Rocamadour - Messe pour la sauvegarde de la création

Dimanche 19 Septembre 2021
Rocamadour - Messe pour la sauvegarde de la création

Mes frères,

« Celui qui veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous. » (Mc 9,35)

Nous avons peut-être déjà entendu cette parole dérangeante de Jésus. Elle semble mettre tout sans dessus-dessous. Avec notre sens naturel de la justice, nous aimons bien, sûrement, que les choses soient dans le bon ordre, que les premiers soient les plus méritants, que les serviteurs servent et que les chefs commandent. A l’inverse, dans la culture moderne, l’égalité est devenue un principe idéologique fort qui paraît déjà remettre en cause cette vision spontanée du bon ordre social. Mais nous voyons bien que, dans la pratique, si les lois prétendent de plus en plus préserver l’égalité des droits humains, elles préservent plus encore tout ce qui apparaît comme des forces de progrès, elles mettent en avant ceux qui réussissent, ceux qui sont « en règle », aussi bien sur le plan sanitaire que sur le plan administratif. Mais nos lois rejettent ou marginalisent aussi les plus petits, les migrants, ou tous ceux qui n’entrent pas dans nos cadres, les embryons non désirés ou même ceux qu’on ne supporte pas de voir souffrir ou de peser indéfiniment sur notre système de santé ou sur notre système social. L’égalité est un fabuleux rêve moderne qui sert les idéologies libertaires mais on peut se demander si on y croit vraiment, si on considère vraiment l’égale dignité de tout être humain.

Or Jésus va beaucoup plus loin que le principe d’égalité quand il dit : « Celui qui veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous ». Il inverse complètement l’échelle des valeurs. Il ne propose pas une hypothétique égalité, mais il appelle à prendre la dernière place, à se faire petit, à se faire serviteur. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait lui-même, d’une manière que nul n’a jamais pu imiter à ce point. Car il partait de plus haut, lui, le Fils de l’homme (ce qui désigne dans la culture biblique, une figure transcendante, cf. Dn 7,13), qui va être livré aux mains des hommes. Lorsqu’il annonce cela aux disciples, ils sont tellement désorientés qu’ils en viennent à se demander les uns aux autres lequel d’entre eux est le plus grand. Ils n’ont peut-être entendu que l’expression « Fils de l’homme » qui a évoqué pour eux l’identité surnaturelle et divine de Jésus et ils se préparent à partager sa gloire, mais avec l’aveuglement que produit en eux l’ambition et le désir de réussite et de vaine gloire. C’est pour les reprendre que Jésus formule ici son équation inversée : « Celui qui veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous ».

Cette inversion (on pourrait mieux dire : conversion) est un appel à servir et non à être servi. C’est aussi, et plus profondément encore, un appel à entrer dans la logique de Dieu qui est une logique d’abaissement et d’humilité. En cette saison de la création (le mois de septembre est la saison de la création pour toutes les églises chrétiennes, c’est l’occasion maintenant chaque année d’une célébration œcuménique de la beauté de la création et d’une prière œcuménique pour la préservation de notre maison commune), cet appel de Jésus nous encourage à ne pas considérer notre place —la place des humains— notre place dans la création comme une domination tyrannique, mais bien comme un service de la maison commune de toute l’humanité. Cela change radicalement notre vision du monde, si nous méditons sur cette vocation des hommes à servir leurs frères en servant la maison commune de toute l’humanité et en respectant la vie comme un don de Dieu.

Car c’est bien le projet de Dieu qu’il faut regarder, plus encore que les catastrophes annoncées à cause du dérèglement climatique ou de l’épuisement des ressources. Dans son encyclique Laudato si sur la sauvegarde de la maison commune, le pape François, après avoir rappelé longuement les alertes bien connues du mouvement écologique, écrivait ainsi : « L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures. La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur. » (n° 83)

Autrement dit, à ceux qui déplorent que l’homme ait une tendance lourde à détruire le reste de la planète, il faut répondre que oui, c’est vrai, mais que l’homme est aussi la seule créature ici-bas qui soit capable de travailler à la réparation de la nature avec une vision globale et spirituelle. L’homme est la seule créature qui soit capable de convertir ses habitudes et de réparer le mal qu’il a fait. Et, par la puissance du Christ, il peut « reconduire toutes les créatures à leur Créateur ». C’est sa vocation ici-bas. Aussi pécheurs sommes-nous, aussi blessés sommes-nous et malgré notre sentiment d’impuissance trop fréquent, nous ne sommes pas seuls, nous avons le Christ. Avec lui et en vue de « reconduire toutes les créatures à leur Créateur », nous pouvons faire, même de petites choses, pour participer à la réparation de la nature. Nos petits gestes écologiques ont ainsi une grande portée spirituelle, un peu semblable à celle de nos petits efforts de réconciliation avec ceux de nos frères et sœurs humains à qui nous avons fait du tort. La saison de la Création est là pour nous aider à nous souvenir que tout est lié et que le Christ est mort pour nous sauver. Et en contemplant le projet de Dieu, nous pouvons nous émerveiller de voir dans la nature le Gloire du Créateur.

En plaçant un petit enfant au milieu des disciples pour leur dire de l’accueillir comme ils accueilleraient le sauveur (Mc 9,36-37), Jésus nous pousse à réaliser que l’avenir en ce monde n’est jamais aussi désespérant que nous pourrions l’imaginer. L’enfant est promesse de vie. Il est une chance nouvelle pour des comportements humains vertueux et réparateurs. Celui qui paraît le plus petit, le plus démuni est souvent aussi celui qui nous sauve. Et cela, parce qu’en lui, nous pouvons voir une présence du Christ, l’unique sauveur. Le Christ s’est présenté comme un enfant, « le fils de l’homme » car il est le Fils par excellence, le Fils de Dieu qui s’abaisse même dans son humanité. Il montre un chemin de vie qui est, certes, révolutionnaire, mais qui n’en est pas moins vital.

O Seigneur, par l’intercession de Notre-dame de Rocamadour, « apprends-nous à prendre soin de toute la Création, protéger toute vie et partager les fruits de la terre. Apprends-nous à partager notre travail humain avec nos frères et sœurs, surtout avec les pauvres et les personnes dans le besoin. Accorde-nous de rester fidèles à ton Évangile à offrir avec joie à notre société dans différents pays à travers les continents l’horizon d’un avenir meilleur rempli de justice, de paix, d’amour et de beauté. Amen. »

+ Monseigneur Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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