Edito de Mgr Laurent Camiade
Une des grandes joies qu’apporte la résurrection du Seigneur Jésus est le pardon. Sur la croix, Jésus priait : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Trois jours après, Jésus ressuscité apparaît à Marie-Madeleine. L’Évangile dit que le Seigneur avait libéré cette femme de sept démons (cf. Mc 16,9 // Lc 8,2-3) ! Ensuite, lorsque le Ressuscité apparaît aux disciples, ses premiers mots seront « la paix soit avec vous ». La résurrection a pour fruits la paix et la réconciliation, même avec ceux qui l’avaient renié ou qui avaient tout simplement pris la fuite (cf. Mc 14,50).
Ainsi, Jésus ne se contente pas de pardonner, mais il excuse, en disant : « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Le pardon de Dieu tient compte de la faiblesse humaine, de notre manque de hauteur de vue ou de lucidité. C’est une piste importante lorsque nous-mêmes avons du mal à pardonner : il importe de se mettre un peu à la place de ceux qui nous font du tort. Ils ont leurs raisons, bonnes ou mauvaises, ils ont leurs limites, ils ne savent peut-être pas très bien ce qu’ils font, peut-être à cause de leurs conditionnements psychologiques, de la pression sociale ou bien de fausses compréhensions des faits ou encore parce que nous-mêmes, peut-être, avons eu aussi des torts. Mesurer cela, même si c’est partiel et relatif est une étape importante, qui aide à pardonner. Mais, bien sûr, cela ne suffit pas. Ce qui aide alors, c’est que l’offenseur reconnaisse ses torts ou demande lui-même pardon : Pierre, au chant du coq, croise le regard de Jésus et fond en larmes. Il exprime, par ses larmes, un profond regret. Il n’a besoin de rien dire car il sait que son maître lui pardonne, Jésus le lui avait annoncé en lui montrant que sa confiance ne disparaîtrait pas : « quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,32). De la même manière, Jésus n’a pas hésité à confier à celle qui avait été possédée par sept démons la mission de devenir « l’apôtre des apôtres » (selon l’expression de saint Thomas d’Aquin). Il a chargé cette femme d’être la première à annoncer sa résurrection. Même si on ne l’a pas crue tout de suite, son témoignage a conduit les disciples à venir eux-mêmes au tombeau, lieu de mort et de danger qu’ils avaient, jusque-là, déserté. Le pardon de Jésus peut aller jusqu’à oublier le passé de quelqu’un qui s’est converti, et à lui confier une mission ! C’est le cas de Marie-Madeleine comme c’est le cas de Pierre et plus tard de Paul et de bien d’autres.
La prière de Jésus sur la croix, « Père, pardonne-leur », fait écho également à son enseignement : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent. » (Mt 5,44) En priant pour ceux qui le crucifient, Jésus met en pratique ce qu’il avait enseigné. Cela nous engage à ne pas seulement croire au pardon mais aussi à le vivre. Et la première manière de le vivre est de prier pour ceux qui nous maltraitent et nous persécutent. C’est le plus facile : il est plus facile de prier que de faire de nouveau confiance à quelqu’un qui nous a blessés. La blessure produit naturellement des réactions de peur et de rejet, c’est même souvent physique et plus fort que nous. Et il est aussi très important de se protéger ou protéger les autres de ceux qui pourraient de nouveau faire du mal. Mais l’avantage de la prière, c’est que l’on peut toujours prier et ainsi s’exercer à vouloir du bien, même à ceux qui sont toxiques. Le pardon n’est pas naïveté face aux personnes dangereuses. Le pardon n’est pas contraire au fait de réclamer justice car la justice fait du bien à tous. Mais lorsque nous portons une blessure profonde, nous ne pouvons pas être objectifs, nous ne sommes pas en position de juger nous-mêmes, nous avons besoin de l’aide des institutions légitimes ou, en tout cas, de regards extérieurs, de distance. Le pardon passe aussi par une expérience de réparation qui est différente pour chacun et demande du temps.
Dans la prière du Notre Père, nous disons : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Quand nous nous confessons et recevons le pardon de Dieu, nous recevons en même temps une force pour pardonner à notre tour à ceux qui nous ont offensés. Le bouleversant pardon de Jésus aux pécheurs qui l’ont crucifié nous engage à pardonner nous aussi. Et ce pardon est source de joie. Joyeuses Pâques à tous !
+ Mgr Laurent CAMIADE,
évêque du diocèse de Cahors