Homélie de Mgr Camiade - Dimanche 9 mai 2021

Vayrac

Mes frères,

Les paroles de Jésus à ses disciples sont profondément touchantes. Il décrit leur relation comme une amitié. «  Je ne vous appelle plus serviteurs car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ».

Quand nous parlons d’amitié nous pouvons penser à différentes caractéristiques de cette forme d’amour qu’est l’amitié, comme la recherche du bien de l’autre ou la stabilité de la relation, ou encore la confiance mutuelle qui permet une agréable détente lorsqu’on partage un moment commun. Mais Jésus caractérise son amitié avec ses disciples comme une forme d’intimité, dans le sens d’une connaissance mutuelle et d’un partage de ses secrets. « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». Et ceci, en opposition directe avec la relation maître-esclave —le mot employé ici, traduit par serviteur est le mot doulos qui désigne proprement l’esclave—. L’esclave ignore ce que fait son maître, ou s’il le sait, il n’en connaît pas les raisons intimes, le maître n’a pas besoin de partager ses motivations avec son esclave, tandis que l’ami oui. Obéir au Christ c’est comprendre ses raisons, c’est vivre une profonde communion avec ce qu’il fait et avec le Père à qui il obéit par amour et dans une totale confiance. C’est ce partage des secrets du Père qui fait des disciples des amis du Seigneur. Dans la Bible on trouve quelques exemples de l’ami du roi, cet ami du roi connaît ses secrets et les garde, il est son confident plus encore que son conseiller.

La première lecture nous donne un exemple concret, après la Pentecôte, de la manière dont saint Pierre vit cette amitié avec le Christ qui lui permet de connaître la volonté de Dieu. Pierre a reçu une vision qui l’invitait à se confier à ce que Dieu fait, plus qu’aux règles rituelles juives sur le pur et l’impur. Et à ce moment, on vient le chercher pour visiter une famille païenne, celle du centurion Corneille, à Césarée de Philippe. Il s’y rend et nous devons réaliser à quel point pour Pierre, cette visite va contre tous les principes qu’il a reçus dans son éducation juive. Il entre dans un milieu qui n’est pas du tout le sien, chez un officier de l’armée d’occupation. N’oublions pas que c’est aussi un centurion romain qui a été chargé de crucifier Jésus. Tout doit rebuter Simon-Pierre dans cette visite. Les païens rendent des cultes à de faux dieux, et vénèrent certains hommes, comme l’empereur César-Auguste comme une quasi-divinité. Et que fait Corneille à l’arrivée de Pierre ? Il se prosterne devant lui. Mais Pierre sait qu’il va suivre ici la volonté de Dieu. Il ne se laisse pas impressionner ni enfermer dans cette attitude non ajustée et il relève aussitôt cet homme : « lève-toi. Moi aussi je suis un homme » (Ac 10,26). Cette simple parole montre comment Pierre se présente. Un homme, comme lui. Cette entrée en matière clarifie les choses et fait tomber les barrières entre le juif et le païen, entre le disciple du Christ et le potentiel persécuteur. Tous deux ont en commun leur humanité. Et Pierre découvre à travers cela quelque chose de plus important encore : « Dieu est impartial » (Ac 10,34). Pierre a constaté en arrivant que cette famille a pu découvrir la vérité sur le Christ. Cela montre que le Fils de Dieu est bien venu pour sauver tous les hommes, sans faire de différence. Voir l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans des cœurs supposés lui être fermés, dans une famille dont la culture est si éloignée de la foi en Dieu, est un signe qui fait réaliser à Pierre quelque chose sur Dieu : « Dieu est impartial. Il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes ». C’est ainsi que le Christ, même après l’ascension, même quand il n’est plus présent physiquement à ses côtés, continue de montrer à Pierre son amitié et de lui faire connaître ce que fait le Père.

Et nous, savons-nous reconnaître ce que Dieu fait aujourd’hui chez nos frères humains ? L’évolution de la culture en notre temps semble plutôt conduire à une profonde obscurité, à une impossibilité de plus en plus grande de comprendre les desseins de Dieu. Cette obscurité est-elle le signe que nous ne serions plus des amis du Seigneur ? Qu’il ne nous ferait plus connaître les secrets du Père ?

En réalité, nous connaissons ce que Dieu fait. La révélation biblique est disponible aujourd’hui plus que jamais à tout homme de bonne volonté qui, même s’il n’a rencontré personne pour lui en parler, peut encore au moins en avoir des traces et même de nombreux développements s’il tombe dessus via internet ou d’autres supports de communication, journaux, livres, films, monuments, etc. Connaître Dieu est plus que jamais accessible même si cette connaissance est parfois difficile à démêler de beaucoup de mensonges ou d’autres informations plus ou moins essentielles. Ce qui reste délicat, c’est notre capacité à voir comment la bonne nouvelle de l’Évangile reste vivante, actuelle, vécue. A ce titre, le rôle des chrétiens d’aujourd’hui, même s’ils se sentent peu nombreux et pas très habitués à témoigner de leur foi est décisif. Si nous vivons de notre mieux l’Évangile, par nos efforts de fraternité et de confiance dans la grâce du Seigneur, cela rend visible et accessible à tous la vérité de l’Évangile. Si nous perdons l’espérance ou si nous nous déchirons entre nous pour des bêtises, il est sûr que le message s’obscurcit et que l’amitié avec le Christ semble se perdre. Comme saint Pierre aux premiers temps de la mission, nous pouvons éprouver de façon aiguë les difficultés à aller vers ceux qui ne pensent pas comme nous, qui nous paraissent si éloignés. Mais comme lui, nous devons apprendre à regarder les signes que le Seigneur peut nous faire à travers eux, pour mieux comprendre de quelle façon il veut se révéler dans le monde d’aujourd’hui.

Il y a une telle diversité d’opinions et de réseaux dans le monde actuel, même au sein d’un même pays ou d’un même territoire, parfois dans un même village, que certains sociologues ont parlé d’archipel. Des groupes de personnes vivent sur des îles qui ne semblent pas avoir de contact entre elles, même en parlant la même langue et en ayant de très nombreuses institutions communes —même si nous sommes concernés par les mêmes virus. Le fait que Dieu parvienne malgré tout à toucher le cœur de personnes profondément différentes est un signe que nous avons à considérer avec une grande reconnaissance et à recevoir comme un appel à ne pas nous ignorer ni nous mépriser les uns les autres, quelles que soient nos différences. Ces signes se voient par exemple lorsque nous accueillons des catéchumènes, ces adultes qui demandent le baptême ou encore d’autres demandes de sacrements. Mais aussi dans les lieux de pèlerinage ou simplement à travers les « touristes » qui visitent nos églises : beaucoup d’entre eux, même non pratiquants, sont sensibles à un mouvement intérieur vers Dieu et parfois même vers Jésus-Christ, qu’ils le connaissent ou pas. Nous voyons bien qu’il existe une méfiance de beaucoup de nos contemporains vis-à-vis de l’Église, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne continuent pas d’être attirés par le Christ, du moins lorsque leurs occupations diverses ne les accaparent pas complètement. Il n’y a que si nous-mêmes nous nous laissons attirer de la même manière, en puisant dans les ressources de l’Église (qui sont la parole de Dieu, les sacrements, la prière et la fraternité vécue) les moyens d’expérimenter que Jésus nous appelle ses amis que nous pourrons les aider à mieux connaître eux aussi ce que fait le Père et à se découvrir amis intimes de Jésus.

Que l’Esprit Saint qui a été répandu sur la famille et toute la maisonnée du centurion Corneille se répande dans le cœur de tous ! La joie de Dieu n’en sera que plus grande.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
évêque de Cahors

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