expérience pour lui-même de la transformation profonde que produit l’amitié avec le ressuscité. Personne ne peut non plus être disciple que pour soi-même, sans éprouver de manière irrépressible le besoin de témoigner, de devenir missionnaire de la joie pascale qui nous est donnée.

Nous avons entendu le récit très sobre que fait saint Marc de la découverte du tombeau vide par quelques femmes. Cet évangile pointe pourtant une difficulté pour être vraiment disciples et missionnaires. En effet, les femmes, pleines de courage, vont au tombeau même si elles ont peur de ne pas savoir comment rouler la pierre. Mais, après cela, dès qu’elles voient l’ange assis à droite, dans le tombeau, elles sont toutes effrayées. C’est un phénomène constant dans toutes les Écritures, de l’Ancien ou du Nouveau Testaments, que lorsqu’une manifestation divine se produit, depuis le péché d’Adam, la venue de Dieu ou de ses anges provoque la peur ou la honte et aussitôt, si c’est vraiment Dieu qui se manifeste ou a envoyé son ange, survient une parole rassurante : « Ne soyez pas effrayées ». N’ayez pas peur ! Ensuite, dans le texte de saint Marc, l’ange donne la consigne d’être missionnaires. Concrètement il demande d’aller dire aux disciples que le crucifié est ressuscité et qu’il les précède en Galilée, sur leur terre.

Mais nous n’avons pas lu le verset qui arrive juste après et que la liturgie s’est gardée de nous faire entendre, à savoir que les femmes « sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » (Mc 16,8). Ici, la peur semble paralyser la mission. Ces femmes ont entendu le message mais elles restent « tremblantes et hors d’elles-mêmes ». Elles ne parviennent à intérioriser ni ce qu’elles viennent de voir et de découvrir ni ce qu’elles ont à faire. Cette expérience des femmes au tombeau paraît tourner court. Ce récit est sans doute là pour nous interroger nous-mêmes : qu’allons-nous faire du message de Pâques ? Qu’allons-nous faire du tombeau vide ou simplement de la Sainte-Coiffe qui se trouve dans la chapelle profonde de notre cathédrale et qui semble avoir été un linge de la passion, un de ces linges retrouvés au tombeau vide ? Nous le voyons, mais qu’allons-nous en faire ?

Allons-nous rester tremblants et hors de nous-mêmes ou bien allons-nous parvenir à intérioriser suffisamment la joie de Pâques pour devenir capables d’en témoigner, d’aller le dire autour de nous, d’aller proclamer avec enthousiasme que Jésus est vivant et qu’il nous précède partout où nous allons, qu’il est réellement capable de renouveler nos vies, de nous apprendre à nous détacher de ce qui vous paralyse pour rendre notre vie meilleure, pour participer à l’édification d’un monde meilleur, plus humain, plus équilibré, avec moins de violence et moins de gaspillage, moins d’injustice et moins de mépris envers la vie ? Ou, pour le dire positivement, allons-nous, oui ou non, témoigner de la résurrection du Seigneur en laissant rayonner notre joie, en cultivant une sobriété de vie, en prenant le temps de l’écoute bienveillante avec ceux que nous rencontrons, en devenant artisans de paix, patiemment, avec douceur et simplicité ? Voulons-nous, comme Jésus, laisser agir en nos cœurs l’Esprit Saint reçu à notre baptême et à notre confirmation, afin de passer nous-même notre vie dans ce monde à faire le bien, à refuser les suggestions du diable et à rester toujours en présence du Seigneur ?

Mes frères, mes sœurs, je crois que c’est la question que nous pose l’Évangile de Marc ce soir en ne concluant pas sur les suites que les femmes vont donner au message de l’ange. Car la réalité, c’est que cette réponse, cette suite, dépend aussi de nous. L’annonce de la Résurrection dépend des choix que nous allons poser, du style de vie que nous choisirons en sortant de cette cathédrale. Resterons-nous tremblants et hors de nous-mêmes ou serons-nous des disciples-missionnaires ?

Cette expression, « hors d’elles-mêmes » (Mc 16,8), employée par saint Marc selon la traduction liturgique, a pu nous faire penser à un manque d’intériorisation. C’est, en tout cas, un trouble, exprimé par le mot grec « ἔκστασις » qui signifie une modification de l’état de la personne, une sortie de son état normal. Ce « hors d’elles-mêmes » peut être aussi éclairé par ce que dit le prophète Ezechiel dans la 4° lecture entendue ce soir, lorsque le Seigneur, par la voix du prophète reproche au Peuple de s’être dispersé : «  Dans les nations où ils sont allés, ils ont profané mon saint nom, car on disait : “C’est le peuple du Seigneur, et ils sont sortis de son pays !” » (Ez 36,20) Hors d’eux-mêmes car hors de leur pays ! La réponse de Dieu, après ces reproches, ne sera pas de punir ce peuple qui a adopté les pratiques idolâtriques des autres pays. Mais, pour manifester sa propre sainteté, Dieu choisit de rassembler son peuple, de le purifier et de renouveler son cœur : « Je vous prendrai du milieu des nations, je vous rassemblerai de tous les pays, je vous conduirai dans votre terre. Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair ». (Ez 36,24-26) Et Jésus Ressuscité fait la même chose, il appelle les disciples à se rassembler en Galilée, il va les rejoindre sur leur terrain, comme il nous rejoint nous aussi là où nous vivons, dans notre pays, sur notre terre du Quercy, égayé par ses merles rieurs, capables de donner un signe de joie simplement par leur chant et leurs envols légers entre terre et firmament du ciel.

Ce soir, frères et sœurs, le Seigneur ressuscité nous a rassemblés, comme il veut nous rassembler chaque dimanche de l’année, afin de nous purifier avec la grâce de l’eau du baptême. Par l’annonce de sa résurrection bienheureuse, il vient renouveler nos cœurs et nous donner un cœur de chair, sensible aux besoins de nos frères et capable de désirer faire le bien sur cette terre. Il nous donne un cœur nouveau et un esprit nouveau. Dans quelques instants, nous allons être aspergés avec l’eau bénite de cette nuit de Pâques. Ce geste symbolique exprime bien ce renouvellement qui nous est offert par le Seigneur. Qu’il nous libère de toute forme de trouble qui pourrait nous paralyser, qu’il nous purifie et qu’il fasse vraiment de nous des disciples missionnaires de Jésus ressuscité !

Allez dire à vos frères : Jésus est vivant, Il est vraiment Ressuscité ! Alleluia !

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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