Anniversaire de la Dédicace de la cathédrale

Dimanche 8 septembre 2019
Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mes frères,

« Quel est celui parmi vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » demande Jésus. Je ne sais pas si ceux qui ont bâti notre cathédrale, il y a 900 ans, ont commencé ou pas par s’asseoir, s’ils ont bien tout calculé ou s’ils ont eu du mal à achever. Ils s’en sont plutôt bien sorti et, sûrement, ils savaient comment s’y prendre. A l’époque, on prenait le temps de construire et cela durait de nombreuses années. Pareil ouvrage n’est d’ailleurs jamais réellement terminé, même aujourd’hui, l’entretien représente de grands travaux, il y a toujours de nouveaux chantiers concernant la cathédrale. La chapelle d’axe qui a été magnifiquement rénovée pour accueillir bientôt à nouveau la Sainte-Coiffe en est un bel exemple.

La construction d’une cathédrale n’est pas une construction comme une autre. C’est une expérience qui ressemble à l’expérience de la construction du royaume de Dieu. Cette construction ne sera achevée qu’à la fin des temps. Quand aux plans et au calcul de la dépense, ils sont impossibles pour nous car, comme dit la première lecture de ce jour : « qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? Les réflexions des mortels sont incertaines et nos pensées instables… ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? »

Alors, la parabole que Jésus propose en prenant l’exemple des bâtisseurs prévoyants doit être bien comprise, non pas comme un conseil de maîtrise d’ouvrage, mais comme quelque chose de plus spirituel et, finalement de très précis. Ce que nous apprend cette image de la tour, c’est que prétendre bâtir l’Église est ridicule si l’on n’est pas prêt à placer le Christ Jésus au centre. C’est ce que Jésus vient de dire avant de parler de construire une tour et de partir en guerre avec une armée suffisamment nombreuse. Il a dit « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple ». Cette parole est une des plus inquiétantes de l’Évangile. D’autant plus que le terme grec traduit ici de façon édulcorée par « préférer à » est en réalité le mot « misein » qui signifie littéralement « haïr ». Les exégètes pensent qu’il traduit une expression araméenne qui exprime, de fait, plus la préférence que la haine au sens strict. Mais cela nous met en face d’une parole de Jésus qui veut frapper nos esprits, les secouer, les pousser à remettre en cause leurs premiers mouvements affectifs. Cela peut aussi se comprendre, bien sûr, dans un contexte de persécutions où, pour devenir disciple de Jésus, il arrive qu’il faille s’opposer à des membres de sa propre famille, à des intimes. Croire en Jésus-Christ provoque des conflits, parfois des trahisons, voire le risque d’être tué. Cela arrive encore aujourd’hui dans certains pays, au Moyen-Orient, dans certains pays asiatiques, ou en Inde. Suivre le Christ demande des choix redoutables.

Et, il nous faut recevoir aussi ces paroles du Seigneur dans le contexte où nous vivons, nous-mêmes ici, à Cahors, sous le régime de la liberté républicaine des cultes, mais avec quelques courants idéologiques assez virulents qui harcèlent ou ridiculisent ceux qui osent se dire chrétiens. Et même au sein des familles, choisir de suivre Jésus-Christ peut quelquefois être assez rude. Lors d’un pélé VTT, un garçon de 15 ans m’a dit que ses parents athées acceptaient qu’il participe à ce pèlerinage parce qu’ils pensent qu’il y a va pour être avec des copains et faire du VTT mais lui, ne manque aucune messe, aucune prière, ni aucun temps de réflexion spirituelle durant lesquels il nous mitraille de questions parce que sont les seules possibilités qu’il a de l’année pour être en contact avec l’Église et avec la foi. Il dit qu’il souhaite être baptisé un jour.

En 900 ans d’histoire, la cathédrale de Cahors a traversé de belles périodes où l’Église a connu des phases d’extension, de rayonnement, de développement culturel, en bonne harmonie avec toute la population. Mais il y a eu aussi de grandes crises. Je pense par exemple aux guerres de religions qui ont ravagé tant les églises que bien des terres et ont provoqué de grandes misères. L’époque de la Révolution n’a pas non plus été sans douleurs, les bienheureux Claude Caïx, Annette Pelras, Auriel Constant, martyrs lotois de la Révolution ou sous la Terreur, en sont des témoins bien connus. Nous avons par contre déjà célébré l’année dernière, l’épopée réformatrice du bienheureux Alain de Solminihac qui, même si elle a aussi été marquée par diverses tensions, a signé un nouvel élan spirituel et un renouveau certain de la foi au Christ avec une priorité de l’attention aux plus vulnérables tout à fait remarquable. Nous pourrions aussi évoquer certaines années du XIX° siècle, époques de grandes reconstructions, en particulier avec Mgr Grimardias, qui fut aussi une époque de ferveur religieuse certaine et de développement des œuvres caritatives et des vocations missionnaires. Ce fut notamment dans le Lot, l’époque du bienheureux Pierre Bonhomme, de la fondation des sœurs de Notre-Dame du Calvaire à Gramat et, avec le père Jean Liauzu, des Filles de Jésus à Vaylats. Il faudrait étudier tout cela en détail et voir sans doute à chaque fois comment de courageuses personnes se sont efforcées d’être de vrais disciples de Jésus-Christ, le préférant à tout autre lien en ce monde. On verrait également, en creux, bien des misères, tant matérielles que spirituelles ou morales, bien des fautes et des injustices provoquées malheureusement par des chrétiens qui n’étaient pas dignes d’être disciples du Christ. Car suivre Jésus n’existe pas sans combat spirituel, sans, comme lui, faire l’expérience de la trahison, de la violence humaine, de toutes les forces du mal qui s’opposent à son dessein d’amour. Suivre Jésus, c’est porter la croix.

Aujourd’hui comme dans le passé, la vie de l’Église est contrastée. Elle se construit grâce à de vrais disciples du Christ qui le préfèrent même à leur propre vie, à leur confort et à leur plaisir. Mais il y a aussi ces mélanges dans nos cœurs, ces failles psychiques liées à l’instabilité affective de notre vie sociétale en morceaux, il y a nos hésitations, nos lâchetés parfois ou même, dans certains cas spécialement honteux, ces crimes affreux qui font beaucoup parler après avoir été trop longtemps tus.

Malgré la fragilité et les péchés des hommes et des femmes qui sont les pierres vivantes de l’Église, la société contemporaine, attend l’Église. De même que la cathédrale est un bâtiment vaste pour rassembler toutes sortes de gens, l’Eglise est attendue pour sa capacité à rassembler des personnes différentes même si cela dérange et fait un peu de remue-ménage. L’Eglise est attendue pour son témoignage sur la réconciliation et la réparation, pour la place et le sens qu’elle sait donner à la vulnérabilité, au handicap ou à la pauvreté.

Ce que nous annonçons sur les graves questions éthiques contemporaines est souvent objet de débat, sinon de rejet, mais cela n’est pas moins pris au sérieux. Nous, chrétiens, avons le devoir d’approfondir ces sujets délicats et d’aider nos contemporains à réfléchir sur les enjeux de l’avenir en termes d’accueil des étrangers, de respect de la création et de respect de toute vie humaine de son commencement à sa fin naturelle. Les enjeux en sont plus complexes aujourd’hui que jamais, du fait de la puissance de certains moyens techniques, du poids des systèmes financiers et du déchainement des idéologies libertaires avec leur intolérance incroyable face à la moindre contradiction.

Tout ceci montre, je crois, combien l’anniversaire de la dédicace de notre cathédrale n’est pas un événement banal, ni même hors sol. Il ne nous projette pas hors du temps mais en nous replongeant dans l’histoire, il nous engage à tenir fermement le flambeau d’une foi courageuse et fidèle à celui dont nous essayons d’être les disciples.

Jésus n’a pas promis que le suivre serait sans difficulté. Tous les défis modernes sont une chance pour les fidèles du Christ, une chance pour annoncer le Salut en répondant aux difficultés par la douce force de l’amour. « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple » dit Jésus. Ce niveau d’exigence peut sembler démesuré. Cela serait vrai sans l’aide de la grâce du Seigneur, sans la force du Saint-Esprit qui nous a été donné.

En fin de compte, la vraie mesure pour bâtir cette tour immense qui est celle de l’amour du Christ appelé à embraser le monde, la condition est de ne rien préférer à cet amour, de mettre toutes les autres réalités au second plan. Mais en faisant cela, ces réalités n’en seront pas diminuées, au contraire, car elles seront situées à leur juste place, sous le regard d’amour du Dieu Sauveur. Celui qui absolutise une créature quelle qu’elle soit, même la plus sympathique ou la plus séduisante et la met à la place de Dieu provoque la haine et la destruction, la violence et les oppositions stériles. Tandis que sous le regard du Christ qui a donné sa vie par amour pour nous sur la croix, tout et tout le monde reprend sa juste place. Mais cela nécessite de souffrir comme lui, d’assumer comme lui le péché de ceux que nous aimons, d’offrir comme lui notre vie au service du bien commun de la création et de renoncer à nos préférences, à nos attentes égoïstes, à nos tendances malsaines ou à notre tranquillité.

Ainsi, mes frères, notre célébration des 900 ans de la cathédrale, avec tout un ensemble de manifestations aussi bien profanes que religieuses, prend sens dans cette préférence pour l’amour du Christ. Celle-ci doit rejaillir sur notre manière de nous regarder les uns les autres, d’apprécier avec bienveillance tout ce qui se fait de bien, même par ceux qui ne partagent pas la foi au Christ mais ont souhaité s’associer pour une raison ou une autre à la célébration de cet anniversaire. Ce que nous avons à haïr, c’est précisément ce qui freine le dessein de Dieu de rassembler toute l’humanité dans son Royaume. Mais tout ce qui rapproche les hommes les uns des autres et peut les mettre en contact avec l’unique Sauveur Jésus-Christ, nous devons le favoriser et témoigner d’une charité qui s’efforce de dépasser tous nos blocages et nos antipathies.

« Quel est celui parmi vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » Nous ne pouvons aller jusqu’au bout de la construction de l’Église en célébrant l’anniversaire de notre cathédrale qu’en plaçant l’amour du Christ au centre de notre vie car lui seul peut donner sa vraie place à chacune des personnes et chacun des biens qui nous entourent.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

Soutenir par un don