Veillée pascale - Cathédrale Saint-Etienne

Samedi 19 avril 2025.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

Le Seigneur nous fait un grand cadeau, cette année encore, avec la joie de célébrer des baptêmes au cours de la veillée pascale. Le baptême est le sacrement de Pâques par excellence. Il nous a fait entrer un jour et pour toujours dans l’Église, c’est-à-dire qu’il nous fait membres d’un peuple, le Peuple de Dieu ; mieux encore, membres d’un corps, le Corps du Christ. Faire corps est un vrai cadeau dans le monde si morcelé qui est le nôtre, dans un monde en guerre par morceaux et au milieu d’une société clivée. Ces réalités difficiles, sans cesse rappelées à notre souvenir par les moyens de communication sociale, n’empêchent pourtant pas le désir d’unité et de paix qui est aussi présent dans le cœur des hommes, dans les cœurs de beaucoup de nos contemporains.

Souvent la sociologie présente la culture chrétienne comme un des blocs qui s’opposent dans la société mondialisée actuelle. En réalité, le christianisme n’est pas un bloc et il n’est pas fait pour s’opposer à d’autres blocs. Le christianisme est avant tout un corps vivant, avec des membres très différents, marqués par toutes les cultures d’où ils proviennent, riches d’une multitude de formes, de couleurs, de rythmes, de musiques, d’histoires humaines, de concepts et de récits.

Les nouveaux membres, ceux qui arrivent aujourd’hui sans qu’on s’en soit rendu compte, simplement attirés à Jésus par des forces intérieures impossibles à catégoriser, sont pour nous une chance car, justement, ils nous montrent que nous ne sommes pas un bloc opposable à d’autres, mais simplement un corps avec des membres appelés à se compléter, à s’articuler ensemble, à se régénérer par le souffle de l’Esprit Saint et qui ne trouvent pas leur unité dans un projet civilisationnel, mais bien en Jésus-Christ.

Le corps ressuscité de Jésus a ceci de mystérieux qu’il est à la fois le même, marqué par la Passion, et différent, au point que ses proches ne le reconnaissent pas tout de suite quand il leur apparaît. La force du tombeau vide et de l’expérience de celles, puis de ceux qui l’ont visité, c’est qu’il conduit à voir que le corps de Jésus n’est plus là où on le croyait. « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est Ressuscité ». L’affirmation « il est ressuscité » n’avait pas vraiment de sens pour celles et ceux qui l’entendaient et ne savaient rien encore de cette nouvelle vie que Jésus venait d’inaugurer. Alors, le message qu’ils pouvaient entendre, message déjà bouleversant, était simplement : « il n’est pas ici », il n’est pas parmi les morts. Et l’Église revit sans cesse cette découverte du mystère du corps de Jésus qui nous surprend, qui n’est pas exactement là où on croyait le trouver. L’Église se croit en train de disparaître avec des statistiques toujours à la baisse, mais soudain voici que de nouveaux membres surgissent, ailleurs que là où on les attendait. Ce surgissement, parce qu’il nous fait revivre l’annonce au tombeau vide : « il n’est pas ici », « ne le cherchez pas parmi les morts », régénère tout l’ensemble du Corps de l’Église et lui fait découvrir qu’elle n’est pas livrée à elle-même, à sa désespérance ni à son péché, à ses découragements ni à ses scandales, mais qu’elle est bien l’œuvre de l’Esprit Saint. Et l’Esprit Saint travaille toujours, qu’on le sente ou qu’on ne le sente pas, qu’on en voie les signes ou qu’on ne les voie pas.

Notre vocation alors, à nous les vieux baptisés comme aux néophytes, c’est de relever le défi de continuer à faire corps. Pourquoi faire corps ? Tout simplement parce que c’est ce que nous sommes. Le baptême nous a agrégés au Corps. C’est là un effet objectif du baptême. Ne l’oublions jamais. « Tu es devenu enfant de Dieu et frère de Jésus » chante-t-on quelque fois après avoir célébré un baptême. La grâce du baptême n’est ni un effet spectaculaire ni une émotion forcément intense. C’est une transformation objective qui fait devenir membre du Corps du Christ, frères et sœurs avec tous les autres frères et sœurs chrétiens. Nous sommes enfants de Dieu non seulement selon la nature humaine parce que tout être est une créature ayant en Dieu son origine, mais le baptême a changé notre rapport avec le Père car il nous a rendus fils adoptifs de Dieu, il nous a élèvés au rang du Fils unique qui s’est fait homme pour que les hommes puissent avoir part à sa divinité. Tout baptisé, comme Jésus le jour de son propre baptême, est concerné par la voix du Père qui affirme : « toi tu es mon fils bien-aimé, en toi, je trouve ma joie » (Lc 3,22). Quelle que soit notre vie, rien ne pourra nous enlever ce privilège de faire la joie de Dieu parce que nous sommes baptisés.

Devenir membres d’une famille pour la joie de Dieu le Père, membres d’une seule famille avec tous les baptisés, cela a beau être une grâce objective qui ne dépend pas de nos qualités relationnelles ni de nos capacités mystiques ou émotionnelles à le ressentir, cela implique évidemment quelques défis concrets. Pour que cela imprègne quotidiennement notre vie, il y aura quelques efforts à réaliser. Comme dans toute famille, les relations de chaque jour ne vont pas sans quelques tensions.

Mais nous avons de nombreuses ressources pour rendre ces tensions fécondes. Se rappeler que chacun des frères que Jésus nous donne a quelque chose d’essentiel à apporter à l’ensemble du Corps est l’outil fondamental pour aller au-delà des oppositions, en en recueillant la signification, la fécondité. L’effort pour écouter l’autre en profondeur découle de cette conviction que ce frère n’est pas là par hasard et qu’il a quelque chose à offrir à l’ensemble. Mais ceci ne suffit pas lorsque les tensions ont engendré des blessures. Le pardon, la réconciliation, qui est la marque spécifique et totalement nouvelle de l’action de Jésus en ce monde, est nécessaire pour que la communauté de l’Église ne se déchire pas ou ne reste pas déchirée définitivement.

La réconciliation va avec la résurrection. Les insultes, le mépris et la haine qui se sont déchaînés sur Jésus, le Fils de Dieu fait homme, ont été tellement violents qu’il semble incroyable que Dieu ait malgré tout ressuscité son Fils pour sauver cette humanité qui avait si monstrueusement trahi son amour. Le cri de Jésus sur la croix : « Père pardonne-leur » (Lc 23,34) a obtenu sa réponse dans la résurrection et dans la disparition du corps humain de Jésus que nous avions mis au tombeau. Quand Jésus dit au criminel repenti crucifié à côté de lui : « en vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43), il le dit à chacun d’entre nous qui se reconnaît pécheur. Car si Jésus est sorti du tombeau, ce n’est pas pour épater les incrédules en laissant traîner les bandelettes (cf. Lc 24,12), le saint suaire ou la sainte coiffe pour occuper le monde scientifique, mais s’il est sorti du tombeau, c’est pour que l’humanité sorte de ses logiques de mort et puisse être renouvelée dans le dynamisme de la vie.

Chers frères et sœurs, le baptême nous a définitivement et objectivement plongés dans la mort avec Jésus pour ressusciter avec Lui. Sa grâce nous est donnée. Notre responsabilité est d’accueillir cette grâce chaque jour, de coopérer avec elle de toutes nos faibles forces en coordination avec toute l’Église. Cette responsabilité est aussi notre espérance. Comme l’a écrit le pape François dans sa bulle pour le jubilé 2025, « L’espérance chrétienne consiste précisément en ceci : face à la mort, où tout semble finir, nous recevons la certitude que, grâce au Christ, par sa grâce qui nous est communiquée dans le Baptême, « la vie n’est pas détruite, elle est transformée » pour toujours. » (Spes non confundit n. 20) En ce saint jour de Pâques, réjouissons-nous de cette transformation qui vient de la résurrection de Jésus.

Amen. Alleluia !

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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