Épiphanie du Seigneur

Dimanche 8 janvier 2023. Cathédrale de Cahors

  Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

Les catholiques pratiquants peuvent avoir l’impression, depuis quelques dizaines d’années, d’être condamnés à des replis stratégiques, à des diminutions d’effectifs, à une perte d’influence et de reconnaissance sociale, bref à toutes sortes de rétrécissements. C’est d’ailleurs l’image que nous renvoie la société qui considère de plus en plus que les religions doivent rester dans le domaine privé, que l’appartenance religieuse doit être quelque chose de très individuel, porteur d’options marginales, voire en partie toxiques pour l’intérêt général de la société, lequel intérêt général est supposé être garanti par la République. Ce regard extérieur provient peut-être aussi de la manière selon laquelle nous nous situons nous-mêmes dans le monde, peut-être trop souvent en posture défensive, n’ayant de visibilité que sur des combats quasiment perdus d’avance comme ceux liés aux lois sociétales. Ces lois, nous le voyons bien, visent surtout la garantie de libertés individuelles, sans se demander si certains comportements individuels présentés comme des progrès, ne sont pas porteurs de plus de toxicité pour l’intérêt général que les religions qui s’y opposent. Bref, nous pouvons, dans ce contexte, avoir l’impression d’être de moins en moins nombreux et de moins en moins consistants dans le monde actuel.

Pourtant la fête de l’Épiphanie nous donne une vision totalement contraire. On y contemple le mouvement des nations éloignées qui convergent à la crèche, vers le Christ, à travers la symbolique des mages venus d’orient. Les lectures de ce jour le soulignent, comme ce beau texte d’Isaïe : « les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers ta clarté naissante » et aussi ce constat de l’Apôtre Paul : « toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus par l’annonce de l’Évangile ». C’est, en effet, la découverte du Christ attirant tous les hommes à lui qui est au cœur du mystère de l’Épiphanie. Dieu intéresse, Dieu attire, Dieu voit converger vers Lui des gens inattendus, improbables, des païens des mages, des personnages atypiques et étranges. L’Évangile ne prétend pas d’ailleurs que ceux qui sont attirés vers la crèche soient nombreux et il ne mentionne aucun chiffre : on parle de mages, on ne sait pas s’ils étaient deux, trois, soixante-dix ou trois-mille… Ce n’est pas le nombre qui compte, mais plutôt leur provenance improbable, l’attrait étonnant exercé sur eux par la naissance du Fils de Dieu, ainsi que leur démarche : « nous sommes venus nous prosterner devant lui ».

On pourrait se dire que c’était il y a deux-mille ans et que les choses ont bien changé depuis. Sans doute, le monde a-t-il changé. Il s’est même élargi, « mondialisé ». Il n’y a plus besoin d’une étoile ni d’une crèche pour attirer dans nos villes des centaines de personnes aux profils bigarrés. Mais ce qui n’a pas changé, c’est que le Christ continue d’attirer à lui. Les catéchumènes, tous ces adultes qui demandent le baptême en témoignent. Près de 4300 baptêmes d’adultes ont été célébrés en France en 2022. Leurs profils et leurs itinéraires sont si variés et souvent tellement inattendus que l’on ne peut faire autrement que de voir à travers eux cette continuation de l’événement de l’Épiphanie. Mais, par ailleurs, nos assemblées aussi ont changé de style ces dernières décennies et on ne peut plus dire que les catholiques correspondent à un profil sociologique déterminé. Aux dernières élections les statisticiens mangeaient leurs bérets en essayant de voir une différence entre le vote des catholique et celui des autres français, ils ne voyaient que de très légères nuances. Nos assemblées sont aussi composites sur le plan des rêves et idées que le reste de la société. Même si nous nous sentons peu nombreux, au regard du grand nombre d’églises dans nos campagnes qui ne se remplissent pas beaucoup ou pas très souvent, nous sommes de plus en plus représentatifs de l’ensemble si varié des composantes de la société actuelle. Cela n’est pas sans générer quelques difficultés pour vivre concrètement la communion et pour faire communauté dans nos paroisses. Nous ne savons pas toujours bien comment nous accueillir les uns les autres, ni même parfois nous intéresser suffisamment les uns aux autres. Pourtant, nous aurions tant à nous apporter les uns aux autres, du fait justement que nous sommes différents et que nos itinéraires humains comme nos parcours de foi sont extrêmement variés. Si nous savions davantage partager ce que nous vivons, ce qui nous anime, décrire quelles sont les étoiles qui nous guident vers Jésus, témoigner des élans intérieurs ou des médiations extérieures qui nous attirent vers le Christ, ce seraient de beaux cadeaux que nous nous ferions les uns aux autres.

Regardons les mages, ils n’arrivent pas les mains vides, mais porteurs de cadeaux, d’or, d’encens et de myrrhe. Ils apportent à Jésus les symboles de ce qu’ils peuvent comprendre de lui. L’or parce qu’ils voient en lui leur roi, celui qui peut gouverner leur existence. L’encens parce qu’ils reconnaissent en Lui la divinité vers qui et en l’honneur de qui l’encens est brûlé. La myrrhe, parfum pour embaumer les morts, parce que déjà, ils semblent prévoir que le Sauveur va donner sa vie et mourir (ce que les manigances d’Hérode ont pu leur faire déjà sentir) pour nous sauver, pour nous donner la vie qui n’aura pas de fin. La tradition a voulu attribuer à chacun des mages un de ces trois cadeaux symboliques, c’est pourquoi on dit qu’ils étaient trois. Parfois un poète en invente un quatrième pour nous aider à mieux nous identifier à lui. Tout cela exprime encore la diversité de leurs itinéraires, de leurs visions de Jésus-Christ, de ce qui les a attirés vers lui. Sommes-nous capables, nous aussi, de partager, comme des cadeaux de l’Épiphanie, ce qui nous motive personnellement, ce qui nous attire à Jésus, les motifs de notre participation au rassemblement en Église ? Si nous le faisions davantage, si nous nous faisions ce cadeau de partager ce qui stimule notre foi ou notre quête spirituelle, sûrement, nous verrions et nous donnerions à voir autre chose qu’une communauté en perte de vitesse. Nous ferions ressortir le dynamisme de la foi et de l’espérance chrétiennes.

Personnellement, quand je vois la ferveur de nos assemblées, quand je vois la diversité de ceux qui la composent et leur capacité à prier ensemble, à proclamer ensemble le même symbole de la foi, j’y trouve une grande joie, je ne repars jamais d’une célébration comme j’y suis arrivé, mais toujours avec plus d’enthousiasme. Vous me faites du bien, mes frères, car le Seigneur me donne de voir ou au moins d’entrevoir en vous son œuvre, son attrait qui demeure et qui peut toucher toute personne, quelle que soit son parcours de vie, ses origines, sa culture, son histoire.

En ce jour de fête, laissons-nous attirer de nouveau par le Seigneur, prosternons-nous devant lui qui se rend présent pour nous dans le sacrement de l’eucharistie et n’ayons pas peur de nous faire ces cadeaux d’or, d’encens ou de myrrhe qui exprimeront ce qui nous habite, ce que nous pouvons dire des merveilles que Dieu a fait pour nous.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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