Rocamadour - Triduum marial - Consacrés, prêtres, diacres, MCR

Vendredi 6 septembre 2019.
Homélie de Mgr Camiade

Chers frères, chères sœurs,

L’Évangile évoque un clivage parmi les plus tendus dans la vie des êtres humains, le clivage entre l’ancien et le nouveau. Le vieux tissus et le vêtement neuf, le vin nouveau et les vieilles outres, la préférence humaine pour le vin vieux car, il faut bien le reconnaître, c’est le meilleur !

Nous pouvons sûrement sentir vibrer en nous quelques tensions lorsque nous entendons la lecture de ce passage de l’Écriture. Les Membres du MCR se disent peut-être qu’on va encore dire du mal des vieux et les mettre de côté, tandis qu’ils s’évertuent précisément à renouveler leur vie chrétienne en s’intéressant aux mutations culturelles concernant la famille l’année dernière, ou aux enjeux de choisir la vie dans la société actuelle pour le thème de cette année. Parmi les prêtres, les diacres et les consacrés aussi ou parfois plus encore, nous sommes bousculés par de profondes failles séparant les anciens et les modernes, dans un contexte culturel morcelé où on ne sait plus toujours ce qui est moderne ni ce qui est dépassé puisqu’à la fois aujourd’hui tout s’accélère et les vieilleries reviennent à la mode.

Pourtant, je ne suis pas sûr que ce soit l’objet des paroles de Jésus. Du moins, ce n’est pas, dans sa bouche, une prise de parti pour la perpétuelle nouveauté contre la tradition et le fixisme. Ni l’inverse. Il part de ce paradoxe, de cette tension que nous éprouvons tous —et qui souvent nous éprouve, pour nous proposer une nouveauté tout à fait nouvelle, toujours nouvelle en fait, et qui est d’un autre ordre : la nouveauté de sa présence parmi nous. « Pouvez-vous faire jeûner les invités de la noce, pendant que l’Époux est avec eux ? » L’enjeu est clairement d’être avec l’époux. Si l’époux n’est plus avec nous, dans l’épreuve, dans le temps de la pénitence, nous jeûnerons, oui. Mais notre joie ne se trouve pas plus dans la nostalgie que dans des nouveautés passagères et relatives à la mode d’une saison. Notre joie toujours nouvelle se trouve dans l’intimité avec le Christ-époux. Pour ceux qui ont consacré leur vie au Seigneur, cette vie en présence du Christ-époux revêt un caractère singulièrement crucial car c’est le cœur de nos existences.

Le pape François dit souvent que pour un prêtre ou une religieuse, perdre la joie de la présence du Seigneur, c’est vraiment grave. Dans Christus vivit (CV), son exhortation apostolique adressée aux jeunes. Par exemple : « L’Eglise du Christ peut toujours succomber à la tentation de perdre l’enthousiasme parce qu’elle n’écoute plus l’appel du Seigneur au risque de la foi, l’appel à tout donner sans mesurer les dangers, et qu’elle recommence à chercher de fausses sécurités mondaines » (CV n° 37). Il donne même à ce sujet aux jeunes une sorte de mission vis-à-vis des consacrés : « quand vous voyez un prêtre en danger, parce qu’il a perdu la joie de son ministère, parce qu’il cherche des compensations affectives ou qu’il est en train de perdre le cap, ayez le courage de lui rappeler son engagement envers Dieu et avec son peuple, annoncez-lui, vous-mêmes, l’Evangile, et encouragez-le à rester sur le bon chemin » (n°100). C’est valable aussi pour les religieuses.

En revanche, pour le pape, il est certain que le Christ « nous permet de relever la tête et de recommencer, avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut toujours nous rendre la joie » (CV n° 119 // Evangelii gaudium n° 3). Le Christ-époux en présence de qui il n’est pas question de jeûner tant qu’il est avec nous, est aussi le Christ-ami qui fait partager le bonheur de sa résurrection à tout chrétien, quel que soit son âge : « Contemple Jésus heureux, débordant de joie. Réjouis-toi avec ton Ami qui a triomphé. Ils ont tué le saint, le juste, l’innocent, mais il a vaincu. Le mal n’a pas le dernier mot. Dans ta vie, le mal non plus n’aura pas le dernier mot, parce que l’Ami qui t’aime veut triompher en toi. Ton sauveur vit » (CV n° 126).

La nouveauté du Christ et de l’Évangile n’a rien à voir avec le mépris de l’expérience des plus anciens. On doit au contraire toujours le respect à ceux qui ont œuvré avant nous car même si nous n’avons pas à faire comme eux puisque les temps changent, cela reste en grande partie à travers eux le Seigneur ressuscité nous a fait goûter sa présence. Quand Jésus dit que celui qui a goûté le vin vieux ne veux plus boire le vin nouveau, il ne se moque pas de cela car, il sait très bien que c’est vrai. Au moins pendant quelques années, le bon vin se bonifie. Vivre sans racines et sans respect pour ceux qui nous ont précédés, c’est devenir perméable à tous les excès, à toutes les déviances, au zapping des idées éphémères, sans capacité à exercer un discernement. C’est en fin de compte se prendre pour Dieu, pour le maître des choses qui croit pouvoir tout construire par lui-même, voire même se reconstruire par soi-même. Cela, cette idéologie de la table rase et du constructivisme, fait trop de dégâts aujourd’hui. A chacun de nous de puiser du neuf et de l’ancien dans ce que nous donne le Seigneur.

Mais, plus encore, parce que nous devons accueillir la nouveauté et la joie de Jésus vivant auprès de nous, il nous faut être capables pour cela de renoncer à ce qui, en nous et dans les choses auxquelles nous tenons, est un frein pour cette amitié vivante avec le Christ. Surtout dans notre société envahie par les progrès techniques, plus les années passent et plus nous sommes tentés de nous installer dans le confort et de ne plus entendre les besoins ni les appels de nos frères. Plus les années passent et plus nous pouvons croire que nous savons comment nous y prendre et comment il ne faut pas faire… comme si la Mission dépendait principalement de nos techniques, de nos plans ou de nos idéologies. Pareille vision favorise l’éclatement, les querelles sempiternelles entre les anciens et les modernes, la mésestime mutuelle et, plus profondément encore, le dessèchement de nos motivations, donc, le découragement, l’amertume et la sinistrose.

La Vierge Marie doit rester pour nous un modèle, au moment même où sa vie bascule et où elle apprend qu’elle va être la mère du Sauveur, que fait-elle ? Elle ne pense pas à ses projets personnels ni au papier peint de la chambre du petit Jésus, ni à choisir les couches anti-fuites, ni le parc à bébé qualité Premium repliable en 4 secondes, non, elle se met en route rapidement vers la montagne pour rendre service à sa vieille cousine enceinte de 6 mois. La présence en elle du Christ, de l’époux qui la remplit de joie et qui est la plus grande nouveauté de toute l’histoire du cosmos la pousse au service, à la charité fraternelle. Cette nouveauté du Christ se reconnaît à ce qu’elle nous fait sortir de nous-mêmes, elle nous élève le cœur et nous ouvre aux appels de Dieu qui s’expriment dans les besoins des plus fragiles.

Le sanctuaire de Rocamadour, agrippé au flanc d’une faille naturelle qui coupe le Causse en deux montre comment la Vierge Marie veut agir dans le creux des failles de nos existences et même dans les failles entre l’ancien et le nouveau. Elle vient nous y réconforter en les habitant de la joie du Christ-Sauveur.

En cette semaine mariale, confions à l’intercession de la Vierge Marie tous nos projets, qu’ils ne s’accomplissent jamais avec cette illusion que nous pourrions les maîtriser ni même en réaliser la moindre part de manière féconde sans la présence aimante du Christ-époux, du Christ-ami, du Christ vivant qui nous donne vie et joie de façons toujours nouvelle.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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