Toussaint 2021

Cathédrale de Cahors

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

Nous fêtons tous les saints, c’est-à-dire tous ceux qui ont su mettre leur confiance en Jésus-Christ et dont les actes ont été en accord avec cette confiance totale. Ils ont vécu non pour accumuler des plaisirs et des bons moments sur cette terre, mais pour accueillir l’Amour de Dieu et le répandre autour d’eux, sans attendre d’autre récompense que les joies du ciel.

Leur bonheur éternel est étroitement lié au paradoxe des béatitudes : heureux les pauvres, heureux ceux qui pleurent, ou heureux les persécutés pour la justice. N’oublions pas, cependant, les forces de réalisation qui sont aussi dans les béatitudes, heureux les doux, les miséricordieux, les cœurs purs et les artisans de paix. Il est sans doute plus facile de goûter cette joie simple de la douceur ou de la tendresse dans nos relations, de la miséricorde qui consiste autant à faire du bien aux plus vulnérables qu’à pardonner à ceux qui nous blessent ou nous déçoivent, le joie de sentir notre cœur unifié par des désirs purs, par l’amour du bien et du respect de chaque personne ou encore d’être artisan de paix, de parvenir à aider les autres à se réconcilier. Aussi exigeants soient ces chemins, ils apportent le bonheur à ceux qui les suivent. Nous le savons. Même si nous savons aussi que, sur cette terre, c’est souvent à recommencer.

Le bonheur des pauvres est moins évident. Quand on se sent faible, sans ressource, seul et en difficulté, la joie n’est pas forcément là. Encore moins lorsque nous pleurons, même s’il existe des larmes rédemptrices car, après le repentir pour nos péchés, ces larmes sont promesses d’une conversion, d’une vie meilleure, plus vertueuse et plus apaisée. Le combat pour la justice est tellement difficile dans notre monde que là aussi, même quand on sait que l’on poursuit une juste cause, la joie est mêlée de tant de peines. Pourtant, ce à quoi nous invite Jésus, c’est justement à savourer la joie qui demeure même dans la pauvreté, les larmes ou les moments d’échecs. Pourquoi ? Parce que « votre récompense sera grande dans les cieux ».

Une autre image nous en est donnée et c’est celle du sang versé du Christ. Le Christ a versé son sang sur la croix pour nous sauver. Aussi, lorsque le livre de l’Apocalypse nous dit que la foule immense, des gens de toutes nations, tribus, peuples et langues, vêtus de robes blanches, chantent dans le ciel la gloire de Dieu, autrement dit, partagent le bonheur éternel de Dieu et, cela parce qu’ils « ont lavé leur robes, ils les ont blanchies dans le sang de l’Agneau », nous retrouvons ce même paradoxe. Et nous voyons que si ce paradoxe fonctionne, ce n’est pas parce que la pauvreté, les larmes ou l’échec sont de bonnes choses en elles-mêmes ou soient capables d’apporter de la joie par elles-mêmes. Mais c’est bien plutôt parce que ces choses ont été portées par le Christ Jésus lui-même. Dieu lui-même s’est fait pauvre pour épouser nos pauvretés, Il a pleuré nos péchés pour nous qui ne les pleurions pas assez, Il a connu l’échec dans sa prédication et au milieu de son Peuple qui l’a renié et n’a pas reconnu en lui le Sauveur envoyé par Dieu. Mais alors, parce qu’il a vécu plus que quiconque les béatitudes, parce que Jésus-Christ a versé son sang —son sang à Lui—, l’Agneau de Dieu, a donné son éclat aux vies humaines les plus paradoxales de ceux qui ont cru en Lui. C’est Lui le bonheur des saints. C’est Lui notre bonheur et notre Salut éternel. Voilà ce que les saints ont choisi de vivre et qui fait aujourd’hui leur bonheur éternel.

Quand Jésus a versé son sang sur la croix, ça a été la débandade dans le groupe de ses disciples. Il est assez facile de voir que nous vivons aujourd’hui quelque chose d’analogue dans l’Église en France, comme dans le reste de l’Europe et en Amérique du Nord. Les statistiques depuis pas mal d’années nous le disaient, mais aujourd’hui nous voyons tous notre petit nombre. Parallèlement à ces forces centrifuges liées, entre autres, à une culture matérialiste qui perd le sens de Dieu, nous avons tous en tête de nombreux scandales. Le rapport récent sur les violences sexuelles dans l’Église renforce encore notre sentiment de faiblesse, de pauvreté et d’échec, il suscite nos larmes en pensant à toutes ces victimes qui auraient dû trouver la joie du Christ dans l’Église et n’y ont trouvé que la manipulation, l’agression sur leur corps d’enfant et trop souvent l’incapacité à les écouter. Quand des gens aujourd’hui et ces dernières décennies ont pris des distances avec l’Église, ce n’était pas à cause de pressions extérieures car on est libre de venir à l’Église (sauf pendant les périodes de confinement, mais cela ne dure pas indéfiniment). Ceux qui se sont éloignés l’ont fait volontairement. Et cela est d’autant plus troublant, inquiétant. Comme le sang du Christ qui a coulé de son corps blessé et a fait perdre peu à peu la vitalité à ce corps, jusqu’à ce qu’il finisse par s’étouffer sur la croix.

C’est vrai que, de nos jours, la pression sociale pour abandonner l’Église est au moins aussi forte que celle qui dominait jadis pour y rester. Mais aujourd’hui comme hier, les raisons d’espérer sont que le Christ a versé son sang et qu’après sa mort, Dieu l’a ressuscité. L’Église, qu’elle soit persécutée de l’extérieur ou qu’elle ait parfois tendance à imploser de l’intérieur, n’existe que par la miséricorde de Dieu. Lorsque nous oublions cela, lorsque nous voulons que le Salut vienne d’autre chose que de l’amour de Dieu contemplé et reçu et de ce même Amour qui vient transformer nos cœurs pour faire du bien aux autres, gratuitement, avec le plus grand respect, lorsque nous oublions cela, nous défigurons l’Église et le sang du Christ coule désespérément. Mais le chemin que nous ont montré les saints a consisté à vivre les simples et évidentes béatitudes de la douceur (qu’on peut aussi appeler délicatesse), du combat pour justice, de la miséricorde (qui est une bienveillance sans réserve envers toute créature sous le ciel), de la pureté d’intention et de cœur (qu’on peut aussi appeler désintéressement, gratuité, droiture de l’âme), de la construction patiente de la concorde et de la paix. L’Église est sainte parce qu’elle contient en elle-même, non seulement des pécheurs qui rendent incompréhensible sa vraie nature, mais aussi des saints, des hommes et des femmes qui, par grâce, c’est-à-dire avec l’énergie spirituelle de la Miséricorde, vivent de la sainteté de Dieu. Les saints témoignent pour nous de la joie des béatitudes. Ils sont plus nombreux que tous les calendriers du monde ne pourraient jamais les contenir. Parfois, ce sont des saints tout ordinaires, qu’on ne voit presque pas tant ils fuient la représentation et le spectaculaire. Mais le bien qu’ils font, l’amour qu’ils portent en eux et qui rayonne autour d’eux, sauve le monde avec la grâce du Christ.

Demandons au Seigneur, cette grâce pour nous. Que le sang du Christ nous purifie de tout péché et qu’il nous permette un jour de laver nos robes pour que, blanchis dans le sang de l’Agneau, nous chantions éternellement notre bonheur et la grandeur de Dieu qui en est la source. « Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles sans fin, Amen ».

Mgr Laurent Camiade,
Evêque du diocèse de Cahors

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