Canonisation de sainte Annette Pelras

Dimanche 13 Juillet 2025, Cajarc.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Il peut nous sembler bien étrange de savoir que notre sainte Annette Pelras, appelée alors sœur Marie-Henriette de la Providence, avec les autres carmélites de Compiègne, aient pu faire le vœu du martyre ! Désirer le martyre n’est pas forcément le premier élan de notre spiritualité. Dans un contexte où le nombre de désaxés qui se prétendent parfois martyrs en se faisant exploser pour des actes terroristes, semble augmenter et où, à l’inverse, des forces armées cherchent plus à protéger leurs soldats en envoyant des drones que de protéger les civils, le vœu du martyre résonne de façon, comment dire ? décalée.

Pour le comprendre, il faut revenir à l’Écriture et relire ce chapitre 12 de la lettre aux romains entendu aujourd’hui en seconde lecture. « Je vous exhorte frères, dit l’Apôtre, à offrir à Dieu vos corps comme une hostie vivante, sainte, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous la juste manière de lui rendre un culte spirituel. » (Rm 12,1) L’offrande de soi est la clé de ce vœu étrange. Ne plus s’appartenir pour être à Dieu est la seule attitude intérieure juste qui permet de désirer le martyre. Ce désir et cette offrande ne sont pas du tout belliqueux ni morbides, mais procèdent de l’amour et de la désappropriation de soi. Et pour saint Paul, cette offrande de tout son être à Dieu pour qu’il en fasse ce que bon Lui semble est un appel adressé à tous. Tout chrétien y est encouragé. Il y a quelques semaines, nous avons renouvelé la consécration du diocèse au Sacré Cœur de Jésus, cela procédait exactement du même mouvement spirituel d’ « holocauste vivant, saint, capable de plaire à Dieu ». L’expression « holocauste vivant » est d’ailleurs très forte. Elle montre bien que ce n’est pas la mort qui est visée, mais la consécration, le fait d’être sanctifié, saisi et élevé par Dieu à une plénitude de vie.

Paul explicite très clairement cela en disant que cette offrande sacrificielle de soi à Dieu implique une transformation, un renouvellement de la manière de penser et d’agir pour renoncer à sa volonté propre et chercher plutôt ce qui est capable de plaire à Dieu (Rm 2,2). Il indique même que s’il y a un seul culte juste qui est l’offrande de sa personne, corps et âme, à Dieu, celui-ci va s’incarner de façon très différente pour chacun des membres de l’Église, « chacun dans la mesure de la mission que Dieu lui a confiée » (Rm 12,4). Le martyre des carmélites de Compiègne est un sacrifice communautaire, qui fait suite à un vœu communautaire, mais auquel chacune des sœurs a été invitée à adhérer librement. Certaines, les plus âgées, ont hésité, mais finalement, elles sont entrées dans la démarche, chacune à son heure. Cela témoigne de leur réelle liberté individuelle.

Mais dans ce vœu communautaire, comme dans toute vie de communauté d’Église, chacune des sœurs a joué son rôle d’une manière singulière. La prieure, par exemple, a été la dernière à monter à l’échafaud après avoir reçu le renouvellement des vœux de chacune des carmélites, car c’était son rôle de prieure de recevoir les vœux des sœurs. De même la plus jeune qui n’avait pas encore prononcé ses vœux définitifs, car le régime de la Terreur l’interdisait, l’a fait ce jour-là, de la manière la plus absolue et authentique qui soit : comment mieux donner sa vie pour toujours qu’en sachant que l’on va le faire immédiatement, en témoignant de son attachement au Christ par l’acceptation d’une mort injuste ? Et notre sœur Marie-Henriette, sainte Annette Pelras de Cajarc : elle a joué aussi un rôle unique en interrogeant lors du procès l’accusateur public Fouquier-Tinville sur ce qu’il entendait par l’accusation de « fanatisme ». Et c’est elle qui, après avoir eu pour réponse que c’étaient leurs « croyances puériles » et leurs « sottes pratiques de religion » qui étaient visées, va s’exclamer en s’adressant à la communauté : « Ma Mère et mes sœurs, vous venez d’entendre l’aveu que nous attendions toutes de la bouche de l’Accusateur : c’est pour notre attachement à la sainte religion ! Félicitons-nous, réjouissons-nous de ce que nous mourrons pour la cause de notre foi, notre confiance en la Sainte Eglise catholique et romaine ! »

Bien sûr, dans le martyre, il n’y a pas seulement un renoncement à sa volonté propre et un témoignage rendu à la foi au Christ. Il y a aussi un consentement à mourir et même souvent, à souffrir. L’offrande de son corps signifie également cela, cette disponibilité totale, cette conscience de ce que la foi est au-dessus de toute valeur, même au-dessus de cette valeur suprême et sacrée qu’est la vie sur terre. Car, bien sûr, le martyre au nom de Jésus-Christ est promesse de vie éternelle, de résurrection. Et accepter une mort injuste en communion avec le Christ, c’est témoigner clairement de sa foi en la résurrection du Sauveur.

Annette Pelras fut d’abord religieuse hospitalière, soignante dans un hôpital à Brive et dans l’hospice de Tulle, puis, quand elle était au carmel mais que la communauté fut dispersée à cause de l’interdiction de la vie cloitrée considérée comme contraire à la liberté individuelle conquise par la révolution, elle fut chargée des sœurs les plus âgées lorsqu’elles vécurent dans plusieurs petits appartements, elle pouvait ainsi les soigner. Ces tâches quotidiennes de soin qu’elle a assumées en toutes circonstances montrent assez que sainte Annette n’était ni masochiste ni insensible à la douleur. Elle avait toujours été amenée, dans sa vie, à soulager la douleur, à soigner, à préserver la valeur sacrée de la vie. Pour rien au monde, elle n’aurait provoqué la mort de quiconque. Mais accepter une mort injuste par fidélité au don de soi à Jésus-Christ, voilà qui est tout autre chose que renier la valeur sacrée de la vie, de toute vie, même la plus diminuée ou privée de signification évidente. Au contraire, c’est témoigner de ce que la vie n’est pas d’abord un ensemble de processus chimiques mais surtout un espace pour aimer et se donner, un temps pour chercher la vérité et pour la défendre contre l’erreur et le mensonge, un ensemble d’échanges avec les autres, avec le monde qui nous entoure et avec Dieu. Le martyre n’exalte pas la mort ni la souffrance, mais témoigne de la vie et du bonheur en Dieu et avec nos frères, dans l’harmonie d’une création renouvelée.

Outre leur vœu communautaire du martyre, les sœurs carmélites de Compiègne n’ont pas seulement offert leur vie par fidélité au Christ, mais aussi pour obtenir de lui une grâce, la grâce de la paix de l’Église et de l’Etat. Leur vœu de martyre fut décidé peu de temps après la dispersion de la communauté. Il faisait suite à une intuition de la prieure, mère Thérèse de Saint-Augustin. Elle était convaincue que sa communauté était appelée à réaliser la vision qu’avait eu, cent ans plus tôt, une sœur de ce même carmel de Compiègne, sœur Elisabeth-Baptiste. Elle avait vu des sœurs de la communauté réunies autour du Christ, l’agneau immolé et tenant la palme du martyre à la main. Mère Thérèse de Saint-Augustin était convaincue que cette vision vieille de cent ans prophétisait le martyre auquel elles étaient appelées dans de prochains jours. Elle proposa ainsi à ses sœurs de faire un vœu, un Acte d’holocauste, à répéter chaque jour, demandant à Dieu qu’elles puissent s’offrir à Lui pour que la « paix divine, que son cher Fils est venu apporter au monde, soit rendue à l’Eglise et à l’Etat ». S’il fallut vingt-quatre heures aux plus âgées pour accepter cela, ce fut bien toute la communauté qui fit ensemble et librement ce vœu. Et l’on souligne souvent que dix jours après leur mort, Robespierre ayant été tué, la Terreur a cessé et un apaisement s’est réalisé dans le pays. Même si la paix ne fut pas absolue ni définitive, on peut y voir un fruit direct de leur offrande. Cela nous encourage à prier et jeûner, aujourd’hui également pour la paix dans notre monde. Nous pouvons aussi confier cette intention, chère à notre pape Léon, que l’Église soit de plus en plus un ferment d’unité et de paix pour toute la société et pour le monde contemporain.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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Photographies ci-dessous de Mme Claire Millet

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