3 janvier 2021 - Cathédrale de Cahors
Chers frères et sœurs,
La venue des mages à la crèche invite à méditer sur l’attrait exercé par le Christ sur tous les hommes de toutes les cultures.
Nous voyons que ces hommes, les Mages, ont observé les astres et, de façon pratiquement irrationnelle, en tout cas dont la logique n’intéresse pas du tout le texte de l’Évangile, ils ont été certains que cette étoile signalait la naissance du roi des juifs et les appelait à l’adorer.
A priori, leur connaissance des astres et de l’avenir que l’horoscope prévoit n’était pas plus fiable que celle des Mayas quand ils annonçaient la fin du monde pour 2012. Mais peu importe, à travers ce pèlerinage des Mages venus d’Orient, des hommes d’une culture étrangère au monde de la Bible ont parcouru de longues distances et sont venus adorer le roi de Juifs. Nous voyons que pour aller jusqu’au but de leur expédition, ils ont besoin toutefois de l’enseignement biblique, de l’éclairage apporté par Hérode, les grands prêtres et les scribes. Curieusement, même si ces gens ne vont pas suivre les Mages jusqu’à la crèche ni adorer ni même accepter Jésus comme le Christ puisqu’ils vont plutôt s’employer à le faire mourir, c’est bien tout ce peuple habitant Jérusalem qui, finalement, oriente les Mages vers Bethléem.
Nous comprenons clairement que deux choses ont conduit les Mages à la crèche : l’étoile et la révélation transmise par le peuple de Dieu. Ce qui demeure inconnu, c’est la raison du désir des Mages d’adorer le Christ. Cet élan du cœur qui les attire à Jésus et qui, une fois arrivé, les pousse à se prosterner à ses pieds.
Nous pouvons admirer la religiosité profonde de ces Mages. On pourrait leur reprocher leur croyance absurde aux horoscopes, leur ignorance des Écritures Saintes, mais, dans les faits, ce sont eux qui ont su parcourir la distance entre leur point de départ, leur pensée magique mal ajustée et leur acte de foi et d’adoration devant le vrai Dieu.
Cela doit nous apprendre à porter les uns sur les autres un regard de confiance. Chacun d’entre nous porte en lui des désirs inconnus, mal orientés peut-être, non-identifiés parfois, mais puissants et capables de nous mettre en route. Si nous ne nous perdons pas en chemin, si nous savons frapper aux bonnes portes pour laisser la Révélation, les paroles des prophètes, les Évangiles et l’enseignement de l’Église affiner l’orientation de nos désirs spirituels, ajuster l’élan profond de nos cœurs, alors, à coup sûr, nous parviendrons à Jésus. Nous pourrons, nous aussi l’adorer et, si Dieu veut, repartir par un autre chemin, trouver la voie pour une vie meilleure, plus belle, plus remplie d’amour et de joie surnaturelle.
Et si tout homme, toute femme, de toute culture, de tout horizon, est capable de Dieu, capable d’aimer Dieu, capable d’un acte d’adoration, cela doit changer notre regard les uns sur les autres et nous conduire à un profond respect, à un dialogue qui cherche la vérité avec courage et en toute confiance.
Mes frères, il y a trop de rejets mutuels dans la société actuelle. Même dans l’Église, parfois, si nous n’avons pas les mêmes sensibilités, nous avons de la peine à nous estimer les uns les autres.
Mais nous voyons aussi combien il est difficile de vivre en paix dans le monde actuel. Les discours de rejet, de jugement sévère, d’exclusion, de suspicion, de défiance par principe, sont nombreux. Il est vrai que le mensonge détruit souvent la confiance. Les incompréhensions sont nombreuses dans un monde complexe. Les inégalités sociales ne facilitent pas non plus des relations de confiance. Et spécialement dans les périodes de crise, sanitaire ou autre, la recherche et la dénonciation d’un coupable, d’un incompétent ou d’un profiteur, est toujours tentante. Je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir d’esprit critique. C’est même tout à fait nécessaire. La lucidité est toujours à cultiver. A condition de ne pas oublier nos propres responsabilités personnelles ou collectives.
Mais les jugements hâtifs ne facilitent pas l’estime mutuelle. Il nous faudrait apprendre à regarder davantage les bonnes intentions de nos frères et sœurs, afin de les encourager à chercher le bien, à aimer le Créateur et la Création, à cultiver l’amitié sociale et la fraternité, à aimer et servir Dieu. Car au fond, même ceux qui l’ignorent le plus, cherchent Dieu, ils sont attirés par Lui, comme les Mages, qui suivaient une étoile mais ne connaissaient pas encore la Révélation et pourtant, se sont mis en route dans la bonne direction. Personne n’est définitivement exclu de la rencontre avec le Christ. Au contraire, tous y sont appelés.
En rédigeant son encyclique Fratelli tutti (tous frères), le pape François nous encourage à ce respect des cultures différentes. Déjà, dans La Joie de l’Évangile ou dans Amazonie bien-aimée, le pape avait souligné le fait que la grâce de Dieu travaille dans les cultures des hommes. « La grâce suppose la culture, et le don de Dieu s’incarne dans la culture de la personne qui le reçoit ». L’Esprit Saint agit de façon incarnée, dans les cultures, de l’intérieur et non pas en remplacement des élans spirituels déjà présents dans les cultures humaines. Rappelons-nous que même après avoir reçu la Révélation du lieu de Bethléem, les mages retrouvés avec joie l’étoile qui les guide jusqu’à la crèche. C’est la logique de l’Incarnation. Dieu s’est fait homme en un temps et en un lieu précis. Et toutes les cultures peuvent être illuminées par cette habitation de Dieu dans notre humanité. L’accueil de tout homme comme un frère, quelle que soit son histoire, ses tendances et sa culture, se fonde sur cette confiance dans la volonté de Dieu d’agir de façon incarnée par son Esprit en chaque personne.
« Toutes les nations sont associées au même héritage » écrit saint Paul dans la lettre aux Ephésiens (2° lecture). « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile ». Que les Mages nous aident à vivre pleinement de ce don gratuit que Dieu nous fait. Qu’ils nous encouragent dans nos propres recherches de Jésus-Christ. Qu’ils nous inspirent un esprit d’adoration capable de faire grandir en nous l’estime pour tous nos frères.
Amen
+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors