Samedi 4 octobre 2025
– Homélie de Mgr Camiade :
Je ne vais pas retracer les multiples événements de ces dix années écoulées —le père Denjean en a évoqué une partie en début de célébration : merci beaucoup ! Ces années, comme il l’a suggéré, ont été un mélange de joies et de peines puisque, selon le mot de saint Augustin, le pèlerinage de l’Église avance entre les vicissitudes de ce monde et les consolations de Dieu. Je demande pardon pour mes insuffisances, à ceux que j’ai déçus ou blessés par certaines décisions. Notre ministère est trop grand pour nous, justement pour que l’on voie bien que c’est Dieu qui agit. C’est pourquoi je voudrais vous inviter tous à remercier avec moi le Seigneur pour ce qu’il nous a été donné partager au cours de ces années, à louer ensemble notre Père par son Fils et dans l’Esprit Saint, non pas d’abord pour nos relatifs succès humains, mais pour son amour qui ne cesse de se répandre et se faire connaître, spécialement aux tout-petits, aux humbles, à ceux qui sont éprouvés —dont nous faisons tous partie, à certains moments au moins.
L’Évangile de ce jour où l’Église fait mémoire de saint François d’Assise, nous parle de louange, la louange adressée par le Christ à Dieu le Père. « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange » dit Jésus. Dans les Évangiles, nous voyons Jésus louer le Père deux fois, une fois devant le tombeau de Lazare (Jn 11,41) où cette louange porte sur le miracle qui va s’accomplir, le miracle de la résurrection de Lazare. Et la seconde fois, c’est celle de l’Évangile d’aujourd’hui, où Jésus loue son Père d’avoir révélé son mystère aux tout petits (Mt 11,25).
La louange avant la résurrection de Lazare nous est permise à nous aussi, surtout depuis la résurrection du Seigneur, car nous savons désormais que nous sommes promis à la résurrection. Nous pouvons sans cesse louer Dieu d’avance pour la promesse de résurrection qui nous est faite et qui est le cœur de notre foi.
La louange pour la révélation faite, non pas aux sages et aux savants, mais aux tout-petits est elle-même une révélation des liens intimes qui unissent le Père et le Fils. Cette louange se prolonge en effet par ces mots d’explication : « Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » (Mt 11,27). Cette louange porte donc sur quelque chose qui n’est pas forcément visible au premier regard, qui ne brille pas sur les plateaux télé ni sur les réseaux. Elle porte sur des réalités humbles, sur les indices discrets par lesquels le Père se fait connaître, justement, à ceux qui se savent petits et qui ne sont pas aveuglés par les facilités d’une existence brillante.
A cette louange de Jésus pour les petits qui ont reçu la révélation du Père, correspond la sainteté de François d’Assise dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire. Le franciscain Éloi Leclerc disait que saint François était « un pauvre qui chante », quelqu’un qui avait fait l’expérience de sa pauvreté, de sa condition de pécheur et de sa misère parmi les pauvres de ce monde et qui, pour cela, avec le Christ Jésus qui s’est abaissé jusqu’aux profondeurs de la misère humaine, chantait la louange du Père. Avoir surmonté son dégoût en embrassant le lépreux a provoqué en saint François une transformation profonde, l’amertume s’étant changée en douceur. C’est ainsi, en effet, que la prière qui conclut la première règle écrite par saint François chante ces mots « Père saint et juste, Seigneur, roi du ciel et de la terre, nous te rendons grâces… » clairement inspirés de ceux de la louange de Jésus : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange ». Cette action de grâce et cette louange caractérisent toute la vie de saint François qui, aussitôt après avoir rendu ses beaux vêtements à son père et s’en être remis à la protection de l’évêque d’Assise, « s’engage dans la forêt, chantant en français les louanges de Dieu » (1° biographie par Thomas de Celano, 115). Le chant de louange est une caractéristique de la vie et de la sainteté de François d’Assise.
En cette année du jubilé 2025 qui nous invite à pèleriner dans l’espérance, notre louange à Dieu peut être une action de grâce pour les humbles signes de la présence du Seigneur à nos côtés. Car ces signes soutiennent notre espérance. Nous savons que nous avançons vers la vie éternelle auprès de Dieu et nous pouvons discerner, au jour le jour, de petits signes de cette vie qui se construit, en un sens, dès ici-bas, même de façon humble et discrète. Jésus lui-même se révèle « doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Cela nous invite à imiter cette douceur et cette humilité de Jésus. C’est seulement ainsi, dans la simplicité des tout-petits, que nous pouvons recevoir la révélation du mystère de l’amour du Père et entrer vraiment dans la louange.
Il est évident, dans l’époque où nous vivons comme à toutes les époques, que les sages et les savants n’accueillent pas souvent ou pas facilement le message de Jésus. Ce qui ont du pouvoir, pouvoir politique ou pouvoir médiatique font rarement écho à la bonne nouvelle de l’Évangile. Et l’Église, plus nettement aujourd’hui qu’au temps de saint François d’Assise, fait l’expérience de sa faiblesse, des limites de ses forces. Et comme au temps de saint François, elle est confrontée aux faiblesses morales de beaucoup de ses membres, aux trahisons, aux lâchetés et aux abus. Mais comme saint François, les baptisés peuvent entendre cet appel de Jésus : « répare mon Église qui, tu le vois, tombe en ruines ». Cette réparation passe sans doute par toutes sortes de projets et de mises en œuvre des talents des uns et des autres. Mais elle ne peut se réaliser de façon prétentieuse, sans une conscience aiguë de nos failles et de nos péchés, sans nous situer vraiment parmi les petits et avec eux, comme Jésus l’a fait, pour que ce soit son œuvre à lui à laquelle nous participons et que son Esprit Saint en reste l’acteur principal. Ainsi nous pourrons chanter avec sincérité les louanges du Père qui nous fait l’honneur de participer à la Mission du Christ.
Une des choses qui me réjouit est que le peuple de Dieu qui est dans le Lot aime chanter et louer Dieu, je m’en rends compte souvent car les célébrations auxquelles je participe sont bien préparées et la participation active de beaucoup de fidèles est palpable. On perçoit l’implication dans les chants et les autres signes extérieurs —comme les fleurs, la propreté des lieux, la beauté des objets utilisés, etc.— Et en outre, l’intériorité, la ferveur transparaît souvent et se devine dans la joie partagée par la suite. Gardons bien conscience de l’importance de cette dimension de la vie chrétienne qu’est la louange de Dieu. Elle n’est pas en concurrence avec nos autres engagements, en particulier au service des plus pauvres, des migrants, des malades, des personnes isolées ou de la protection de la planète. Bien au contraire, notre louange à Dieu nourrit notre action et en démultiplie les fruits éventuels. En effet, la louange nous libère du risque d’idéologiser nos choix et nos modes d’action, elle nous fait sortir de l’amertume et des paroles acerbes en face des injustices de ce monde ou devant les failles au sein même de l’Église, car nous louons Dieu à partir de notre part de misère et d’incohérence, sachant qu’en Dieu seul est notre véritable Salut. La louange du Père est d’abord due à Dieu parce qu’Il est Dieu, avant même toute expérience que nous pouvons avoir de sa bonté. « Rendez grâces en toute circonstance, disait saint Paul, car c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus » (1 Th 5,18). Louer Dieu nous aide à orienter vraiment et toujours mieux notre action en fidélité à l’Évangile du Christ et aux motions de l’Esprit Saint, sans nous noyer dans la mauvaise conscience, mais en faisant grandir notre confiance et notre envie de participer de toutes nos forces à l’œuvre de miséricorde du Père.
Merci Seigneur pour ces dix années, pour Ta présence à nos côtés, pour la joie et l’honneur de Te servir en obéissant à ta volonté, pour les liens qui se sont tissés entre nous, dans ce beau diocèse où la splendeur de ta création réjouit tous ceux qui y vivent et qui y passent en se laissant émerveiller par Ton infinie grandeur et par Tes bontés. Tu es toujours avec nous et cela nous suffit !
Amen
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors