Cette homélie est prononcée par Mgr le Gall en ce dimanche 4 octobre
La parole de Jésus nous atteint claire et forte cet après-midi ; elle vous atteint spécialement vous, cher Laurent, que nous allons ordonner Évêque pour l’Église de Dieu qui est à Cahors, dans votre cathédrale Saint-Étienne, le Protomartyr. « Sois lumière ! » vous dit-il, comme à la première page de la Bible. La Création commence par un « Soit lumière ! » « Fut lumière », continue le texte. Aucun de nous n’a la prétention d’être la lumière, d’être une lumière, mais un humble, simple et vrai témoin de la « Lumière du monde » qu’est le Christ Jésus, Lumière qu’il reçoit de son Père. Avec votre devise, vous invitez vos diocésains à fixer les yeux sur Jésus : Aspicientes in Iesum, selon la formule de la lettre aux Hébreux (12, 2).
« Dans un monde où s’épaississent gravement les ténèbres – vous a dit le pape François, dans l’audience où il vous a reçus, les nouveaux évêques, vous et Mgr Jean-Marc Eychenne de Pamiers, le 10 septembre dernier, au cours de votre pèlerinage au tombeau de saint Pierre –, en lui, Lumière née de la Lumière, vous êtes appelés, par l’Évangile, à éclairer le rude chemin des hommes et des femmes de ce temps, eux qui sont proches de l’Église, ou qui s’en sont éloignés, ou encore qui ne veulent pas de notre message. Illuminez-les de la flamme humble, préservée en tremblant, mais toujours capable d’éclairer celui qui est atteint par sa limpidité qui, toutefois, n’est jamais aveuglante ».
« Vous êtes la lumière du monde », dit le Seigneur à ses disciples au tout début de son Sermon sur la montagne. Il commence par dire : « Vous êtes le sel de la terre », non seulement pour la conserver, pour sa sauvegarde, à laquelle nous convie tous notre Pape en son Encyclique Laudato Sí, mais encore pour donner du goût, de la saveur à notre vie sur la terre ; dans un monde désenchanté, il faut chanter l’espérance, proclamer avec fierté sa foi, non contre d’autres croyances, mais dans le respect de tout ce qui va dans le sens de la vérité et de la charité. Le mot « sagesse » dit la capacité de goûter, de « déguster », d’apprécier ce qui est bon, ce qui est beau, bien et vrai. C’est encore le Christ-Lumière, qui est la Sagesse : nous devons la puiser tous les jours auprès de lui, disciples pour être maîtres et docteurs de la foi. Le pape François vous a fait dans ce sens la recommandation suivante :
« Je vous invite à devenir des évêques pédagogues, des guides spirituels et des catéchistes capables de prendre les fidèles par la main et de les faire gravir le mont Thabor, les guidant vers la connaissance du mystère qu’ils professent, vers la splendeur du visage divin caché dans la Parole qu’ils sont sans doute habitués à écouter de façon passive, sans en percevoir la puissance. Pour ceux qui marchent déjà avec vous, procurez des liens et installez des tentes dans lesquelles le Ressuscité puisse révéler sa splendeur. N’épargnez pas votre énergie pour les accompagner dans la montée. Ne les laissez pas se résigner à la plaine. Enlevez avec délicatesse la cire qui se dépose lentement dans les oreilles, les empêchant d’écouter Dieu qui atteste : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie (Mt 17, 5). »
Paul, avant François, avait donné des conseils de la même tonalité à l’un des premiers successeurs des Apôtres, son cher disciple Timothée à qui il écrit : « Ravive le don gratuit de Dieu, celui qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération » (2 Tm 1, 6-7). Voici trois mots qui ont la concision d’une devise et qui sont un antidote contre la peur qui peut vous assaillir face à la tâche qui est devant vous.
• La force, il vous en faudra, pas seulement pour entreprendre, mais pour tenir, s’il est vrai que sa forme la plus fondamentale, d’après saint Thomas d’Aquin, est la patience ; nous avons prié dans ce sens dans l’oraison de dimanche dernier : « Dieu qui donnes la preuve suprême de ta puissance, lorsque tu patientes et prends pitié, accorde-nous ta grâce ».
• Le deuxième mot d’ordre est l’amour sous sa forme spécifiquement chrétienne et oblative de l’agapè dans le texte ; il est le moteur de votre engagement et de votre mission, lié à l’Esprit d’amour qui va vous être donné en plénitude. J’en lisais quelques caractéristiques récemment dans le Traité de Richard de Saint-Victor sur Les quatre degrés de la violente charité : « Quand l’âme a été réduite et fondue par le feu divine, quand elle a été rendue profondément ductile, et comme liquéfiée, que reste-t-il, sinon à mettre devant elle la volonté de Dieu, bonne, agréable et parfaite ». Vous avez enseigné la spiritualité dans notre Institut Catholique de Toulouse. La spiritualité, c’est l’art de se laisser conduire par l’Esprit ; cet adjectif de ductile indique la capacité d’un matériau à se laisser former sans se rompre, avec souplesse et malléabilité. Soyez ductile à l’Esprit, ce qui revient à cultiver la docilité des disciples, ainsi disposés à devenir missionnaires. L’or est le métal le plus ductile, qui symbolise précisément l’amour.
• La pondération peut paraître trop mesurée, mais elle fait un bon tandem avec la force, d’autant mieux que l’amour est entre les deux. Nous avons, en effet, beaucoup besoin de sagesse, de prudence, liées à la patience. Pondération qui n’est pas invitation à prendre du poids, mais finesse et délicatesse pour peser les événements et les personnes.
À Timothée, Paul ajoute cette dernière recommandation : « Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous » (2 Tm 1, 14). Il est frappant de voir combien le pape François revient très souvent sur la beauté, quand il parle de la foi et de l’annonce de la foi. Il l’a fait encore pour la prière qu’il a proposée pour le Synode qui s’ouvre aujourd’hui à Rome :
« Sainte Famille de Nazareth,
que le prochain Synode des évêques
puisse réveiller en tous
la conscience du caractère sacré
et inviolable de la famille,
sa beauté dans le projet de Dieu. »
« Notre monde menacé a besoin de retrouver le sens de l’harmonie, comme celui de la tendresse. « N’ayez pas peur de la tendresse ! », nous disait le Saint-Père en l’homélie de la messe d’inauguration de son pontificat. Avec lui, avec l’abbé Maurice Zundel, soyez une présence vivante du Christ, pour l’Église qui est à Cahors, dont vous recevez la charge, présence au monde avec elle ; soyez une transparence du mystère du Père comme Jésus lui-même, selon ses paroles à Philippe : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9), le « Père infiniment bon » qui n’est qu’Amour. Marie, Notre Dame de Rocamadour saura doucement vous conduire dans cette direction pour votre bonheur et celui des vôtres, elle, remplie de force, d’amour et de pondération, la Toute-Belle. Amen.