Solennité du Christ-Roi

Cathédrale de Cahors. Dimanche 20 novembre 2022

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

Nous regardons aujourd’hui la royauté du Christ. Les références dans les Écritures ne manquent pas pour évoquer ce thème, pourtant très ambigu. David, choisi par Dieu, oint par le prophète Samuel alors qu’il est encore adolescent, devient réellement roi quand le peuple vient le chercher à Hébron en se rappelant qu’il a remporté bien des victoires. C’est ce que nous avons entendu dans la première lecture. La royauté du Christ, le fils de David, est évoquée dans la lettre aux Colossiens. Saint Paul contemple la souveraineté de Jésus sur l’ensemble de la création, le monde visible et le monde invisible. La sensibilité écologique actuelle peut y voir, une fois de plus comme dans beaucoup de passages des Écritures, le signe de la dignité de toute créature et un appel à situer l’homme non pas comme un maître tyrannique de la nature, mais comme une créature parmi les autres, avec sa responsabilité propre pour faire fructifier et pour protéger la terre. Enfin, l’Évangile entendu ce matin montre comment la royauté du Christ n’est jamais tant affirmée que lorsqu’il va mourir sur la croix, que l’on se moque de lui, qu’il paraît impuissant, mais qu’il promet le Paradis au larron qui l’a prié de se souvenir de lui dans son Royaume.

La royauté, dans l’histoire sainte, celle du roi David, est ambiguë au point que les prophètes n’en voulaient pas, mais c’est le peuple qui a voulu se doter de rois. Saül est un roi qui a mal fini. David qui lui succèdera, même s’il est une belle figure et un vrai témoin de Dieu, à cause de la violence de certaines heures de son règne ne méritera pas de bâtir un temple pour le Seigneur. Seul Salomon aura ce privilège, mais son règne de sagesse ne l’empêchera pas de trahir Dieu en se laissant séduire par des femmes étrangères qui détournèrent son cœur du vrai Dieu. Et le royaume terrestre d’Israël va bientôt se diviser. Les règnes terrestres sont souvent bien faibles. Mais dans leurs réussites car il y en a aussi, ils préfigurent quelque chose de l’avènement du Christ. Ainsi en est-il de tout pouvoir, de toute autorité humaine, dans la société comme dans l’Église. Elle porte en elle le meilleur et le pire. Les exemples ne manquent pas. Mais ce qu’il importe de regarder, de discerner, c’est comment Dieu nous conduit à travers ces médiations ambiguës et fragiles. La fragilité des pouvoirs terrestres nous rappelle que seul Dieu est digne d’une confiance totale et d’une obéissance inconditionnelle. Ceci est très important. En particulier, il n’y aurait pas eu tant d’abus dans l’Église si l’on avait enseigné mieux, aux enfants, aux jeunes, aux personnes fragiles, les limites de toute autorité humaine, même exercée au nom de Dieu. La fascination ou au moins l’admiration envers une personne qui a du charisme ou qui est investie d’une haute responsabilité n’est pas mauvaise en soi, mais elle ne doit pas aveugler sur la fragilité humaine de cette même personne. L’actualité nous l’a assez clairement rappelé. Cette fascination a parfois été telle que les victimes d’abus ne prennent conscience de ce qui leur est arrivé que très longtemps, parfois plusieurs décennies, après les faits. On parle alors d’emprise spirituelle.

Mes frères, la véritable autorité doit, au contraire de toute emprise, faire grandir la liberté intérieure de ceux sur qui elle s’exerce. Elle apprend à se libérer du péché. Le grand reproche fait aux rois dans la bible est d’avoir fait pécher Israël, d’avoir entraîné le peuple dans des actes et des célébrations contraires à la loi de Dieu. Ainsi, ils ont « fait ce qui est mal aux yeux du Seigneur ». Remarquons comment le roi David va recevoir l’onction à Hébron des tribus d’Israël venues le chercher pour qu’il soit leur roi : le texte nous dit qu’il « fit alliance avec eux ». Ce n’est pas une emprise ni une prise de possession mais un accord mutuel, une alliance. Et c’est bien ainsi que Dieu fait avec nous. Il propose de faire alliance avec ceux qui le cherchent. Il offre un lien d’amour qui fait grandir en dignité chaque partenaire. Il attend toujours patiemment notre consentement avant de régner sur nous. Pourtant, Lui qui sait mieux que nous et mieux que personne ce qui est bon pour nous, il aurait bien le droit de nous imposer ce bien. Mais jamais Jésus ne se présente de cette façon. Il est désigné souvent comme le fils de David car, comme David, il attend que nous venions le chercher pour régner sur nous, dans une alliance conclue en pleine maturité et en pleine liberté. Devant Pilate qui lui demandera s’il est roi, il le confirme sans ambiguïté. « Tu l’as dit ». Mais il précise que cette royauté est de nature spirituelle, céleste, exempte de l’ambiguïté de tous les pouvoirs terrestres. « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

L’Évangile d’aujourd’hui nous le fait comprendre également d’une façon assez précise. Il y a deux larrons qui entourent Jésus crucifié parce qu’il a été identifié comme « le roi des juifs ». L’un est enfermé dans le présent immédiat et demande à être sauvé immédiatement, c’est-à-dire détaché de sa croix : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! » Mais l’autre larron semble voir plus loin, il voit le Christ revenir en gloire pour inaugurer son règne définitif et il dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ». Il n’est pas enfermé dans le présent immédiat dans lequel il reconnaît d’ailleurs qu’il a bien mérité lui-même le châtiment qui lui est infligé. Mais il voit au-delà de cette vie immédiate. Il a compris que le Royaume du Christ est une réalité qui vient, un avenir. Il ne demande pas à être artificiellement libéré d’un présent qu’il a mérité, conséquence de ses actes personnels, mais il espère dans l’avenir que Jésus peut encore lui ouvrir. Il a parfaitement compris de quelle manière Jésus entend régner. Il règne dans une alliance, un lien d’amitié « souviens-toi de moi » et non pas un pouvoir magique qui nous déresponsabiliserait.

Ainsi le monde actuel, auquel l’Église est intimement liée, marqué par le péché, par les crises multiples qu’elles soient morales, sociétales, sanitaires, économiques, énergétiques ou géo-politiques, doit assumer dans le présent les conséquences des mauvais choix du passé, mais aussi continuer d’espérer, garder les yeux fixés sur le Christ-Roi de l’univers et sur les chemins de vie qu’il nous ouvre. Car, si nous sommes prêts à aller de l’avant, même avec de faibles forces, même avec une conscience entachée de regrets, il nous ouvre un chemin d’amour, un chemin de vie, un chemin d’espérance. Il ne nous laisse pas enfermés dans notre péché. Et comme au larron qui a gardé confiance en lui, il nous dit « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ». Pour l’homme qui va mourir sur sa croix, cet « aujourd’hui » prend un sens évident. Mais il s’adresse aussi à ceux qui vont continuer à vivre. « Aujourd’hui, tu seras » : c’est un « aujourd’hui » qui avance vers le futur. Nous continuons à porter ici-bas les conséquences de nos actes, à porter nos blessures peut-être, mais si nous sommes aujourd’hui et chaque jour avec Jésus, nous participons déjà au Royaume de Dieu, nous pressentons le parfum du Paradis et la joie de l’Évangile. Toute la force de la Bonne Nouvelle de Jésus, c’est que sa résurrection a déjà une actualité dans l’histoire. En nous promettant la vie éternelle et la résurrection finale, elle nous place dès aujourd’hui dans la joie de cette bonne nouvelle qui donne un sens à notre quotidien, qui nous permet dès à présent de marcher dans et vers l’avenir de paix et d’amour qu’il nous a rendu par sa miséricorde. C’est cela que nous appelons la « royauté baptismale » : par le baptême nous sommes déjà passés de la mort à la vie et nous sommes poussés intérieurement, contre vents et marées, en convertissant nos affectivités pour agir en vue du bien commun, pleins d’empathie avec les plus pauvres, en respectant la création, à louer avec enthousiasme le Seigneur, le Christ, Roi de l’univers qui seul peut combler la soif humaine d’admiration gratuite et de bonheur.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade

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