Fête de la divine miséricorde. Homélie de Mgr Laurent Camiade

Dimanche 11 avril 2021


Mes frères,

Croire en Jésus ressuscité est un vrai défi, un combat intérieur et extérieur !

Nous voyons l’apôtre Thomas sceptique tant qu’il n’a pas vu et touché les plaies du ressuscité. Mais nous voyons aussi les dix autres qui eux, ont vu et ont été comblés de joie. Aussitôt, Jésus les envoie en mission : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21). Et puis, il souffle sur eux, « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20,22-23). Cela peut sembler étonnant, ce lien entre la mission reçue et, aussitôt, le pouvoir de pardonner les péchés. Dans les Actes des Apôtres, le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte semble surtout un souffle d’ouverture à la foi et de dynamisme d’annonce de la joie du Christ. Mais ici, chez saint Jean, l’Esprit Saint est donné pour le pardon des péchés et même, plus précisément, pour que les Apôtres aient ce pouvoir étonnant de remettre les péchés au nom de Jésus.

Dans le credo nous disons bien « je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés », mais nous ne sommes pas forcément toujours attentifs à ce que nous disons. Et Jésus, dans le discours après la Cène avait bien dit à ses Apôtres, quand il leur a promis l’Esprit Saint, que l’Esprit, de Défenseur, « quand il viendra, établira la culpabilité du monde en matière de péché, de justice et de jugement » (Jn 16,8). Et il précise : « En matière de péché parce qu’on ne croit pas en moi » (Jn 16,9). Ce n’est pas forcément ce que nous avons en tête lorsque nous pensons à la réalité du péché. Nous pensons peut-être à des actes honteux, déviants, ou simplement égoïstes, à notre indifférence, à ce qui blesse nos frères. Mais saint Jean met ici au centre du mystère du péché le refus de croire en Jésus. Non pas seulement le manque de foi, mais le « on ne croit pas en moi ». Beaucoup de nos contemporains croient qu’il existe un Dieu, plus ou moins sympathique, à craindre ou à respecter, ou bien qui ne s’intéresse pas trop à nous, ou encore qui est tellement gentil qu’Il nous pardonnera tout sans faire d’histoires quand nous arriverons devant Lui. Mais Jésus dénonce comme péché de ne pas croire en lui. En lui, Jésus-Christ, le Dieu qui s’est fait homme et a offert sa vie par amour pour nous. Lui, Dieu qui a pris sur Lui le drame de notre condition pécheresse et nous a aimés au point de traverser la mort pour nous sauver, et puis qui est ressuscité.

Après ces remarques, nous comprenons peut-être mieux le lien étroit entre la miséricorde de Dieu, le pardon des péchés et la foi en Jésus ressuscité, cette foi à laquelle Thomas a résisté un moment, avant de s’écrier dans un beau mouvement d’adoration « mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28). La question de la foi en Jésus est la question centrale de notre vie. « Jésus, j’ai confiance en toi » répétait sainte Faustine, apôtre de la miséricorde divine. Si je peux dire sincèrement, Jésus j’ai confiance en toi, je sors du péché et j’entre dans le bain de la divine miséricorde. C’est ainsi qu’en confiant aux Apôtres la mission de remettre les péchés, Jésus invitait tout homme, toute femme, à poser un acte de foi en s’adressant à ces simples hommes. Les Apôtres n’étaient pas des héros ni des modèles, c’étaient eux-mêmes des pauvres pécheurs fragiles, sans grand courage à l’heure de l’arrestation de Jésus, presque tous absents au pied de la croix… car il s’agit bien de voir que c’est l’Esprit Saint qui agit par eux et non le fait de mérites qui leur soient propres. C’est vrai, aujourd’hui encore, aller se confesser à un prêtre est toujours un acte de foi. Avouer à un homme quelconque nos manques de foi et leurs conséquences dans nos vies n’est facile pour personne et suppose de faire une totale confiance en l’action du Saint Esprit. Or cette démarche elle-même, aller se confesser, fait grandir la foi. Et si nous trouvons le courage d’avouer nos péchés pour en recevoir le pardon et pour nous engager à tout mettre en œuvre pour ne pas recommencer, c’est bien également là un fruit de l’Esprit Saint qui est déjà à l’œuvre en nous pour nous rendre assez humbles et confiants.

Nous pouvons comprendre aussi ce lien étroit entre la célébration des fêtes pascales et ce qu’on appelait autrefois la confession pascale, c’est-à-dire la raison profonde de cette insistance de l’Église pour que les catholiques se confessent au moins une fois par an dans la période de Pâques. En effet, pour croire de façon renouvelée en la résurrection de Jésus, il est nécessaire que cette résurrection de Jésus ait des effets concrets dans notre vie personnelle, que cette foi en Jésus vainqueur du mal et de la mort transforme notre vie actuelle, non pas de façon abstraite et générale, mais de manière très concrète. Croire en ce que Jésus a fait le jour où, ressuscité, il a soufflé sur les Apôtres et leur a dit solennellement « tous ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, tous ceux à qui vous les maintiendrez, ils leur seront maintenus » provoque en nous une remise en question. S’en remettre au discernement des apôtres ou de ceux qui continuent leur mission par la grâce du sacrement de l’ordre est l’acte de foi dynamique qui nous est demandé par le Seigneur lui-même. Cette foi renouvelle notre charité envers nos frères et nous donne le courage de surmonter ou au moins d’affronter paisiblement toutes les difficultés de l’existence.

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29), dit Jésus à Thomas. Car il arrive souvent qu’après une confession, on ressente une grande paix et que l’on ait l’impression d’une grande libération. Mais d’autres fois, non. On ne ressent rien de spécial. Il suffit d’avoir posé l’acte de foi sans voir, sans rien sentir de la miséricorde du Seigneur. La parole entendue « je te pardonne tous tes péchés » est une parole objective, performative. Cela doit nous suffire et nous motiver pour la prochaine confession ! La miséricorde divine n’est pas toujours ressentie mais elle n’en est pas moins réelle. « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Jésus est vraiment ressuscité ! C’est cela qui compte.

Nous vivons sans doute dans un monde qui ignore Dieu et qui perd ses repères. Le bien et le mal deviennent de plus en plus difficiles à identifier et les évolutions de la législation n’aident pas. Notre humanité semble douter d’elle-même et n’arrive pas toujours à accepter d’assumer dans la charité mutuelle nos inévitables faiblesses. La culture du déchet pousse au mépris plus des fragiles. De plus, la phobie actuelle de la douleur (algophobie en bon français), aurait peut-être retenu un saint Thomas d’aujourd’hui de vouloir regarder les plaies du Christ ressuscité. Pourtant, ni Thomas ni Jésus n’ont été tentés par ce déni du mal subi. La contemplation des plaies de la passion, glorifiées par la résurrection, fait ressortir, au contraire, la vigueur de la foi « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Nous assumons ce même paradoxe quand nous vénérons la sainte coiffe qui, après tout, ne donne à voir que des stigmates de douleur, un linge mortuaire, des traces de sang. A une époque elle fut même jetée dans un caniveau comme un déchet. Mais si un tel linge, de piètre apparence, a pu malgré tout être conservé, c’est bien là un signe ou un rappel de la résurrection, un encouragement pour notre foi et pour notre engagement à respecter la vie, à soigner nos frères blessés et à accueillir ceux qui frappent à nos portes. Comme Thomas qui avait vu les plaies du Christ, après avoir vénéré cette coiffe, nous pourrions dire, sûrs que Jésus ressuscité nous est présent même si nous ne le voyons pas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »

Chaque fois que Jésus ressuscité est apparu à ses disciples, il leur a dit ces mots : « La paix soit avec vous » (cf. Jn 20,19.21.26). Ces mots sont repris dans la liturgie quand l’évêque salue le peuple au début de la messe. C’est la marque de fabrique de la présence du ressuscité : il donne sa paix. Il la répand, il la communique à tous ceux qui ouvrent leur cœur à l’Esprit Saint. La foi, en grandissant, fait grandir aussi la paix du cœur, même dans les moments éprouvants de nos vies. L’expérience du pardon, comme aussi celle de la miséricorde exercée dans les secours envers les plus faibles, sont sources de paix, non par elles-mêmes, mais grâce à la paix du Christ qui se donne à ceux qui cultivent la foi et les vertus qu’elle inspire. En ce dimanche de la divine miséricorde, relevons le défi de la foi en accueillant la paix du Christ et en adorant notre Seigneur et notre Dieu. Amen. Alleluia.

+ Mgr Laurent Camiade, évêque du diocèse de Cahors

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