Jubilés des sœurs de Notre-Dame du Calvaire

Samedi 2 juillet 2022

Mes sœurs, chers frères et sœurs,

« Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées ». Ces paroles de Jésus sont bien connues. Elles peuvent avoir une résonance particulière à l’égard de religieuses qui fêtent leur jubilé, l’anniversaire de leur engagement.

Il y a d’abord l’idée de « rester », de la fidélité. Cela est très lié au principe même des vœux religieux. Il s’agit de donner toute sa vie, de s’engager à vivre la pauvreté, la chasteté et l’obéissance pour toute une vie et cela ne peut pas être accompli autrement que par un vœu, un libre propos de persévérer dans cette situation, de « rester ».

« Rester », « demeurer » sont des termes très présents dans les évangiles, ils se conjuguent paradoxalement avec l’envoi en mission, la sortie, « allez » dit jésus aux disciples qui ont su demeurer avec lui. Or, il y a justement une fidélité à tenir pour « aller » vers le monde annoncer le royaume de Dieu. Demeurer, rester, c’est avoir conscience que c’est d’abord le Christ qui vient à notre rencontre. L’Incarnation a été le grand moment de cette proximité du Verbe fait chair. Ce moment de l’histoire se prolonge dans la liturgie comme le rappelle le pape François dans sa belle lettre parue le 29 juin, sur la formation liturgique du Peuple de Dieu. Or, si nous restons ainsi avec Jésus, c’est précisément parce qu’il ne cesse de venir vers nous, parce que c’est lui qui nous convoque et nous désire présents, dimanche après dimanche, jour après jour, dans la grande louange du Peuple de Dieu. « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir » disait Jésus le soir du jeudi saint. Ce désir du Seigneur, la vie religieuse, par la consécration radicale de toute une vie, entend y répondre de façon intense. C’est en réponse à un appel que la jeune femme décide de devenir religieuse et cet appel résonne toujours comme un désir venant du Seigneur. Ce désir du Seigneur touche le cœur d’une jeune fille et elle se prend à désirer comme Jésus cette proximité privilégiée, intime, avec sa Pâque, avec son épreuve du calvaire, avec le don de sa vie qui sauve le monde. Le modèle de la vie religieuse, spécialement de la vie religieuse féminine, est sans nul doute toujours celui de la Vierge Marie. Et pour les sœurs de Notre-Dame du Calvaire, Marie au pied de la croix est évidemment le modèle par excellence. Marie, plus que quiconque a été touchée par le désir de son Fils de partager avec toute l’Église sa Pâque et son calvaire traversé pour sauver le monde.

Jésus désire notre amour, notre présence auprès de lui et il ne cesse de venir à nous. C’est pourquoi il se présente comme cet époux qui vient rejoindre ces gens qui restent en tenue de service avec des lampes allumées.

« En tenue de service », cela évoque des dispositions généreuses, une grande disponibilité. En général, dans la vie religieuse, on ne choisit pas sa mission. C’est le vœu d’obéissance qui se met en action à travers des envois en mission, des tâches confiées, des responsabilités ou des petits services demandés. Parfois, c’est une joie spontanée d’occuper telle ou telle fonction dans la congrégation. D’autres fois, c’est d’abord renoncer à ce que l’on aimait faire pour aller ailleurs, parce que le service de nos frères le commande à travers les décisions de la supérieure avec son conseil. Pas toujours facile, alors de rester en tenue de service ! Mais c’est souvent dans ces renoncements que se trouve la joie surnaturelle la plus profonde, celle qui rattache le plus profondément les actes concrets à une proximité avec Jésus au Calvaire : « Père, non pas ma volonté mais la tienne ». Cette dimension spirituelle très forte de l’obéissance est sans nul doute une des provocations les plus caractérisées dans la culture actuelle : comment obéir quand le respect de la liberté individuelle est sacralisé ! Pire encore, on dénonce aujourd’hui tant d’abus d’autorité, tant d’abus de confiance et de conscience dans des communautés religieuses que l’on voit bien qu’une interprétation trop formelle et rigide de l’obéissance religieuse peut être parfois destructrice. Les enjeux du discernement sont vitaux pour ne pas conduire et encore moins maintenir des personnes sur des chemins où elles vont se perdre. Le modèle proposé par Jésus doit prévenir toute sorte d’abus d’autorité : dans la parabole entendue ce jour, le maître qui trouve ses serviteurs en train de veiller, en tenue de service, profondément disponibles, les fait passer à table et lui-même se met à les servir ! La supérieure religieuse qui se respecte fait comme ce maître, elle a conscience d’être au service de la sainteté de ses sœurs et non d’avoir à agir d’une manière utilitariste. Je crois que dans une communauté qui vieillit, cette réalité de la supérieure qui est au service des autres sœurs est de plus en plus prégnante et incontournable. La fragilité qui est le lot de nombreuses communautés aujourd’hui conduit naturellement à cette attitude de plus en plus radicale de service. Mais même les sœurs dont la santé se fragilise peuvent intérieurement rester en tenue de service, disponibles pour au moins offrir un sourire ou un encouragement aux autres, pour témoigner de leur foi dans les épreuves, même si c’est en reconnaissant aussi leurs faiblesses et leurs instants de révolte ou de découragement. Mais persévérer, rester en tenue de service est toujours un témoignage même dans la faiblesse, même avec nos limites et nos failles.

Cela nous amène à la troisième partie de cette phrase d’évangile : « gardez vos lampes allumées ». Le Seigneur n’attend de nous aucune toute-puissance, aucun succès spectaculaire ou très rarement, mais il attend de nous que la lumière de la foi reste vive en nous. « Gardez vos lampes allumées ». Cette image est très belle. La lampe de la foi s’entretient par la prière quotidienne, même quand la prière est pauvre, ou peut-être plus encore quand on se sent tout pauvre et démuni devant Dieu, c’est là que croire prend tout son sens, justement quand on ne sent pas, quand on ne perçoit pas la présence du Seigneur, mais que l’on continue à sourire et à marcher vers Lui parce que l’on croit qu’il nous appelle, qu’il a désiré d’un grand désir partager sa Pâque avec nous. La foi s’exprime certains jour surtout par un cri vers le Seigneur comme celui du psaume de ce jour : « Le jour où je t’appelle, réponds-moi, Seigneur » car « si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ». Le vœu de pauvreté, c’est entrer d’abord dans cette humilité profonde qui est celle de la foi, la foi qui n’est pas une attitude arrogante de celui qui prétendrait en savoir plus que les autres, mais plutôt l’attitude humble de celui ou celle qui tient une lampe allumée car il sait que la lumière qui brille ne vient pas de lui, mais justement de celui qui est le seul Sauveur.

« Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre », voilà le fruit de l’acte de foi humble et profond. Dieu nous fait vivre et quand il viendra à la fin de temps, il nous fera vivre de nouveau pour l’éternité.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors

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