Dimanche 13 septembre 2020 à 16h, M. Xavier Dargegen a été ordonné Diacre permanent en l’Abbatiale St Sauveur de Figeac, par Mgr Laurent Camiade, évêque de Cahors.
– Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Mes frères,
Dieu n’attend pas des chrétiens qu’ils soient insipides, ni qu’ils soient pour le monde des rabat-joie insensibles et tristes. Au contraire. Le passage de saint Matthieu qui vient d’être proclamé et que Xavier a choisi fait suite immédiatement au célèbre énoncé des huit béatitudes. Heureux ! Heureux ! Heureux ! Huit fois ! C’est ce que Jésus nous annonce. Et après les béatitudes, vient ce message « vous êtes le sel de la terre » et nous comprenons que ce sel ne devrait jamais perdre son piquant.
Xavier et Magali avaient déjà choisi ce texte pour le jour de leur mariage : vous êtes le sel de la terre ! vous êtes la lumière du monde ! Ce sont des appels clairs à ne pas vivre à moitié pour apporter quelque chose de savoureux et de lumineux à ce monde.
Cela dit, le bonheur des béatitudes n’est pas un long fleuve tranquille : heureux les pauvres, heureux ceux qui pleurent, heureux les persécutés. Ce n’est pas un bonheur aseptisé. C’est un bonheur trempé dans la réalité d’un monde tourmenté. Un bonheur au cœur de l’existence, sans naïveté ni faux-fuyant.
Puisque d’une part, la joie du chrétien est faite pour donner du goût à la vie des autres et que d’autre part, cette joie doit s’incarner dans la réalité avec tous ses contrastes, nous pouvons comprendre la mission du diacre comme une tâche enthousiasmante et qui apporte une aide réelle à l’évêque et aux prêtres dans le service concret de toute la communauté.
Nous l’avons entendu dans la première lecture, tirée des actes des Apôtres, la raison d’être des sept premiers diacres a été de faciliter la disponibilité des Apôtres pour annoncer de la parole de Dieu (cf. Ac 6,2). Il s’agissait alors de s’occuper des veuves d’origine grecque qui avaient besoin d’un soutien quotidien et d’organiser de manière juste le service des tables. Le diacre n’a évidemment pas le monopole du service ni de l’équité au sein de la communauté chrétienne. Mais son ordination lui donne d’en être le signe permanent. Il porte en lui la grâce d’une configuration spéciale au Christ qui s’est fait le serviteur de tous et qui nous appelle tous à nous faire les serviteurs les uns des autres (cf. Jn 13,14).
La saveur véritable de la vie du chrétien, découle de sa charité envers tout homme, et plus particulièrement envers ceux qui sont éprouvés ou délaissés.
« Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » dit Jésus. Le sel chrétien s’affadit quand nous ne savons pas pleurer avec les personnes souffrantes. Si nous sommes insensibles ou distants et inattentifs aux difficultés du prochain et centrés sur nous-mêmes, sur notre désir de perfection ou de reconnaissance, notre sel a perdu son goût. Jésus n’a jamais eu ce comportement-là. Lorsqu’il souffre lui-même un niveau de douleur insupportable, cloué à la croix, apparaît sa sensibilité envers le bon larron qui lui demande la faveur de se souvenir de lui. Cloué à la croix, sa compréhension envers ceux qui l’insultent s’exprime : « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cloué à la croix, se révèle son souci de sa mère et du disciple qui est resté au pied de la croix : voici ton fils, voici ta mère (cf. Jn 19,26.27). À aucun moment de sa passion, Jésus ne cède à l’auto-référencement. Il ne souffre pas pour lui-même mais pour nous. Cette compassion prime sur toute recherche d’efficacité.
Mes frères, si nous laissons nos cœurs épouser la peine de ceux que nous rencontrons, nous avons alors le goût de nous mettre véritablement dans une attitude de service. C’est au service de cette transformation ecclésiale que le diacre doit fondamentalement se consacrer. Il a pour mission de rappeler à tous que nous ne sommes pas au service de nous-mêmes ni de stratégies conquérantes, mais au service de l’amour fraternel du Christ. Aimer nos frères n’a de réalité qu’habitée par le sel d’une sensibilité éveillée aux besoins réels de nos frères et sœurs, de tous ceux que nous croisons et au milieu desquels nous vivons.
« Celui qui pratique la miséricorde, qu’il ait le sourire » (Rm 12,8) dit saint Paul à la fin du passage de la lettre aux Romains entendu cet après-midi. Cette intériorisation de la joie de servir est une grâce à demander. Et le ministère diaconal doit nous inciter à développer cette joie. Cet exercice de transformation, fondé sur la sensibilité envers les plus pauvres, permet à la charité de devenir peu à peu naturelle et vraiment joyeuse. Le vrai service, la vraie diaconie de l’Église, se manifeste alors par des gestes délicats et humbles, répétés patiemment et cultivés en cohérence avec les émotions que suscite notre attention les uns aux autres. Ce sont ces gestes simples mais habités d’un amour authentique, sincère et de plus en plus spontané, qui peuvent éclairer le monde.
« Vous êtes la lumière du monde ». Une lampe est faite pour briller « sur le lampadaire ». Au temps de Jésus, les lampes n’étaient pas de puissants projecteurs crachant des milliers de watts, capables d’illuminer un terrain de foot ou une autoroute. C’étaient de petites mèches trempées dans un peu d’huile, mais qui, dans l’obscurité du soir, pouvaient éclairer toute une maison, pourvu qu’on ne les mette pas sous le boisseau. Comme pour toutes les autres paraboles de l’Évangile, cette image de la lampe placée sur le lampadaire souligne le contraste entre une réalité modeste (le petit groupe de disciples auquel Jésus s’adresse) et son rayonnement, la fécondité que Dieu lui donne. « Vous » êtes la lumière « du monde ». Il y a une disproportion manifeste entre « vous » et « le monde ». C’est cette disproportion qui fait ressortir que c’est vraiment Dieu, en réalité, qui éclaire le monde à travers vous. On a parfois cru devoir opposer les deux images du sel et de la lumière comme si elles s’excluaient. Mais l’une et l’autre expriment ce même mystère : une réalité simple qui atteint le monde entier. « Vous êtes le sel de la terre » n’est pas moins ambitieux que « vous êtes la lumière du monde ». Mais le sel souligne la dimension cachée de la vie de foi, à savoir ce mouvement intérieur qui part de la sensibilité aux personnes éprouvées, tandis que la lampe évoque des actes extérieurs modestes mais qui éclairent, en vertu du projet et de la puissance de Dieu.
Le diacre et sa famille sont simplement appelés à rester allumés, c’est-à-dire, non pas à être toujours performants mais à être toujours enracinés dans le Christ qui est la vraie lumière et qui fait briller nos petites lampes. Celui qui ne prie pas est éteint, ou caché sous le boisseau. Un boisseau, c’est une sorte de verre à mesure. Il sert à mesurer une quantité. Si on veut mesurer la quantité de charité d’un diacre ou la rentabilité de son ministère, le résultat risque d’être décevant. Mais l’enjeu n’est pas là. L’enjeu est de témoigner, avec toute l’Église, de la lumière du Christ qui motive nos cœurs pour servir. La lampe diaconale consiste, en particulier, en un effort humble pour imiter Jésus, venu pour servir et non pour être servi (cf. Mc 10,45). C’est-à-dire que le diacre a pour mission de regarder, à la manière de Jésus, vers le pauvre, vers celui qui a spécialement besoin d’attention et de bienveillance.
Cher Xavier, dans quelques instants vous serez diacre. Salez le monde qui vous entoure, donnez du goût à la terre, chaque jour, aussi bien en famille qu’au travail, par votre comportement attentif avec vos proches, avec vos collègues, vos subalternes, vos fournisseurs et vos clients, à travers une vraie recherche du bien commun. Et lorsque vous servirez à la messe ou présiderez des assemblées liturgiques, accomplissez ces fonctions en laissant voir qu’elles dépassent vos capacités humaines. Vous serez un simple instrument de la grâce du Christ. Le rayonnement de votre vocation au service sera l’effet de la lumière du Seigneur qui brille dans l’Église.
Servez avec joie en même temps le Seigneur et les hommes. Amen.
+ Mgr Laurent Camiade, évêque du diocèse de Cahors
Photographies : Patrick Resongles et André Décup