Appel décisif des catéchumènes

Dimanche 16 Mars 2025, cathédrale de Cahors

 Homélie de Mgr Camiade :

L’évangile d’aujourd’hui présente la transfiguration de Jésus. Son aspect devient lumineux pendant qu’apparaissent deux personnages du premier Testament, Moïse et Élie. Trois disciples assistent à cette scène, Pierre, Jacques et Jean, mais ils somnolent puis, s’imaginent que la fin des temps est arrivée, ce que paraît signifier la proposition de Pierre de dresser trois tentes. Mais après qu’une voix céleste ordonne d’écouter Jésus, le Fils choisi de Dieu, la lumière s’éteint pour ne laisser voir que la seule humanité de Jésus.

L’Appel décisif des catéchumènes, par lequel ces derniers sont eux-mêmes choisis, reconnus par l’Église comme ayant été appelés par Dieu pour devenir des disciples de son Fils et marcher à sa suite, est un moment très important dans la vie de toute l’Église —pas seulement la vie des catéchumènes, mais la vie de toute l’Église, de nous tous. En effet, ce que vivent ces hommes et ces femmes qui ont pris personnellement la résolution de devenir chrétiens et qui se préparent aux fêtes pascales comme au moment clé de toute leur existence, leur démarche très belle est à l’origine même du carême chrétien, lequel carême concerne tous les baptisés. Car si nous-mêmes, baptisés depuis un certain nombre d’années, nous faisons carême, c’est, en un certain sens, très profond, pour accompagner la démarche des catéchumènes. Car en même temps qu’ils seront baptisés, nous renouvellerons les promesses de notre propre baptême. Nous le ferons, comme le prévoit le rituel, dans la nuit de Pâques. Si nous avons réellement accompagné par la pratique du carême, la progression vers Pâques des catéchumènes, nous professerons notre foi en étant aspergés d’eau baptismale avec un cœur vraiment purifié, un cœur aussi pur que le jour de notre baptême où tout péché nous a été enlevé par la grâce de Jésus-Christ, mort et Ressuscité par amour pour nous.

C’est ainsi depuis les origines de l’Église. La préparation aux fêtes pascales, a peu à peu pris la forme du carême, c’est-à-dire des quarante jours rappelant les quarante jours de Jésus au désert avant le début de son ministère public. Mais la liturgie du carême, de façon plus ancienne encore, a été structurée d’abord pour les catéchumènes. En conséquence, toute la communauté de l’Église qui célèbre le carême s’associe en fait à la démarche des futurs baptisés. C’est pourquoi notre carême doit nous aider à sortir de la tiédeur spirituelle qui découle parfois de la routine ou de notre focalisation sur les difficultés de l’existence ou encore des naturelles baisses de régime physique et psychologique qui font partie de l’entropie de notre existence terrestre et que manifestent les Apôtres Pierre Jacques et Jean par leur somnolence et leur abattement devant Jésus transfiguré. Les catéchumènes apportent du sang neuf à l’Église, ils revivifient le corps ecclésial, ils sont notre source d’énergie renouvelée. Ils attestent notamment devant tous, chrétiens ou non, que le Père continue d’attirer des âmes à son Fils.

J’ai parlé d’entropie. L’entropie est le principe physique de la dégradation de l’énergie et de la désorganisation des systèmes. Ce principe physique s’observe aussi, analogiquement, dans les sociétés humaines et également dans l’Église, comme il a pu s’observer sur le mont de la transfiguration avec les Apôtres « accablés de sommeil » Lc 9,32). S’il n’y avait jamais de conversions, l’énergie spirituelle de l’Église pourrait bien se disperser et le microcosme ecclésial se diluer de la même manière que les désastres écologiques voient s’appauvrir la nature, sa diversité, ses liens et son écosystème. Mais, au-delà de ces images qui ont leurs limites, ce que je remarque quelquefois avec inquiétude, c’est d’un côté qu’un certain nombre de catholiques semblent indifférents à l’arrivée de nouveaux croyants ou tout au moins se mobilisent très peu pour les accueillir, pour s’intéresser à leur cheminement et les accompagner, ils restent dans la somnolence pendant que le Christ illumine en attirant de nouveaux croyants. D’un autre côté, il arrive, non sans dommage, à l’inverse, que certains fidèles semblent vouloir mettre la main sur tout ce qui bouge dans l’Église, avec la tentation de vampiriser l’énergie spirituelle des nouveaux venus, plutôt que de se laisser stimuler par leur démarche en vue d’un effort personnel de conversion en profondeur. Ils voudraient construire leur paradis sur terre au lieu d’accepter qu’il faudra passer par la croix avec Jésus.

L’image du carême, au contraire, nous dit clairement ce que les catéchumènes sont en droit d’attendre, en tout premier lieu, de la part des fidèles : c’est que nous abandonnions nos mauvaises habitudes, que nous nous tournions vraiment avec eux vers Celui qui les a attirés dans la foi, le Christ Jésus, au cœur doux et humble, se faisant le serviteur et le sauveur de tous.

Si nous sommes baptisés, dit saint Paul, « nous avons notre citoyenneté dans les cieux » (Ph 3,20) et ainsi, nous ne sommes pas prisonniers de l’entropie, ni de la volonté de puissance avec ses tentations d’abus en tous genres, ni de la tiédeur spirituelle. Mais nous sommes attirés tous ensemble vers la lumière qui rayonne de Jésus transfiguré. Nous portons en nous cette énergie inépuisable qui jaillit de la croix du Christ. Simplement, il nous faut souvent gratter un peu la poussière qui obscurcit cette lumière qui brille dans le cœur de tout baptisé. Le sacrement de la confession est un moyen privilégié pour raviver cette lumière.

En vivant les différents scrutins, lors des prochains dimanches de carême, les catéchumènes vont gratter le fond de leur cœur à la lumière de l’Évangile pour se laisser réconcilier avec Dieu, pour se rendre davantage disponibles à la grâce de leur baptême qui déjà a commencé d’agir en eux pour les attirer. Aujourd’hui, à travers l’appel décisif, c’est toute l’Église qui reconnaît en eux ce mouvement intérieur qui les conduit vers l’accueil de cette grâce baptismale. Et l’Église ne peut pas appeler au baptême sans se mettre elle-même en route, sans que tous et chacun, nous nous fassions en quelque sorte pèlerins, pèlerins d’espérance comme le dit le pape François dans la dynamique de l’année sainte 2025.

Etre pèlerins, c’est avoir conscience qu’il faut marcher vers un but et que sur cette route, sur notre chemin de vie terrestre, nous ne sommes pas réellement chez nous. Nous sommes citoyens des cieux. Sur le mont de la transfiguration, Pierre voulait dresser trois tentes, se croyant peut-être déjà au paradis. Mais l’Évangile de Luc, sans concession, affirme : « il ne savait pas ce qu’il disait ». Et quelques instants après, la lumière n’est plus visible. Il n’y a plus que Jésus seul. Jésus seul, Jésus, le Fils de Dieu fait homme, celui qui quelques instants avant, brillait, attirait, donnait la tentation de l’accaparer, mais qui maintenant est revenu dans l’ordinaire, dans le banal de l’humanité livrée à l’entropie du monde, Jésus dont le Père a dit « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le » (Lc 9,35), est seul pour nous indiquer le chemin réel de notre vie chrétienne au quotidien. Si nous ne voulons pas nous endormir spirituellement, nous avons la parole du Christ, les Évangiles et même le reste de la Bible qui est Parole de Dieu dans la chair de notre humanité. « Écoutez-le ! »

Sans mettre la main sur eux, mais en respectant infiniment leur liberté et leur cheminement, ceux qui accompagnent aujourd’hui les catéchumènes, ainsi que leurs parrains et marraines, les témoins de la foi qu’ils ont rencontré accomplissent une magnifique mission. Dans leurs lettres de demande de baptême, les catéchumènes expriment beaucoup leur reconnaissance envers ces membres de l’Église qui les ont soutenus. Alors, frères et sœurs, soyons vraiment disponibles, accueillants et attentifs à nos frères qui aujourd’hui sont appelés publiquement au baptême. Ils sont pour nous aussi un appel à regarder vers Jésus, à le suivre davantage et à témoigner de son amour.
Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors


Photos de Suzanne Lamartinière :

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