Pèlerinage diocésain des familles au Mont St Joseph 2023

Lundi 1er mai 2023.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

La fête de saint Joseph travailleur nous réunit cette année sur un arrière-fond de grande contestation sociale, puisqu’a été annoncée, pour aujourd’hui encore, de grandes manifestations de mécontentement face à la réforme des retraites. Au-delà de la complexité de ce mécontentement, en ce jour de la saint Joseph, artisan de Nazareth, nous pouvons réfléchir au sens que nous donnons à notre travail, au fait de travailler.

La Bible présente la création comme une réalité belle et bonne, voulue par Dieu et pleine de potentialités. Elle est confiée à l’homme. « Remplissez la terre et soumettez-la » dit Dieu au premier chapitre de la Genèse. Comme l’a fait remarquer le pape François dans son encyclique Laudato si, sur la sauvegarde de la Création, cette consigne « soumettez la terre », a parfois été mal comprise, comme si la terre nous était donnée comme un objet à notre disposition dont nous pourrions faire n’importe quoi. La crise écologique arrive et conteste frontalement cette fausse interprétation de la bible. Si l’homme se croit tout-puissant et qu’il conçoit sa liberté comme une tyrannie sur le reste de la création, on va à la catastrophe. Hélas, la puissance technique à laquelle nos progrès scientifiques nous ont conduit rend possible aujourd’hui, une destruction massive de notre planète. L’idée de soumission, si elle est comprise comme une tyrannie de l’homme sur sa planète conduit au désastre. Mais, encore une fois, ça c’est une perversion de l’idée même de la liberté. La bible nous apprend que l’homme est créé libre par Dieu, mais sa liberté a vocation à se mettre au service du bien commun de toute la création. Elle doit contempler la bonté de la création. Cette bonté que le premier chapitre de la Genèse révèle avec une insistance forte : « Dieu vit que cela était bon ».

Si l’homme croit devoir prendre la place de Dieu, il s’égare et suit la suggestion du serpent tentateur. A l’inverse, Dieu, au second chapitre de la Genèse, confie à l’homme le jardin d’Eden pour qu’il le travaille et le garde (cf. Gn 2,15). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’expression « soumettez-la », dans le sens d’un travail et d’une préservation, d’une attention protectrice et une responsabilité.

Ici se précise bien le sens du travail humain. Il s’appuie sur la générosité de la création qu’il est appelé à travailler, à cultiver comme un cultive un jardin, à entretenir, à protéger et à développer en vue du bien de tous. Avons-nous conscience de travailler pour le bien commun ? Considérons-nous notre travail comme un service de la planète et de nos frères et sœurs humains ou bien simplement comme un gagne-pain ou comme une pénitence ? Après le péché, le travail prend une dimension de pénitence : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3,19). Mais à l’origine, il n’en est pas ainsi. C’est parce que nous sommes pécheurs que le travail peut devenir ce gagne-pain pénible, abêtissant, dépourvu de sens et dont nous n’espérons qu’une chose, c’est que cela s’arrête le plus tôt possible ! On rêve même aujourd’hui que les machines et les intelligences artificielles fassent tout notre travail à notre place. Mais jamais une machine ni un ordinateur ne pourra exercer une responsabilité sur la création. Seul l’homme est responsable.

La semaine dernière, pendant le pèlerinage diocésain à Lourdes, j’ai pu échanger avec un groupe de jeunes qui s’étaient mis au service des malades dans le cadre de l’hospitalité. Chacun à sa manière a exprimé sa joie de s’être mis pendant quelques jours au service des malades. « Je me sens utile » a dit une fille, aussitôt imitée par une autre qui avait eu le même sentiment. Quel bonheur de faire quelque chose pour les autres ! Quelle joie de voir, dans le regard des personnes malades, une reconnaissance même pour un simple sourire ou pour avoir ramassé une couverture qui tombait par terre. Pour des garçons, tirer ou pousser une voiture bleue comme il y en a à Lourdes est presque un jeu, cela ne coûte pas beaucoup, bien au contraire, mais savoir que cela sert d’autres personnes, que c’est utile, que cela fait du bien, quelle joie ! Sortir de soi, de son petit égoïsme et agir pour les autres, voilà qui donne de la joie !

Saint Joseph était un charpentier, l’évangile d’aujourd’hui nous le rappelle. Jésus était connu à Nazareth comme « le fils du charpentier ». On lui attribue même des frères et des sœurs, ce qui, dans le langage oriental peut désigner aussi bien des cousins que des camarades qui ont grandi avec lui et suivi l’école du village dans le même groupe. On sait que Joseph lui-même n’était pas le père biologique de Jésus, mais son père supposé, celui qui a donné à Jésus une place et une reconnaissance dans la société de son temps. Cette insertion était très importante, et saint Matthieu, au début de son évangile prend même le temps de détailler une généalogie de Joseph qu’il termine en mentionnant Jésus comme le fils de Marie, épouse de Joseph. Le travail de Joseph a participé à donner à Jésus une identité sociale, à faire de lui un homme comme les autres, bien inséré, socialisé pourrait-on dire. Cela participe au mystère de l’Incarnation de Jésus et ceci nous révèle une autre dimension du travail : sa participation à l’œuvre de la rédemption. Cette dimension-là est très discrète. Et le statut de Jésus, fils du charpentier, cache aussi, en un sens, son origine divine. D’où l’étonnement et même le rejet de ses contemporains qui ne comprennent pas d’où viennent la sagesse et les miracles (cf. Mt 13,54) de Jésus.

Tout cela nous montre que si le travail humain est important pour notre humanisation, dont notre socialisation fait partie, il ne dit pas tout non plus, par lui-même, de notre vocation humaine. La pénibilité de notre travail peut recevoir, par la grâce du Christ, une dimension rédemptrice. Si nous unissons les aspects difficiles de notre travail à la croix de Jésus, si nous les endurons par amour avec le Christ, ils ont aussi leur sens, un sens caché, qui dépend de notre liberté et de la grâce qui nous en est faite, mais un sens d’autant plus profond. J’ai conscience que dire cela aujourd’hui peut choquer ou être mal compris car nous sommes devenus intolérants à toute forme de douleur. La mauvaise compréhension serait de croire que plus notre travail est pénible mieux c’est ! Non, ce serait une perversion de penser ainsi, c’est du dolorisme et ce n’est pas chrétien. Mais comme subsiste toujours une part d’effort et, dans la mesure où il nous est possible de la supporter et qu’elle est inévitable, pourquoi ne pas l’offrir avec la croix de Jésus ? Cela ne dispense pas de chercher des moyens de rendre la tâche plus supportable et de lutter pour moins de pénibilité, ainsi que d’éviter de détruire notre santé. Mais nous savons aussi que des efforts bien dosés entretiennent notre bonne santé et stimulent notre corps aussi bien que notre moral, bien plus que la paresse et l’inactivité. Tout est une question d’équilibre, et bien sûr, selon les époques et les lieux où l’on vit, les manières de faire seront très différentes.

Par-delà cette relation du travail avec la croix du Christ, rappelons-nous que dans le ciel, nous ne travaillerons plus, en tout cas, nous ne nous fatiguerons plus. Notre activité consistera à contempler l’amour de Dieu en nous en émerveillant sans fin et à intercéder avec Jésus pour les pécheurs. Nous passerons notre temps à pénétrer ce regard de Dieu sur sa création : Dieu vit que cela était bon ! Y penser dès à présent nous permet d’apprendre, comme dit le psaume, « la vraie mesure de nos jours » (Ps 89,12). Et nous pouvons dès lors demander au Seigneur : « Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants » (Ps 89,14).

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

Photographies : Père Luc Denjean
(cliques sur les vignettes pour agrandir les photographies)

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