Noël 2021

La paille de la crèche, un bœuf et un âne, une mangeoire, un descendant de David qui arrive à Bethléem, ville de David, mais n’y trouve pas de maison pour y être accueilli… Devant ces images de banalité et qui campent un décor qui n’a rien de royal, comment ne pas s’étonner devant l’humilité de Dieu ? Les conditions de sa naissance auraient pu être celles de la naissance de n’importe qui. Pourtant, celui qui va naître, quand on lit la première lecture, a été annoncé comme un roi puissant, « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince de la Paix ». Les anges seront là pour l’annoncer aux bergers : « aujourd’hui, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». Mais même cette « grande joie pour tout le peuple » sera communiquée à des gens ordinaires, des gens du peuple, mais un peu marginaux, éloignés de la société car ils vivent « dehors » et passent « la nuit dans les champs » avec leurs troupeaux.

Dieu est Dieu, cela ne fait aucun doute ! Et ce qui surprend, c’est la modestie des commencements de l’œuvre du Salut. L’étoile de Noël semble n’être qu’une petite lueur dans la nuit d’un monde de violence et d’indifférence hautaine. On voudrait même, aujourd’hui, nous faire renoncer à nous souhaiter un joyeux Noël, de peur que ce vœu soit incongru pour ceux qui le reçoivent. Pourtant, la joie de Noël, nous ne pouvons pas l’imaginer autrement, est une « grande joie pour tout le peuple ». Elle n’a pas le droit d’être confinée ni d’être réservée à une élite. Et même pour ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne, la naissance d’un enfant venu pour apporter la paix au monde, comment peut-elle être regardée autrement que comme un événement heureux ? Le bon sens populaire le perçoit clairement, même dans nos sociétés sécularisées.

Pourtant, cette année, le Noël qui nous est donné à vivre reste marqué par des éléments bien pesants. L’ambiance sociale, sanitaire, politique, ecclésiale, les guerres ou autres tensions idéologiques, tout cela plombe notre capacité humaine à nous réjouir. Nous avons vraiment l’impression, cet hiver, de marcher dans les ténèbres. Heureusement, la prophétie d’Isaïe nous montre que c’est justement pour nous, dans notre réalité obscure, que la bonne nouvelle a été offerte : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9,1). Cette « grande lumière » restera probablement peu visible. Les conversations se focalisent sur ce qui va mal, sur ce qui nous inquiète et peut-être nos sentiments de culpabilité ou nos peurs de mal agir. Or, justement, la joie de Noël n’est vraiment perceptible que pour un peuple qui a conscience de ses ténèbres, de ses égarements, d’avoir besoin d’un Sauveur. Le terrible rapport de la CIASE publié début octobre nous a placés, même nous les catholiques et spécialement les ministres de l’Église, dans cette position redoutable de l’humiliation, de la honte, mais aussi de la volonté ferme de transformer nos façons d’agir en profondeur et durablement. Avant d’en voir les fruits, il faudra des années car nous savons aujourd’hui que les enfants victimes d’abus mettent souvent des années avant de parler et beaucoup ne se sont pas encore exprimés sur des traumatismes déjà anciens. Mais la lumière du Christ, l’innocence de l’enfant de la crèche, son humilité justement, nous apportent la confiance qui pourrait humainement nous manquer. Dieu n’entre pas par effraction dans le monde. Il frappe aux portes, il se laisse accueillir par ceux qui le veulent bien, il se laisse refouler par ceux qui n’ont pas de place pour Lui. Car telle est l’humilité du Sauveur. Telle doit être aussi notre humilité quand nous annonçons la bonne nouvelle, certes à temps et à contre-temps, mais sans violence et dans le plus grand respect de la liberté de chacun.

Dieu aime tellement notre humanité malgré ses péchés, qu’Il a vécu une vie d’homme. Il a pris ce temps, sans tapage, d’habiter une trentaine d’années de vie ordinaire. Il a fait confiance à la valeur surnaturelle des choses les plus naturelles et ordinaires de la vie. Manger, se vêtir, chercher un toit pour dormir. La manière dont nous vivons ces humbles choses du quotidien a donc du prix aux yeux de Dieu, puisqu’il n’a pas voulu se dispenser de le vivre. Il a voulu prendre notre humanité, comme le dit le prêtre ou le diacre dans la nouvelle traduction du missel, au moment où il mélange l’eau et le vin. Dieu s’est mêlé à notre humanité pour que nous soyons comme cette goutte d’eau qui se mêle au vin, à la saveur de sa divinité. Il a voulu prendre notre humanité.

L’Église ne connaît pas de meilleur chemin pour ouvrir son cœur à Dieu que celui de l’humilité. C’est le chemin même du Verbe divin dans l’Incarnation. Aujourd’hui encore le Fils de Dieu se rend présent pour nous. Il nous apporte sa lumière et ses germes de justice et de paix.

Aussi, ouvrons les yeux sur ces germes de lumière ! Puissions-nous ne pas limiter nos conversations familiales ou entre amis à la litanie de tout ce qui va mal, mais aussi parler de la générosité qui est à l’œuvre en ce monde, des efforts pour surmonter les crises (écologique, sociale, sanitaire, etc.). Je pense, par exemple, à ces soignants qui prennent sur leurs congés pour vacciner, soigner les nombreux malades, faire des tests ; je pense aussi aux artistes qui ont tant souffert des confinements mais s’efforcent encore d’œuvrer à la culture parce qu’ils savent que cela élève l’humanité ; je pense évidemment à tous les acteurs de l’humanitaire et de la fraternité avec les plus pauvres ; je pense à tous ces gestes simples d’amitié au moment des fêtes, aux vœux, aux cadeaux, au désir de bonheur qui grandit parfois simplement à la suite d’un petit coup de téléphone ; je pense également à nos catéchistes et animateurs de jeunes ou d’adultes en chemin vers la foi, à tous les bénévoles sans qui le témoignage de la foi serait presque invisible ; aux prêtres et aux séminaristes —j’ai eu la joie il y a quelques jours d’ordonner diacre Samuel, un jeune martiniquais qui a passé trois ans en insertion pastorale dans cette paroisse de Cahors ; tous ceux qui donnent leur vie, qui se donnent pour les autres… pour le peuple qui marche dans les ténèbres de l’égoïsme, des conflits ou autres tensions, ces modestes mais multiples petites lumières n’ont rien d’anodin. Ouvrons les yeux sur les lumières de Noël qui nous sont données et partageons-les autour de nous, vivons Noël en sortant de la plainte et du découragement par l’action de grâce et la joie de louer Dieu.

L’Église nous a donné ces jours-ci une nouvelle traduction française du missel romain, cela change quelques formules et enrichit notre prière. Savourons cette joie de louer Dieu avec plus de vérité et de foi ardente. La traduction précédente était marquée par son époque avec des simplifications parfois un peu desséchantes. En suivant de plus près le texte latin, la traduction nouvelle apporte de la chair, de la sensibilité et de l’émotion, une richesse symbolique d’images qui est bienvenue pour que notre prière commune soit plus ardente. Par exemple dans la prière eucharistique n° 2, l’intercession pour les défunts est bien plus affectueuse : nous disions « et pour tous les hommes qui ont quitté cette vie, reçois-les dans ta lumière auprès de toi » ; nous disons désormais, en suivant de plus près le texte latin : « et souviens-toi, dans ta miséricorde, de tous les défunts : accueille-les dans la lumière de ton visage ».

Que l’espérance, la louange et l’action de grâce nous apportent la vraie joie, la joie de Noël, la joie d’une lumière qui ne finira pas quand nous seront illuminés par le visage du Seigneur Dieu notre Père bien-aimé. Cette lumière qui n’est pas impersonnelle, mais qui a un visage, qui est un amour et une relation affectueuse, est pour ceux qui ont un cœur de pauvre, pour les humbles. Rendons grâces à Dieu pour l’humble lumière de Noël et pour la joie qu’elle nous offre !

Amen.

Monseigneur Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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