Mercredi 5 mars 2025, église Saint-Barthélémy de Cahors
– Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Mes frères,
Le seigneur nous dit aujourd’hui : « revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil » (Joël 2,12). Le livre de Joël, surtout sa première partie, se situe au moment d’une invasion de sauterelles, qui détruisent les fruits et les céréales, affolent les troupeaux et provoquent la famine. Ce fléau est interprété comme un avertissement divin, un appel à la conversion. Même s’il n’existe pas de lien direct entre le péché individuel et les malheurs qui surviennent à un peuple, il n’est jamais interdit de recevoir les difficultés d’une époque, non comme des mauvais sorts injustes, mais comme des appels. En tout cas, nous pouvons être sûrs que, dans l’épreuve et la difficulté, Dieu nous appelle à compter sur Lui, sur sa miséricorde, c’est-à-dire sur la tendresse de son cœur paternel qui est sensible à la misère de son Peuple. L’appel à revenir à Dieu est sûrement un appel pour nous. Joël y ajoute une précision très importante : « de tout votre cœur ». Il ajoute ensuite, pour que ce soit bien clair : « déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ». La tradition juive, en cas de deuil ou d’événement triste prévoit le rite de la déchirure, qui consiste à déchirer ses vêtements au niveau supérieur de sa poitrine, près du cœur. Ce rite même signifie justement que quelque chose a touché le cœur de celui qui le pratique. Mais le risque de vivre un rite de façon superficielle existe toujours. C’est pourquoi Joël insiste sur cela « déchirez vos cœurs et non vos vêtements ».
Et le carême est peut-être essentiellement cela : revenir au cœur, à l’intériorisation de ce que nous croyons et faisons. Réinvestir intérieurement nos bonnes habitudes, les renforcer par une transformation intérieure. Jésus ne dit pas autre chose quand il insiste sur le jeûne, la prière et le partage « dans le secret » pour que cela soit seulement vu du Père qui nous le revaudra et non pas pour cultiver une bonne image de soi qui est une fausse récompense. Donner autour de soi un bon témoignage n’a rien de mauvais en soi. Mais cela constitue une récompense qui peut nous faire perdre de vue pour qui nous agissons et que rien n’a plus de valeur que ce qui est accompli dans le but de nous unir plus parfaitement à Dieu.
Le cœur est un symbole de ce qu’il y a de plus profond dans l’homme. Et quand on parle du « cœur de Dieu » par analogie, on pense bien sûr à ce qui compte le plus à ses yeux, à la puissance brûlante de son amour. Il y a quelques mois, le pape François nous a donné une très belle encyclique sur l’amour humain et divin du cœur de Jésus-Christ. Il y synthétise avec une magnifique précision les grandes lignes historiques et actuelles de la dévotion au Cœur de Jésus. Cette contemplation du côté transpercé du Christ en croix d’où jaillit le sang et l’eau, en signe de la générosité de ce cœur plein d’amour dont les grâces veulent se répandre, est infiniment riche et a inspiré la méditation de très nombreux fidèles. La dévotion au Sacré-Cœur est sans nul doute la plus profonde expression de la dévotion populaire. En effet, elle n’est pas le résultat de développements théologiques sophistiqués mais la trace d’un mystère de la vie et de la mort du Seigneur qui a touché les âmes simples, les âmes qui se laissent ainsi aimer par Dieu, bouleverser par l’amour humain et divin de Jésus-Christ, et finalement se laissent aussi transformer pour ressembler davantage au Seigneur : « Ô Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre » avons-nous sûrement chanté un jour.
Se laisser toucher et transformer par la contemplation de l’amour du cœur de Jésus-Christ reste une attitude très pertinente aujourd’hui. Le pape François fait siennes les paroles de saint Jean-Paul II : « L’homme de l’an 2000 a besoin du Cœur du Christ pour connaître Dieu et se connaître lui-même ; il en a besoin pour construire la civilisation de l’amour ». (Catéchèse, 8 juin 1994, n. 2 // citée par François, Dilexit nos, n. 80). Et comment mieux envisager le carême que comme une conversion du cœur à la lumière de cet amour du cœur du Christ qui, non seulement nous invite à l’imiter, mais nous communique le souffle de son Esprit pour aimer davantage, plus en profondeur, plus gratuitement, de façon plus libre et plus ardente ?
C’est à cette source que plus de soixante-dix pèlerins du Lot se sont rendus il y a quelques jours à Paray-le-Monial, sur les traces de sainte Marguerite-Marie et saint Claude qui ont été les apôtres par excellence de la dévotion au cœur du Christ. En revenant, un désir à grandi en nous, celui de consacrer notre diocèse au Sacré-Cœur. Se consacrer au Sacré-Cœur ou consacrer un peuple au Sacré-Cœur, c’est s’engager dans un mouvement de réponse à l’invitation de Jésus à s’unir à lui et à s’émerveiller de son amour infini, un amour capable de tout donner, de souffrir la passion et mourir en croix pour sauver les pécheurs de la damnation —c’est-à-dire de la privation définitive de l’union à Dieu. L’enjeu est de nous laisser sauver pour entrer plus pleinement dans notre vocation d’être aimés par Dieu et d’aimer Dieu en retour. Et il existe une dimension missionnaire et même sociale de cette dévotion qui pousse à réparer le mal qui entrave en ce monde la manifestation de la victoire du Christ par son amour infini sur la croix. Ce dont fait prendre conscience la dévotion au cœur du Christ, c’est de l’ingratitude des hommes en face de l’amour du Christ, qui fait tellement souffrir le Fils de Dieu fait homme. C’est aussi ce qui fait le plus souffrir l’Église, car elle est ce peuple associé à l’œuvre d’amour de Jésus. La volonté de réparer le mal par un surcroît d’amour, de générosité, d’abnégation, pour n’être vus que du Père qui voit dans le secret, découle de l’amour du cœur du Christ communiqué au cœur de celui qui s’ouvre à lui et se laisse toucher et rejoindre en profondeur.
Frères et sœurs, d’abondantes nouvelles nous parlent de guerres et autres tensions géopolitiques, de violences urbaines ou parfois aussi rurales, de conflits familiaux, de maltraitance ou rejet des personnes en fin de vie et de tous autres refus d’accueillir la vie, de stigmatisation —voire de rejet— des populations qui fuient leur pays ou cherchent un avenir meilleur sur des terres hospitalières, de querelles invraisemblables et puériles entre responsables politiques, et de bien d’autres drames et violences auxquels il faut ajouter la maladie, le chômage et toutes les formes de misères économiques, psychologiques ou culturelles… on peut voir de nombreux indices de ce que l’amour n’est pas aimé. Peut-être ces multiples facteurs alarmants sont-ils les nuées de sauterelles de notre époque. Nous pouvons les regarder avec angoisse et dépit ou bien les relire comme des avertissements pour nous convertir, pour que l’amour reprenne vie et ardeur dans nos cœurs, pour que nous revenions au Seigneur de tout notre cœur pour nous laisser réveiller en profondeur par l’amour du son cœur à Lui, par l’amour humain et divin du cœur de Jésus-Christ.
Frères et sœurs, vivons ce carême de tout notre cœur ! Laissons-nous aimer et travaillons humblement et avec douceur, comme Jésus, avec la même ardeur humble et douce de son cœur sacré, à réparer ce monde autant que nous le pouvons. Comment pouvons-nous réparer un monde si blessé ? Simplement en nous inspirant d’une célèbre prière, nous pouvons réparer ce monde en mettant l’amour là où il y a la haine, en offrant le pardon là où il y a l’offense, en favorisant l’union là où est la discorde, en annonçant la vérité là où est le mensonge, en témoignant de la foi au milieu du scepticisme ambiant, en nous faisant pèlerins d’espérance au milieu des désespoirs, en illuminant les ténèbres et en répandant la joie du Christ en toute circonstance. Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors