Triduum de clôture du Jubilé de la cathédrale

Vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 décembre 2019

Homélie de Monseigneur Laurent Camiade
Dimanche 8 décembre 2019
Clôture du grand jubilé des 900 ans de la cathédrale

Mes frères,

« La connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer » (Is 11,9) annonce le prophète Isaïe. Cette promesse va de pair avec celle du règne de la justice, de la libération de tout mal : « Il n’y aura plus de mal ni de corruption ». Cette prophétie annonce l’avènement du Christ, mais sans doute plus le second avènement que le premier. C’est quand Jésus viendra de nouveau, cette fois dans la gloire, pour relever l’Église son épouse qui l’aura suivie dans son mystère d’abaissement, que le mal disparaîtra.

Pourtant, la connaissance du Seigneur a déjà été révélée au monde. Nous avons reçu la Bonne Nouvelle du Salut. Jésus, le Fils de Dieu, est né, a vécu une vie humaine, a annoncé que son Royaume est tout proche. Il a souffert, il est mort puis il est ressuscité, premier-né d’entre les morts. Tout cela est accompli. La Sainte-Coiffe apparaît pour nous comme une trace de ce mystère extraordinaire qui a touché la terre mais ne l’a pas totalement transformée encore. Le mal et la corruption n’ont pas disparu. Le loup n’habite pas avec l’agneau, pas encore. Même des chiens parfois massacrent nos brebis. Le nourrisson n’a pas trop intérêt à promener sa main sur le nid du cobra. Le manifestant et le CRS ne trinquent pas encore ensemble. L’éolienne et la chauve-souris ne sont pas entrées en résonance. L’harmonie de la création n’est pas aboutie. Nous-mêmes, si nous exerçons un regard critique sur nos comportements consuméristes, nous savons être de redoutables prédateurs pour la planète.

Le sens de ce jubilé des 900 ans de la cathédrale ne nous a pas fait oublier ce mystère du Royaume de Dieu qui, certes est déjà là, en germe, mais n’est pas encore le paradis sur terre ! Sans hésiter, nous nous réjouissons de ces germes de succès qu’ont été la vénération de la Sainte-Coiffe, la prière de nombreux fidèles et les consolations reçues, les conversions, les enthousiasmes, les réconciliations, les coopérations nouvelles entre croyants et non-croyants, les rapprochements avec des pauvres, l’attention aux personnes à mobilité réduite, ou encore les amitiés qui ont pu germer ou grandir, le signe généreux du bénévolat et de l’accueil de tous… Nous sommes cependant bien conscients que toutes ces belles choses n’ont pas effacé toutes les tensions, les incompréhensions, les réactions de rejet ou autres déceptions et suspicions. Le jubilé, dans la tradition biblique, est un temps favorable, un temps de grâce où le royaume de Dieu connaît un regain d’actualisation, ou l’on s’efforce de remettre les dettes, de repartir du bon pied, de reprendre confiance. Et vraiment, mes frères, nous l’avons fait et nous continuerons. Mais cela n’a pas encore totalement transformé notre monde, cela ne l’a pas ajusté au projet de Dieu. Car cela n’est pas pour aujourd’hui. Les mouvements sociaux actuels le crient assez fort pour que nous ne puissions pas l’oublier.

Quand donc, Seigneur ? Quand donc la connaissance du Seigneur remplira-t-telle le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer ? (cf. Is 11,9).

Plus grave encore que nos conflits de personnes ou d’idéologies, plus grave même que les catastrophes écologiques annoncées et dont nous sommes les tristes et piteux complices, il y a aujourd’hui l’apostasie de l’homme post-moderne. Dans notre époque, nous ne sommes plus réellement confrontés à l’athéisme philosophique des XIX° et XX° siècles. Nous sommes plutôt confrontés à l’attitude tragique d’un homme qui veut se libérer de toute référence, de toute finalité. L’homme d’aujourd’hui veut être sa propre origine et refuse d’avoir une vocation. Il refuse de se recevoir d’un Dieu quel qu’il soit. S’il admet qu’il existe un Dieu, celui-ci ferait bien d’obéir à l’homme s’il veut que l’homme daigne s’intéresser à Lui ! Et cet homme sans loi et qui ne vote des lois que pour qu’elles garantissent et augmentent ses droits et ses libertés individuelles, n’admet aucune limite. Il ne s’intéresse à préserver la planète que pour éviter qu’elle cesse trop vite de lui fournir ce qu’il désire : l’homme post-moderne est ému de la disparition des chauve-souris, non par amour des chiroptères, mais parce que leur raréfaction laisse proliférer les moustiques. Même si la planète pouvait encore supporter longtemps notre voracité consumériste, ce serait une catastrophe pour l’âme humaine qui ne connaît plus ni Dieu ni le sens de sa propre existence. Heureusement, beaucoup de personnes perçoivent et dénoncent ces excès mais il semble bien souvent que ce soient tout de même ces excès qui dominent. Et parfois ils dominent même ceux qui savent que cela ne mène à rien.

Plus que jamais, devons-nous entendre et faire entendre ces cris de Jean-Baptiste : convertissez-vous ! Jean-Baptiste ne fait pas dans la dentelle quand il s’adresse aux pharisiens et aux saducéens qui viennent se faire baptiser sans avoir entendu l’appel de l’urgence du royaume de Dieu : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit digne de la conversion ».

Mes frères, avoir une vie réellement et totalement tournée vers le Seigneur est encore un combat. Une lutte quotidienne qui passe par l’expérience humiliante de notre faiblesse. Notre société ne nous y aide pas beaucoup. L’Église elle-même paraît souvent si vulnérable, si pleine de contradictions ou de trahisons. Il n’y a que Dieu qui pourra nous sauver. Le catéchisme de l’Église catholique précise à ce sujet : « Le Royaume ne s’accomplira pas par un triomphe historique de l’Église selon un progrès ascendant, mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement qui fera descendre du ciel son Épouse » (CEC 676). L’Église elle-même doit traverser la passion avec son époux, le Christ. Dans son Corps mystique, le Christ est à l’agonie jusqu’à la fin du monde comme disait Pascal. L’Église fait, de multiples manières, l’expérience de sa faiblesse, faiblesse numérique, surtout en occident, faiblesse de ses moyens, faiblesse de sa capacité à faire entendre la bonne nouvelle du Christ dans un monde saturé d’images et de bruit, faiblesse de ses membres qui parfois donnent de graves contre-témoignages ou se jalousent ou se disputent entre eux comme des gosses dans la cour de l’école. En tout cela, le Christ est à l’agonie dans son Église. Nous nous sentons peu capables de relever la tête. C’est Dieu seul qui peut nous ressusciter, c’est Lui seul qui nous relève et de qui nous pouvons attendre le Salut.

Mes frères, si Dieu nous a choisis pour être ici-bas, dans ce monde-ci, le germe de son royaume, cela ne nous protège en rien de la vulnérabilité du monde dont nous faisons partie. L’Église ne participe au Salut de tous qu’en s’unissant à la croix du Christ. L’Église n’assume donc pleinement sa vocation ici-bas que lorsqu’elle se tourne vers les plus plus blessés, les plus fragiles, les plus vulnérables, vers les pécheurs, les malades, les pauvres, les isolés. Elle sait alors qu’il lui faut compter sur Dieu, compter avant tout sur l’amour de charité qui est Dieu.

La leçon que nous donnent les plus vulnérables est vitale pour l’Église elle-même. Sans eux, notre foi se perd dans des spéculations vides et notre témoignage n’est pas audible.

« La connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer » (Is 11,9). Connaître Dieu, Dieu qui est Amour, est notre principale richesse si nous accueillons sa Révélation. Mais cette connaissance ne sera totale pour nous que lorsque nous aurons fait l’expérience finale du Salut, à la fin des temps. Nos expériences anticipées d’avoir été sauvés par le Christ sont des germes de connaissance de Dieu. Elles nous encouragent à attendre le Salut final et à y œuvrer patiemment, jour après jour, humblement, en éprouvant le mystère de la croix. Les grâces reçues ne doivent pas nous enorgueillir comme les pharisiens et les sadducéens qui étaient persuadés de tout connaître du mystère de Dieu et venaient se faire baptiser comme on vient faire ses courses, sans produire de nouveaux et dignes fruits de conversion.

«  La connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer » (Is 11,9). Comment les eaux recouvrent-elles le fond de la mer ? Sans rien empêcher d’y sombrer mais avec tellement de densité, de silence, d’humilité, qu’un monde vivant inimaginable s’y développe, avec une liberté douce et légère. La connaissance de Dieu n’est pas accessible à ceux qui fuient les bas-fonds, à ceux qui cherchent seulement les succès et les paillettes, à ceux qui restent à la surface et fuient le mystère de la croix ou qui pensent n’avoir pas besoin de conversion.

Mes frères, le temps de l’Avent au cœur duquel notre jubilé se termine nous ouvre sur l’espérance, l’attente confiante de Dieu. Le Verbe fait chair dont nous célébrerons le premier avénement à Noël va revenir répandre dans tout le pays la connaissance de Dieu pour nous libérer de toute injustice et de toute corruption. Il va nous libérer de tout ce qui nous alourdit.

Notre mission de chrétiens dans le monde actuel nous place souvent en contradiction mais nous engage aussi à aimer davantage, surtout les plus pauvres, car ils nous révèlent ce que nous sommes vraiment : des êtres vulnérables qui comptent sur Dieu.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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