Rameaux et Passion. Homélie de Mgr Camiade

Dimanche 28 mars 2021
Église Saint-Pierre de Gourdon

Mes frères,

Chaque année, la liturgie de l’Église nous met devant ce contraste immense : le roi du ciel et de la terre que les foules acclamaient avec des rameaux, « Hosanna, au plus haut des cieux ! » (Mc 11,10), devient un condamné à mort dont tout le monde se moque : « Salut roi des juifs » (Mc 15,18) ironisent les soldats après lui avoir planté sur le crâne une couronne d’épines. « Sauve-toi toi-même et descends de la croix ! » (Mc 15,30), raillent les passants. «  Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même » (Mc 15,31) persiflent les grands-prêtres et les scribes. Et saint Marc raconte : « même ceux qui étaient crucifiés avec lui l’insultaient » (15,32). Mais bientôt les rieurs s’éloignent et les crucifiés s’essoufflent. Jésus est comme seul. Il crie d’une voix forte : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (15,34) S’est-il rendu compte que pour compléter la dérision quelqu’un est encore allé lui donner du vinaigre à boire ? (Cf. 15,36) Par delà la déception qu’il aurait pu éprouver face à l’absence totale d’empathie des humains qui l’entourent —mais Jésus savait depuis longtemps combien la foi des hommes est fragile (cf. Jn 2,24), il y a maintenant la mort qui approche. Déjà, depuis la veille au soir, au jardin de l’agonie, Jésus est triste à mourir (cf. Mc 14,34). Il a été flagellé, couronné d’épines, a suivi le chemin de la honte jusqu’au calvaire, puis a été fixé à la croix. Mais mourir est encore une autre chose que souffrir. Car rien en ce monde ne peut réparer ni soulager l’épreuve de la mort. La mort révèle l’incapacité, l’impuissance, la faiblesse humaines. Dieu seul peut relever de la mort.

Mes frères, la période assez longue de la pandémie actuelle confronte toute l’humanité à cette impuissance. D’une manière unique, tandis que nous vivions dans une culture qui fuyait la mort, qui la cachait dans des funérarium retirés et qui faisait tout pour nous en distraire, voici que la limite ultime de notre existence s’est invitée dans notre quotidien et qu’elle nous fait peur. N’est-ce pas cette peur de la mort qui, dans les temps que nous traversons, exacerbe les ressentiments et les malaises déjà présents dans notre société ? Les communautés chrétiennes elles-mêmes en sont profondément bousculées, non seulement parce que nous avons connu une longue période d’interdiction de nous réunir pour prier ensemble, mais aussi parce que nos anciens, ceux qui semblaient des piliers indestructibles de nos assemblées habituelles ont brutalement disparu à nos regards. Beaucoup d’entre eux ne sont pas revenus à l’église après le confinement car ils restent dans la peur ou il leur a été déconseillé de venir ou même, cette épreuve les a trop affaiblis et a eu raison des énergies qui leur permettaient de braver le dépérissement de leur corps pour sortir, aller vers les autres, aller à l’église et tenir cette régularité hebdomadaire qu’on leur avait enseignée dès l’enfance.

Devenir chrétien, disciple de Jésus-Christ, cela prend tellement de temps dans une société sécularisée ! Ceux qui viennent le plus dans les églises aujourd’hui sont souvent ceux qui ont suivi un long chemin de découverte ou de redécouverte de l’amour et de la tendresse de Dieu. Mais les plus trempés, ceux qui en ont vu le plus et qui étaient toujours là ont dû s’effacer ces derniers mois, ils ont dû rester chez eux, s’y morfondre peut-être, s’y réfugier pour ne pas exposer leur vulnérabilité physique à la contamination. Leur absence crée un vide, un manque pour nos communautés ! Le pire, c’est peut-être aussi que nous avons dû admettre qu’aller visiter les vieux, c’était les mettre en danger ! Ainsi, notre société qui veut tout protéger, tout préserver, n’a pas pu éviter, ces derniers mois, un contact étrange avec la mort. La mort des malades du Covid, mais aussi la fin de quelque chose dans l’histoire de notre société profondément marquée par la foi chrétienne. Les forces antichrétiennes se font aussi entendre aujourd’hui, comme elles le faisaient au pied de la croix de Jésus. Les faiblesses et les péchés des membres de l’Église s’ajoutent encore à notre honte et à nos sentiments de profonde tristesse, de même que les disciples dormaient à l’agonie ou avaient fui au moment du Golgotha. Or, justement, la force du Christ, c’est d’épouser notre faiblesse, de mourir avec nous, de mourir pour nous. Alors toutes les forces, visibles ou invisibles, qui s’acharnent, aujourd’hui encore, contre lui et ses disciples, ne font que servir le témoignage de la force de Dieu qui est donnée dans la faiblesse. « Obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix », Jésus a été « exalté » (cf. Ph 2,8 & 9). Dieu lui a donné le nom qui surpasse tout nom : Jésus-Christ, Seigneur, à la gloire de Dieu le Père !

En célébrant la semaine sainte et les fêtes pascales, laissons-nous toucher par la joie de l’évangile. Le pape François en parlait ainsi : «  La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours » (La joie de l’évangile n°1). Émerveillons-nous de la proximité de Dieu qui a connu la mort par amour pour nous, pour nous rejoindre justement dans notre impuissance et dans nos faiblesses, dans notre vide intérieur et dans notre radicale incapacité à lutter seuls contre les forces de mort qui sont dans ce monde. Les foules qui criaient « Hosanna » en acclamant Jésus exprimaient toute leur confiance en Lui. L’expression hébraïque « Hosanna » signifie « Sauve, nous t’en prions ». C’est autant une supplication qu’un acte de confiance, un acte de foi en Jésus-Sauveur. L’amour de Jésus révélé pendant le drame de sa Passion où il a librement plongé dans les bas-fonds de l’horreur et de l’angoisse humaines, doit finalement nous redonner le courage et la joie de vivre. « N’ayez pas peur ! » a répété Jésus tout au long de ses rencontres. Il est venu pour la vie, pour nous sauver des angoisses de la mort. Dieu n’a pas abandonné l’homme à la mort et nous sommes invités à croire de toute notre âme qu’il nous ressuscitera au dernier jour.

Hosanna —Sauve, nous t’en prions— hosanna au plus haut des cieux !
Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors

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