Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Chers frères et sœurs,
Quelle joie de célébrer la Cène du Seigneur ! C’est un moment si intense. Les disciples réunis avec le maître pour célébrer sa Pâque. « Sa » Pâque, car de nombreuses discussions ont eu lieu pour savoir si ce dernier repas de Jésus était ou non le repas pascal. Pour des questions de calendrier, il semblerait que non, puisqu’il est ressuscité le jour de Pâques, trois jours après. Mais pour lui, quoi qu’il en soit, ce dernier repas était celui de « sa Pâque », de son passage qu’il avait anticipé en se donnant lui-même, en s’offrant de tout cœur par l’anticipation qu’il faisait de son sacrifice en offrant déjà son corps livré, sous l’espèce du pain et son sang versé sous l’espèce du vin.
Ce que Jésus avait anticipé, sa Pâque (son « passage »), sera consommé le vendredi saint sur le calvaire, en dehors de toute célébration rituelle, en dehors même de la ville. Mais ce soir, nous commémorons le moment où il a institué le sacrifice de la nouvelle alliance, le nouveau culte qui remplace tous les sacrifices anciens, celui que par son Esprit Saint et grâce au ministère de ses prêtres, il rendra présent chaque jour dans la vie de son Église, le sacrifice du calvaire, le don de son corps livré et de son sang versé, le don de son amour qui se répand à jamais dans ce monde qui en a tant besoin.
Notre monde est en feu, frères et sœurs. Même ici, nous sommes sous le régime « vigipirate urgence attentat » car la violence est partout. Elle est aussi en nous-mêmes qui sommes tous capables, à certains moments, de la laisser jaillir et de blesser d’autres personnes, parfois même sans nous en rendre compte. La violence des mots elle-même fait tant de mal dans notre société où la communication est omniprésente et où, pour se faire entendre dans cette cacophonie, la tentation de parler plus fort ou de manière plus choquante est si puissante. Nous voyons que les évangiles n’ont jamais cédé à cette tentation et qu’ils décrivent même les pires tortures subies par le Seigneur de façon très sobre, avec peu de mots. Ils ne cherchent pas à choquer mais à témoigner de son amour qui traverse tout et de son offrande qui est pour que nous ayons la vie.
Mes frères et sœurs, le Christ a pris toutes les misères et tous les péchés de notre monde sur ses épaules en acceptant la croix. La croix est à la fois acceptation que le mal existe, rude combat pour la porter jusqu’au bout, et offrande au Père, dans la confiance qu’Il va rendre fécond même ce qui ne semble pas avoir de sens ici-bas. Chaque fois que nous célébrons le mémorial de la passion qu’est l’eucharistie, nous proclamons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne (cf. 1 Co 11,26). Ce sont les mots de saint Paul que nous reprenons dans le chant de l’anamnèse après chaque consécration du pain et du vin quand ils deviennent son corps et son sang. La visée finale, c’est la venue glorieuse du Seigneur.
Par l’eucharistie, le Seigneur nous donne de participer à son œuvre de transformation de tout mal et de tout péché en bien, en amour plus fort que la mort. La nouvelle traduction du missel romain, parmi beaucoup d’autres petits changements a renouvelé l’embolisme du Notre Père, cette prière qui suit immédiatement le Notre Père et en développe la dernière demande : délivre-nous du mal. Parmi les changements de traduction, on ne dit plus « rassure-nous devant les épreuves », mais « nous serons… à l’abri de toute épreuve ». Les épreuves sont inévitables mais, par le mystère de la passion et de la mort du Seigneur rendu présent dans l’eucharistie, le Seigneur nous met à l’abri, en sécurité. Quoi qu’il arrive, nous ne serons jamais écrasés définitivement par les épreuves, nous avons cette « bienheureuse espérance » dont il est question ensuite dans la même prière.
Frères et sœurs, cette espérance nous encourage à faire le bien autour de nous sans jamais nous décourager. Nous sommes appelés à nous mettre au service les uns des autres, exactement comme Jésus le dit après le lavement des pieds, geste de service qui indique ce que nous avons à faire, qui indique que puisque le maître s’est fait serviteur, il nous a ainsi appelés, nous aussi, à nous mettre au service les uns des autres. Quand nous participons à l’eucharistie, nous ne pouvons pas aussitôt après mal parler les uns des autres, bien au contraire, nous devons nous encourager les uns les autres, nous rendre service et être capables de servir avec plus de forces le monde qui nous entoure. Il y a tant à faire, en particulier pour les plus pauvres, pour essayer de rendre ce monde plus juste, pour que les cœurs s’ouvrent et se libèrent de l’individualisme égoïste de notre époque.
La Pâque de Jésus, c’est ce que nous célébrons et qui nous rend capables de vivre, chaque jour de notre vie chrétienne. C’est sa victoire sur le mal et sur nos propres péchés, c’est aussi ce qui nous donne la force de nous mettre, avec Jésus, au service de nos frères et d’être une Église tournée vers les pauvres et le service du monde. L’eucharistie est une action de grâce, une profonde reconnaissance envers Dieu pour tout ce qu’il nous a offert et pour cette joie d’être sauvés. Puissions-nous en être toujours les témoins émerveillés capables de donner envie à tous, quels que soient leurs âges, d’y participer souvent.
Un jour, on demandait à sainte mère Térésa de Calcutta comment il se faisait qu’elle était toujours en mouvement et qu’elle avait toujours le sourire. Elle a répondu : « mais pourquoi Jésus s’est-il fait pain de vie ? Il est venu à moi ce matin pour cette raison, pour être ma force, ma vie, mon amour, ma joie et il est les vôtres. Aimons-nous les uns les autres, il nous a aimés. Aimons-nous les uns les autres, comme il nous a aimés sur la croix, comme il nous aime maintenant, dans l’eucharistie ».
Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors