Église Saint-Joseph de Biars. Homélie de Mgr Laurent Camiade

Dimanche 28 février 2021

Mes frères,

Jésus a appris à ses disciples la prière du Notre Père. Il nous a laissé ce témoignage assez révolutionnaire pour comprendre que Dieu est Père, il est son Père et notre Père. C’est Dieu qui est notre origine. Or, Jésus lui-même est Dieu et cela veut dire que Dieu est tout en même temps Père et Fils. Dieu est relation entre un Père et un Fils avant même la création du monde. Il n’y a qu’un seul Dieu, mais en lui-même, il est relation, amour, Esprit d’amour, Père et Fils. Ce mystère de la Trinité est quasiment incompréhensible pour nos intelligences car nous n’arriverons jamais à comprendre comment un seul être peut être et Père et Fils et Esprit.

Ce que nous pouvons essayer de comprendre, c’est quel genre de Père est Dieu. Père et Fils sont des mots humains qui décrivent des réalités humaines mais dont Jésus se sert pour nous faire connaître Dieu. Et la manière dont Dieu est Père peut donc aussi inspirer nos relations familiales. Pour comprendre la relation Père-Fils en Dieu, les textes de la messe d’aujourd’hui nous apportent quelques clés qui, reconnaissons-le, ne sont pas très faciles à manipuler.

La première clé pour comprendre quel genre de Père est Dieu, c’est l’ordre que Dieu donne à Abraham de lui sacrifier son fils ! Étrange Père, en effet, qui demande à un autre Père de tuer son fils ! Pour comprendre un peu mieux cette absurdité, il faut se rappeler qu’à cette époque très ancienne, sacrifier un enfant était assez courant. La plupart des religions anciennes comportaient des sacrifices d’enfants. C’était dans les mœurs, un peu comme aujourd’hui l’avortement est assez fortement inscrit dans les mœurs courantes d’une partie de nos contemporains ou comme l’évolution actuelle des lois bioéthiques, tandis que nos sociétés avaient progressé en définissant des droit de l’enfant, laissent deviner que pour certains, les désirs des parents sont situés au-dessus des droits les plus élémentaires des enfants. Ces déviances n’ont pas toujours existé et nous pouvons espérer que cela changera un jour, qu’une nouvelle prise de conscience se produira. Elles nous aident à comprendre la situation culturelle au temps d’Abraham où les sacrifices rituels d’enfants faisaient partie du paysage. Ce qui choque, en fin de compte, c’est que Dieu demande cela à Abraham. De plus il semble bien qu’Abraham qui pourtant aimait son fils, n’a aucune hésitation à obéir. Abraham plaçait de grands espoirs en son fils Isaac puisque c’était son fils unique, son unique enfant né très tardivement, au point que l’espoir d’en avoir un autre était improbable. Mais sa confiance en Dieu est totale et il n’hésite pas à obéir. Plus tard, saint Paul dans la lettre aux Romains et l’auteur de la lettre aux Hébreux diront qu’Abraham avait déjà la foi en la résurrection et il savait que son fils serait vivant pour toujours en Dieu. Mais tout de même, c’est choquant ! Quel genre de père peut ainsi sacrifier son fils ? Heureusement, Dieu retient le bras d’Abraham et c’est la grande révolution religieuse de la bible, désormais, on ne sacrifiera jamais un être humain, on offrira à sa place un animal. Dieu ne veut pas de ce genre de sacrifice, il ne veut pas de cette brisure dans le cœur d’un père qui l’obligerait à choisir entre sa confiance totale en Dieu et son amour pour son fils.

Mais pourtant, Dieu va prendre la place d’Abraham, il va faire ce qu’il n’a pas eu le cœur de demander à Abraham. Dieu va offrir son propre Fils en sacrifice. Ce qui change, c’est que son Fils lui-même est Dieu. Le Père s’offre donc Lui-même en offrant son Fils. Le Père est investi tout entier dans le sacrifice du Fils. Il dépasse ainsi la déchirure entre un cœur de père et l’acte du sacrifice. Et ce Fils qui est Dieu lui-même s’offre à la place d’Isaac, à la place de tous les fils qui auraient dû mourir pour rendre un culte à Dieu. Dieu prend la place d’Abraham et la place d’Isaac en même temps. Le Christ, l’Agneau de Dieu, accomplit ce que les béliers ou les autres animaux offerts à la place des humains ne pouvaient faire que symboliquement mais pas réellement. Dieu est un Père qui se donne totalement lui-même pour le Salut de ses fils que nous sommes. Ce sera le scandale de la croix. Le choc de la croix !

Mais Jésus, nous le voyons dans l’Évangile de la Transfiguration, veut préparer ses disciples, Pierre, Jacques et Jean, au choc de la croix. C’est pourquoi, avant de leur demander plus tard de l’accompagner au Mont des oliviers, le soir de son agonie, il les invite dans l’Évangile d’aujourd’hui à assister à sa Transfiguration, c’est-à-dire à cette manifestation de sa divinité : son corps et ses vêtements qui se mettent à rayonner de l’intérieur, d’une façon incroyable. Il leur montre ainsi que la vie et le corps des hommes sont appelés à plus de gloire que de souffrance.

Et la voix du Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le ! ». Voilà quel genre de Père est Dieu, un Père dont l’autorité sert à appuyer la parole du Fils, un Père qui s’appuie sur son Fils, lui fait confiance et nous ordonne de l’écouter, de lui faire confiance, de nous laisser sauver par Lui. La Croix n’est pas simplement un supplice ni simplement un sacrifice. C’est une révélation de l’amour du Père pour son Fils et, à travers lui, pour toute l’humanité dont le Fils à épousé la condition mortelle.

Le corps transfiguré de Jésus manifeste la beauté cachée de notre vocation à partager la gloire de Dieu. Il est très important que cela se manifeste dans un corps humain. A la suite de Jésus et grâce à Lui, c’est tout notre être réel, incarné, qui est appelé à la gloire. Nous sommes faits pour plus que nous n’imaginons.

Les témoins de ce mystère sont à la fois Moïse et Élie qui représentent l’Ancien testament, Jésus lui-même qui est le Nouveau testament, parole vivante de Dieu, et les Apôtres, qui symbolisent les témoins de la résurrection de Jésus et dont les successeurs sont chargés de garantir la vérité de la foi contenue dans leur témoignage. Les sacrements, la liturgie de l’Église rendent témoignage à la lumière divine qui s’est révélée sur le mont de la Transfiguration. C’est pourquoi, dans la liturgie de l’Église, trouve place ce qu’il y a de plus beau dans les formes de nos cultures humaines. On y lit l’Ancien testament, le Nouveau testament et on y fait l’expérience de la présence de Jésus en vivant ses gestes qui se perpétuent à travers la vie du corps ecclésial.

Préparons-nous à vivre les fêtes de Pâques, à suivre Jésus à travers le choc de la croix, en le regardant transfiguré, rayonnant de l’amour du Père qui n’abandonne pas ses enfants à la mort, mais s’offre pour nous afin de nous conduire jusqu’à la vie éternelle.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque de Cahors

Soutenir par un don