Messe de Requiem pour le Pape émérite Benoit XVI

Mercredi 4 janvier 2023. Messe de Requiem pour le Pape Benoit XVI en la Cathédrale Saint Etienne de Cahors.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Le pape Benoît XVI, Joseph Ratzinger a été un proche collaborateur du pape saint Jean-Paul II quand il était préfet de la congrégation pour la doctrine le foi, pendant plus de 23 ans (1981-2005). Son élection comme pape le 24 avril 2005 a un peu surpris car beaucoup le jugeaient plus intellectuel que pasteur. Sans doute était-il plus enseignant que communiquant. Il ne maîtrisait pas à fond l’art des médias comme le pape François ni même comme son prédécesseur Jean-Paul II. C’était pourtant un homme à la pensée claire, qui savait aller à l’essentiel dans une expression sobre et précise, capable de faire comprendre des choses complexes avec des mots simples. Mais il fallait, pour cela, faire l’effort de l’écouter jusqu’au bout, ce qui n’a pas été toujours le cas des journalistes, reconnaissons-le.

Joseph Ratzinger a été un grand théologien qui a publié de nombreux livres et donné beaucoup de conférences. Mais je voudrais surtout souligner sa Grande œuvre en tant que préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi : le Catéchisme de l’Église catholique. Il a été l’inspirateur de ce projet quand, dans des conférences marquantes, il a dit espérer la rédaction d’un catéchisme qui présente la foi de l’Église dans toute sa beauté et de manière non polémique. Les évêques réunis en synode en 1985 connaissaient ces souhaits du cardinal Ratzinger et ils ont formulé la demande pour que soit publié un catéchisme qui intègre les enseignements de Vatican II, afin d’aider le Peuple de Dieu à grandir dans la foi. Jean-Paul II, en réponse à cette demande du synode des évêques a tout naturellement confié la direction de ce projet au cardinal Ratzinger. Le grand défi, à l’époque moderne, était de réaliser une expression commune de la foi valable pour le monde entier. Était-ce faisable malgré la diversité des cultures ? Pour y parvenir, ce catéchisme a été élaboré grâce au travail de tous les évêques du monde et de toutes les universités catholiques. Ces larges consultations ont rendu possible un tel ouvrage. Ce catéchisme a été source de grande unité dans la profession et l’expression de la foi à la fin du XX° siècle et au début du XXI°. Il a opté pour les formulations les plus simples possibles, sans chercher à trancher les débats théologiques qui restent ouverts, mais en faisant ressortir ce qu’on appelle « le dépôt de la foi » : ce qui est cru partout et depuis toujours dans l’Église, ce qui nous rattache à la foi des Apôtres et dont les saints ont été nourris, ont vécu. Ainsi, le catéchisme cite abondamment les Écritures, les pères de l’Église et les saints de toutes les époques. La foi est, en effet, quelque chose à vivre et non pas seulement le fruit de spéculations intellectuelles. Le résultat qui a été admirablement bien reçu et qui aide vraiment les pasteurs de l’Église et de nombreux fidèles à communiquer la foi aujourd’hui et demain, montre toute la force spirituelle et pastorale des intuitions du futur pape Benoît XVI.

Comme pape, il y aurait tant à dire à propos de Benoît XVI. Ses plus grands textes sont, bien sûr ses encycliques sur l’amour, sur l’espérance, et sur l’économie. Celle qui a le plus marqué me semble-t-il a été la première, sur l’amour de charité (Noël 2005). Quand j’étais à Rome en 1996, j’ai appris que le cardinal Ratzinger participait, au Vatican, à un groupe de réflexion (comme il en existe un peu partout dans le monde) sur les textes du père Joseph Wresinski (fondateur d’ATD Quart Monde). Cela m’avait surpris de découvrir qu’un grand théologien nourrissait cet intérêt pour des écrits aussi concrets et enracinés dans l’action auprès des plus précaires. Mais en lisant Deus Caritas est, l’encyclique de Benoît XVI sur l’amour de charité, j’en ai reconnu des fruits : une réflexion à la fois profonde, enracinée dans les traditions théologiques et philosophiques les plus classiques et des implications très pratiques, très réalistes. Cela n’a pas échappé aux acteurs de terrain du social et du caritatif qui ont trouvé dans cette encyclique une vraie nourriture. Il me semble que cela a favorisé une sorte de réconciliation entre la foi et la charité dans la vie de l’Église. On avait un peu l’impression, en tout cas en France, que, dans l’Église, il y avait ceux qui s’occupaient du culte et ceux qui s’occupaient des pauvres et que ce n’étaient pas les mêmes, chacun sa spécialité. Mais cette encyclique a remis la diaconie de l’Église au cœur de sa vie. Le pape y rappelle qu’il y a trois piliers qui font tenir debout la communauté de l’Église : l’annonce (marturia), la liturgie (leiturgia) et la charité organisée (diaconia). En France, cette encyclique a nourri la réflexion de la démarche diaconia 2013 qui a eu précisément cet objectif, de remettre le caritatif au cœur de la vie de l’Église et de ne pas séparer l’action caritative de l’annonce de la foi ni de la prière. On voit aujourd’hui davantage ce lien, fondé sur la conviction que les plus pauvres ont aussi besoin d’une spiritualité et peuvent apporter beaucoup à nos communautés chrétiennes, si on les écoute et leur donne leur place.

Les deux autres encycliques de Benoît XVI ont été moins lues, il me semble. Pourtant, j’aime énormément spe salvi (Dans l’espérance, nous avons été sauvés, 2007) qui mériterait d’être davantage approfondie, par exemple par ceux qui accompagnent les familles en deuil, mais aussi les malades, ceux qui sont inquiets dans le monde actuel et ont besoin d’être renouvelés dans l’espérance. L’encyclique sur l’économie (2009) est plus technique, plus difficile à lire mais ceux qui étudient l’économie, et les hommes et femmes politiques ont beaucoup à en recevoir.

Beaucoup soulignent le courage de Benoît XVI dans la mise à jour des abus sexuels au sein de l’Église et des efforts qu’il a mis en œuvre pour les combattre. Sans doute a-t-il également beaucoup souffert comme pape, notamment dans ses efforts pour tendre la main aux traditionalistes ou à cause des trahisons vécues au sein même de son entourage proche. Dans tous les combats qu’il a menés, Benoit XVI, fortement blessé, s’est visiblement usé. Son retrait en 2013 m’a personnellement choqué et un peu déçu. Cela m’a surtout inquiété sur l’état de la curie romaine où un pape fatigué ne pouvait donc pas trouver suffisamment de soutien pour poursuivre la tâche qu’il avait reçue du Seigneur. Mais si la situation était telle, il a sûrement fait le choix le plus juste. Pendant ces dix dernières années, Benoit XVI a continué, discrètement, de prier pour nous depuis son petit monastère au Vatican. Le ministère du pape, dans l’Église catholique, est un grand mystère et il est heureux que l’évangile de ce jour nous rappelle que c’est le fruit d’un appel, d’un choix du Seigneur Jésus lui-même : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Kèphas – ce qui veut dire : Pierre. » C’est un choix mystérieux, mais qui mène quelqu’un à une place très spéciale. Pourtant, Pierre a simplement été amené à Jésus par son frère André, lui-même mis en route pour suivre le Christ grâce à l’indication de Jean-Baptiste. Les enchaînements de cette scène racontés par l’évangile de Jean montrent bien le rôle des intermédiaires humains, processus qui se renouvelle à chaque fois qu’un conclave se réunit, délibère, prie et vote. Notre rapport au pape ne doit jamais être d’admiration béate ni naïve, mais être animé par la foi, la foi dans le Christ qui a choisit un fondement à son Église, une pierre sur laquelle bâtir et ce fondement est simplement une personne humaine qui continue la mission de saint Pierre. Cette personne, choisie par le Christ, aime le Christ et se donne entièrement dans sa mission au service du peuple de Dieu.

Ce que j’ai toujours apprécié chez Benoît XVI, c’est sa manière de se placer toujours en retrait, discret, ne cherchant pas à séduire ni à plaire, mais se positionnant comme un serviteur. Il ne parlait pas ou très peu de lui-même, mais de Dieu, il donnait envie d’aimer Dieu, il nous rendait plus ardents, sans jouer sur des ressorts émotionnels, mais simplement en cherchant à approcher le plus possible la vérité, selon la Bible, les Évangiles, la tradition de l’Église. Lors de l’homélie de la messe inaugurale de son pontificat, il avait dit « Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas poursuivre mes idées, mais, avec toute l’Église, de me mettre à l’écoute de la parole et de la volonté du Seigneur, et de me laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l’Église en cette heure de notre histoire ». C’était son programme et il l’a réalisé.

Que notre prière nous garde proches de notre pape émérite qui a si bien su nous parler du dynamisme de la charité et du Dieu d’amour qui en est la source.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors


Le 24 avril 2005, le cardinal allemand Joseph Ratzinger avait été élu 265ème Pape de l’Église catholique.

Sous le nom de Benoît XVI, il avait choisi comme devise « Nous devons servir de cette manière que nous soyons coopérateurs de la vérité. » (« Nos ergo debemus sublevare huiusmodi, ut cooperatores simus veritatis. »).

Le 28 février 2013, après huit années de pontificat, il a renoncé à sa charge, il avait alors 86 ans.

Il est décédé le 31 décembre 2022, à 95 ans.

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