Homélie de Mgr Laurent Camiade, jeudi 6 mai 2021

60 ans de vie monastique de sœur Monique de Jésus.
Noces d’or de Benoît et Ghislaine Polomeni.

Mes frères,

Le texte de la prière du Pater, dans l’Évangile selon saint Luc, cela n’a pas dû vous échapper, est un peu différent de la version selon saint Matthieu, en particulier, il y manque une demande : que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel (cf. Mt 6,10).

Quand on donne toute sa vie, soit dans le mariage, soit dans la vie religieuse, il n’est pas sans importance que ces choix soient vécus selon la volonté de Dieu ! Si on parle de vocation, de la vocation à la sainteté dans le mariage ou de la vocation à tout quitter pour s’unir à Jésus de manière exclusive dans la consécration religieuse, on parle bien d’un acte de confiance dans la volonté de Dieu. On ne ferait pas cela, surtout la consécration religieuse et, même, la fidélité de toute une vie dans le mariage, si on n’avait pas confiance en Dieu et si l’on n’était pas convaincu que le bonheur, c’est de vivre selon Sa volonté.

En fait, si Luc ne mentionne pas cette troisième demande du Pater, peut-être est-ce parce qu’il cite ensuite un développement de Jésus qui éclaire ce sujet. Paradoxalement, cela se présente d’abord comme une parabole où Dieu est un ami qui dort avec sa famille dans sa maison et qui n’a pas trop envie de faire la volonté de son ami qui vient réveiller tout le monde en pleine nuit. Mais à cause du sans gêne de cet ami, il finit par accepter ce bazar dans sa maison. Si c’est là un enseignement sur la volonté de Dieu, celle-ci a bien l’air d’être soumise à la volonté de celui qui le prie, de celui qui le dérange avec insistance. On trouve cela plusieurs fois dans les Évangiles, Jésus cède à l’insistance de ceux qui le prient. La syro-phénicienne, par exemple, doit insister pour que sa fille soit guérie. Et Jésus raconte aussi la parabole de la veuve qui insiste tellement que le juge inique finit par lui rendre justice pour avoir la paix. Alors si la volonté de Dieu apparaît aussi perméable à celle des hommes, que signifie « que ta volonté soit faite » ? La volonté de Dieu est-ce donc de nous exaucer pour tous nos caprices ? Nous devons bien reconnaître que cela ne fonctionne pas trop comme ça ! En fait, cela signifie que la volonté de Dieu —ce que Dieu veut pour nous— c’est que nous ayons confiance en Lui et que nous soyons ses amis. Si nous sommes ses amis, nous n’avons pas à nous gêner avec Lui. Voilà la volonté de Dieu ! Ce que nous faisons et ce que nous désirons par amitié, que ce soit dans le couple ou dans la vie religieuse, ce qui est animé intérieurement par un amour pur, voilà ce qui est conforme à la volonté de Dieu. Alors, quand nous disons « que ta volonté soit faite », cela suppose que nous reconnaissons la bonté de notre Père et que nous sommes avec lui, grâce à lui, sur un chemin de purification de notre capacité d’aimer.

Mais la suite de l’Évangile de Luc donne encore une précision très importante sur la volonté de Dieu. « Demandez, on vous donnera ». Cela confirme le point précédent. Un père ne donne pas un scorpion à son enfant qui demande un poisson. Là aussi, ce que nous avons compris sur la confiance en Dieu notre Père est clairement redit. Or Jésus ajoute : « Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent » (Lc 11,13). Ici, on ne tergiverse plus : ce qu’il faut désirer, ce qu’il faut demander pour être sûrs d’être exaucés, c’est l’Esprit Saint. Car sans l’Esprit Saint, si nous fermons nos cœurs à l’Esprit Saint, notre foi et notre amour envers Dieu n’existent pas. Et Dieu veut seulement notre confiance et notre amour. Que ta volonté soit faite —demande que ne cite pas l’Évangile de Saint Luc— signifie clairement : ouvre nos cœurs à l’Esprit Saint, fais-nous demander l’Esprit Saint, purifie nos désirs pour qu’ils soient animés par l’Esprit Saint.

Car l’Esprit Saint purifie et élargit notre amour et nos désirs. Et c’est ainsi que nous devenons des amis capables de déranger le bon Dieu sans gêne avec tous nos besoins et ceux de nos amis. Cette purification et cet élargissement de l’amour sont bien nécessaires et n’ont pas vraiment de limites. Dans la lettre aux Corinthiens, saint Paul l’avait exprimé d’une autre façon en remarquant que notre foi en Dieu exprime : « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation. Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu » (1 Co 2,9-10).

Là, il est dit que le désir humain se trouve totalement impuissant sans l’Esprit de Dieu qui scrute le fond de toute chose. Parfois, nous croyons être animés par un bel élan de générosité, mais finalement, ce n’est qu’une forme détournée de notre égoïsme et, dans la prière, nous demandons des choses qui ne sont pas portées par un vrai amour d’amitié envers Dieu ou nos frères. Alors, il faut que quelque chose se produise pour élever nos désirs, pour transformer notre amour qui ne peut pas surgir seulement du cœur de l’homme.

Dans Amoris Laetitia (sur la joie de l’amour dans la famille), le pape François expliquait en détail que nous avons de nombreux indices que le désir de fidélité fait partie de l’expérience de l’amour. « Celui qui aime, écrit le pape, n’envisage pas que cette relation puisse durer seulement un temps ; celui qui vit intensément la joie de se marier ne pense pas à quelque chose de passager ; ceux qui assistent à la célébration d’une union pleine d’amour, bien que fragile, espèrent qu’elle pourra durer dans le temps ; les enfants, non seulement veulent que leurs parents s’aiment, mais aussi qu’ils soient fidèles et restent toujours ensemble. Ces signes, et d’autres, montrent que dans la nature même de l’amour conjugal il y a l’ouverture au définitif » (AL n°123). Ce constat qui peut sembler optimiste mais qui est sérieux et vrai si nous y réfléchissons est certainement profondément lié à la nature surnaturelle d’un tel amour. Car cela n’aurait pas pu monter tout seul à l’esprit de l’homme, mais c’est bien « ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé », c’est-à-dire pour ceux qui aiment l’Amour. Pensons seulement au sentiment que produit en nous la célébration d’un jubilé : 50 ans, 60 ans d’amour fidèle, sûrement pas d’amour sans cahots ni sans difficultés, mais d’un amour qui a su traverser tout cela, qui a su perdurer à travers les épreuves de la vie, voilà quelque chose qui nous réjouit tous. Cela nous fait tous jubiler ! Car c’est un signe de la volonté de Dieu qui, au moins dans une certaine mesure, s’est faite, en conformité à ce que nous avons demandé dans la prière : que ta volonté soit faite !

La volonté de Dieu s’oppose en principe à ce qu’on appelle notre volonté propre, c’est-à-dire ce que nous voulons comme pécheurs, ce que nous voulons en dehors de la volonté de Dieu, sans Lui, sans son amour, sans l’Esprit Saint. La volonté propre est ce qui monte naturellement de l’âme humaine blessée par le péché. C’est pourquoi il y a souvent des freins en nous pour demander vraiment à Dieu que sa volonté se fasse. Mais dans l’Évangile selon saint Luc, Jésus nous invite à frapper à la porte de la sainte Trinité, figurée dans la parabole par une famille endormie, pour que le Père se lève pour son ami que nous voulons bien être, pour qu’Il nous donne le pain de la parole et de l’eucharistie à partager avec nos amis et pour qu’Il envoie l’Esprit Saint pour purifier notre désir et élever la qualité de notre amour.

Sœur Monique, Benoît et Ghislaine, merci de nous faire partager votre joie en ce jour, merci pour le témoignage de votre fidélité qui est un don de Dieu et une réalisation concrète de sa sainte volonté. Que cela nous encourage à ouvrir nos cœurs à l’Esprit Saint, chaque jour !

Amen.

+ Laurent Camiade,
Evêque du diocèse de Cahors

Soutenir par un don