Cahors, le 12 novembre 2022
Chers frères et sœurs du diocèse de Cahors,
Rentré il y a moins d’une semaine de l’assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, je reste sous le choc des révélations désolantes qui ont entouré et marqué notre rencontre. Plusieurs évêques mis en cause à divers niveaux, une perte de confiance, le sentiment, après tant d’années de travail sur les abus dans l’Église, qu’on n’en finira jamais. Je sais que tous, nous partageons ces sentiments avec, peut-être, la tentation du découragement, ainsi qu’une grande peine. Les personnes victimes sont, en premier lieu, l‘objet de notre compassion et aussi de notre reconnaissance pour le courage qu’elles ont eu de prendre la parole. Mais il me semble plus spécialement ces jours-ci, que nous sommes tous davantage conscients de la profondeur du mal qui a atteint l’Église, un mal qui nous atteint tous et auquel s’ajoute un sentiment d’impuissance.
J’ai cherché toute cette semaine quels mots écrire pour réconforter le Peuple de Dieu car cela fait partie de la mission de l’évêque, c’est au centre, d’affermir ses frères dans la foi (cf. Lc 22,32). Mais je n’ai pas trouvé de paroles humaines. J’ai finalement pensé à ces mots du prophète Jérémie que cite saint Matthieu au moment du massacre des saints innocents : « une voix s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte, c’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée » (Mt 2,18). Il serait trop facile, en effet, de vouloir être moi-même bien vite consolé ou de me croire capable de vous consoler par de bonnes paroles. Ce serait une hypocrisie et cela sonnerait faux. « Rachel… ne veut pas être consolée ». Songeant à mon échec pour trouver des mots ajustés, j’ai pensé ensuite à cet épisode évangélique où les apôtres ne parviennent pas à guérir un enfant possédé. L’Évangile y présente l’échec d’une mission apostolique. C’est ce type d’échec que les événements du moment nous ont mis devant les yeux : nous avons failli, des fidèles, des prêtres, des évêques ont fauté, d’autres n’ont pas su gérer la crise. Dans l’évangile, après l’échec des disciples, ceux-ci demandent à Jésus « pourquoi n’avons-nous pas pu chasser ce démon ? » (Cf. Mt 17,20) La réponse de Jésus est claire : « A cause de la pauvreté de votre foi » (Mt 17,20) et il ajoute « ce genre de démon ne peut s’en aller, sinon par la prière et le jeûne » (Mt 17,21).
Quand Rachel ne veut pas être consolée, c’est, peut-on comprendre, parce qu’aucun être humain ne peut consoler une mère qui pleure ses enfants. Rien ni personne ne peut la consoler, sauf Dieu. Dans le livre de Jérémie, la plainte de Rachel est entendue par Dieu et Lui seul vient sécher les larmes (cf. Jr 31,15-16). Il n’y a qu’en nous tournant plus résolument vers Dieu que nous pourrons continuer d’avancer sur un chemin humainement désespérant. Se tourner vers Dieu engage bien sûr à continuer à travailler, comme nous l’avons fait à Lourdes et avec l’aide de tous, fidèles et non-chrétiens, juristes, victimes, lanceurs d’alerte, thérapeutes, etc., continuer à analyser les dysfonctionnement de nos processus judiciaires, les dysfonctionnements individuels et collectifs, afin, à l’avenir, de tout mettre en œuvre concrètement pour les éviter. Mais la leçon du moment est que la malice des perversions et des faiblesses humaines parvient trop souvent à contourner même nos processus vertueux. Un démon puissant se déchaine, nous ne pourrons pas le chasser par de simples moyens humains, sans le jeûne et la prière. Nous ne pourrons pas le chasser sans nous tourner résolument vers Dieu qui seul peut consoler les cœurs blessés et rectifier les âmes perverties. Cela reste notre tâche de chercher à réparer le mal, de redresser les systèmes tordus et de revoir nos habitudes ecclésiales, nos modes de relation, notre rapport au pouvoir spirituel et à la justice entre nous. La démarche synodale en cours est une voie précieuse au service de ces transformations bien nécessaires. Mais en plus de tous nos efforts, un enracinement profond dans le jeûne et la prière sera indispensable. Le jeûne, c’est-à-dire le renoncement à soi-même, le décentrement de soi et l’exercice pour dominer nos pulsions, nos envies et nos lâchetés. Et la prière, une prière ardente, qui compte vraiment sur Dieu, plus que sur nos seules forces car nos capacités humaines doivent être converties en profondeur pour lutter efficacement contre le mal.
C’est très humblement que je dépose devant vous, chers frères et sœurs, ces réflexions tirées de ma pauvre prière, en ces temps de trouble, mais aussi de quête de vérité et de justice. J’en reçois un appel ardent à prier, prier de tout notre cœur et porter dans la prière nos actions, demander chaque jour au Seigneur de purifier nos intentions et de nous libérer des habitudes démoniaques et des aveuglements ruineux. J’espère susciter en vous aussi ce désir de prier davantage et de mettre vos forces au service du bien, de l’amour fraternel, dans le respect scrupuleux de la dignité de chaque personne rencontrée. Car je pense qu’aucun baptisé ne devrait se croire extérieur à ces problèmes d’abus, mais nous avons tous un chemin à faire pour cultiver des relations pures et désintéressées, où la vraie charité grandisse en vue du bien de chacun.
Avec une vingtaine de prêtres et de diacres du diocèse, nous serons cette semaine en retraite, nous prierons à ces intentions, nous demanderons ces grâces de libération de notre Église aux prises avec ses démons. Un groupe de 46 pèlerins de notre diocèse est en pèlerinage cette semaine en Terre Sainte, cette même intention leur est confiée.
Que Dieu vous bénisse.
+ Laurent Camiade, évêque de Cahors