Dimanche 2 novembre 2025.
Is 25,6-9 / Ps 121 (122) / 2 Co 5,1.6-10 / Jn 14,1-6
– Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Mes frères,
« Dans la maison de mon Père », dit Jésus, « il y a de nombreuses demeures » (Jn 14,2). J’aimerais méditer, en ce jour, avec vous sur cette petite phrase si dense, si importante pour notre espérance. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures.
J’entends souvent des gens dire que la vie éternelle et la résurrection ne peuvent pas exister car il n’existe pas de lieu assez grand pour que tous les humains, tous ceux qui sont morts depuis 300 000 ans, puissent co-exister. Ce n’est pas une objection très moderne, déjà Aristote niait l’immortalité de l’âme pour ce motif, il affirmait qu’il n’existe pas de lieu infini mais il postulait aussi que le cycle du temps, vu par lui comme une roue qui tourne, s’écoulait indéfiniment, sans véritable début et surtout sans fin. Des théologiens, en particulier saint Bonaventure, au Moyen âge, ont repris cet argument d’Aristote pour dire que s’il ne peut pas exister de lieu infini, alors le temps non plus n’est pas infini et la Bible a raison de nous annoncer la fin des temps, ce jour dont nul ne sait la date ni l’heure, où tous les morts seront appelés par Dieu à ressusciter pour la vie éternelle, c’est-à-dire une vie au-delà du temps, une vie de bonheur et de paix.
A l’époque moderne, la question de l’étendue du lieu cosmique est relativement bousculée par rapport à ce que pensait Aristote puisque depuis une centaine d’année, les scientifiques estiment que l’univers cosmique est en expansion. Cette théorie scientifique, basée sur une observation selon laquelle les galaxies s’éloignent les unes des autres, ne résout pas vraiment la question de la vie après la mort, mais elle nous aide peut-être à avoir une idée de la grandeur de Dieu qui peut créer sans cesse du nouveau et n’est pas affolé par la foule innombrable des humains qu’Il a créés et qu’Il souhaite rendre capables de vivre en communion avec Lui et unis les uns aux autres dans un amour toujours en expansion. Selon la doctrine chrétienne, la Vie éternelle n’est pas enfermée dans les limites du monde que nous connaissons, ni les limites de notre planète ni les limites du cosmos. Dieu est plus grand que toute sa Création si vaste et si généreuse.
Peut-être davantage que le principe de la finitude des lieux, est-ce aujourd’hui en prenant conscience de la fragilité de notre terre que nous éprouvons cette angoisse de la surpopulation. Nous pourrions avoir peur que trop d’humains ensemble finissent par saccager le ciel comme ils ont saccagé la terre ! Mais là aussi, cette phobie qui est une des causes de la dénatalité dans notre vieille Europe, se heurte à des contradictions puisque nous savons que si les activités humaines très polluantes de ce dernier siècle sont probablement une cause majeure de la crise climatique et de la disparition de nombreuses espèces vivantes, les humains sont les seuls êtres capables de prendre conscience de ce drame et de réagir contre en s’efforçant de réparer le mal accompli. L’I.A. peut chiffrer le désastre et identifier des modèles, mais nous seuls pouvons décider d’inverser certaines tendances, si nous aimons notre terre, si nous aimons la création de Dieu qui est aujourd’hui notre demeure commune. L’Incarnation du Fils de Dieu nous a enseigné cela : c’est en se faisant homme que Dieu est venu sauver les hommes et réparer les conséquences de leurs nombreux péchés. Il veut nous associer à son œuvre de guérison et de salut du monde. Nous n’avons peut-être pas toujours confiance en Dieu, mais Dieu continue de faire confiance en l’humanité, dans la mesure où les hommes acceptent d’habiter les demeures que Dieu leur a préparées. C’est une très bonne nouvelle qui nous aide, elle aussi, à élargir notre idée de Dieu. Jésus, dans l’évangile selon saint Jean, évoque plusieurs fois cette image de la demeure. Il invite à demeurer en lui : « Demeurez dans mon amour. » (Jn 15,9). La demeure de Dieu, les nombreuses demeures qu’il a préparé pour nous dans le ciel sont vastes et généreuses et elles n’auront pas la fragilité des demeures terrestres. Comme l’annonçait déjà le prophète Isaïe, Dieu invite tous les peuples à un festin sur sa montagne (Cf. Is 25,6), Il « fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages… » (Is 25,8) La promesse de Dieu est celle d’une nouvelle création, d’un bonheur sans limites pour chacun des habitants de la terre qui auront accueilli la grâce de son Salut. Et cela se prépare ici-bas en demeurant dans son amour, c’est-à-dire une forme d’amour qui est le don fidèle de soi pour les autres.
La difficulté qui nous reste, alors, est celle de notre cohabitation avec ceux que nous n’aimons pas, ceux qui nous ont blessés, déçus, ceux à qui nous ne parvenons pas à pardonner leurs actes, ceux dont nous ne comprenons pas le cœur tordu ou même méchant, toxique, pervers. C’est un grand mystère que celui de la damnation, l’enfer éternel est pour ceux qui n’auront pas accueilli la grâce de la conversion et auront refusé l’amour de Dieu. L’Écriture nous l’annonce : il y aura un jugement, la miséricorde de Dieu ne s’accomplira pas sans justice. Saint Paul dit par exemple qu’ « Il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal, pendant qu’il était dans son corps. » (2 Co 5,10)
La chance du purgatoire est celle d’un espace provisoire pour expier le mal commis et pour que notre capacité d’aimer se purifie de toutes nos résistances à la grâce de Dieu. Ainsi nous prions pour nos défunts, peut-être spécialement pour ceux qui ont commis objectivement du mal —mais nous sommes tous des pécheurs— afin de les aider par notre prière à rejoindre plus vite le bonheur du ciel. Eux-mêmes, lorsqu’ils rejoignent la pleine vision de Dieu, pourront aussi prier pour nous, pour que, si possible, dès ici-bas, nous soyons capables de leur pardonner. Il y a souvent, après la mort d’un proche, des pardons que l’on n’a pas eu le temps de se donner, des explications que l’on n’a pas eu le courage d’avoir de son vivant. C’est toujours dommage et cela reste comme une blessure. Mais le Seigneur de justice nous demande de pardonner car nous-mêmes nous avons eu besoin d’être pardonnés. Nous le disons dans le Notre Père : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi… »
Pendant un jubilé comme celui que nous vivons en cette année 2025, il y a spécialement des grâces d’indulgence qui peuvent permettre à une âme de quitter l’état de purification pour entrer dans la pleine et merveilleuse vision de Dieu. Ces grâces sont données si quelqu’un fait la démarche jubilaire pour le bien d’une âme du purgatoire. Dans cette cathédrale, il y a un parcours jubilaire que je vous encourage à suivre quand vous aurez un moment, en appliquant l’indulgence à vous-mêmes ou à un défunt que vous désirez aider à rejoindre le Seigneur. Cette indulgence que vous obtient le parcours jubilaire, suppose pour vous-mêmes une démarche de réconciliation en confessant vos péchés à un prêtre, suivie d’une communion et de prier aux intentions du pape, ainsi que s’engager à poser un acte de charité. Ce n’est pas bien compliqué et cela porte beaucoup de fruits. Tout est expliqué sur le parcours jubilaire (qui commence devant la statue du Sacré-Cœur).
« Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » (Jn 14,2). Il est frappant de voir que Jésus ne parle pas du ciel comme d’un lieu théorique mais comme d’une maison habitée, l’espace où l’on peut vivre avec Dieu, avec le Créateur qui n’a pas de limites dans sa capacité de rassembler l’humanité, avec le Rédempteur qui a envoyé son Fils assumer la condition des hommes pour que les hommes puissent réparer avec lui le monde abîmé par le péché et il ne cesse de nous donner son Esprit d’Amour pour que nous puissions pardonner et nous réconcilier les uns avec les autres et avec Lui qui nous aime infiniment et commence déjà à nous réunir dans son Église qui préfigure l’unité du genre humain et la louange unanime de tous les peuples à la Gloire du Père.
Amen.
+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors





