Cajarc - Fête de la terre

Dimanche 1° septembre 2019.
Homélie de Mgr Laurent Camiade

« L’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute » (Sir 3,29).

Les lectures de ce dimanche nous offrent un enseignement sur l’humilité. Et peut-être qu’il faut beaucoup d’humilité pour avoir une oreille qui écoute vraiment, car celui qui croit déjà tout savoir écoute toujours avec des a priori. Il a tendance à ne retenir que ce qu’il sait déjà, et il passe facilement à côté de choses importantes. La sagesse liée l’humilité suppose de savoir vraiment écouter, parce que l’on a besoin de la parole, du message de l’autre. Cela nous aide à sortir de la logique de pouvoir, de jalousie et de concurrence qui tue l’amitié entre nous. En ce sens, ne pas choisir soi-même la première place comme Jésus nous y invite à travers la parole entendue il y a un instant est un exercice salutaire, libérateur !

Dans la société actuelle, nous sommes souvent saturés de messages, de bruit et même d’images, souvent des images-choc. Notre émotivité est sans cesse sollicitée par des rumeurs, des catastrophes, des nouvelles alarmistes. C’est au point que si, par hasard, un jour, il ne se passait rien de grave, rien de terrible pour l’avenir de notre pays ou même de la planète, nous risquons de nous ennuyer !

Une des grandes vertus de la terre, de la vie rurale, de l’agriculture en général, c’est qu’il y restera toujours une dimension paisible, un rythme qu’on ne peut pas trop brusquer et si l’on s’y risque, on provoque vite des catastrophes. On dit souvent qu’on ne peut pas tirer sur l’herbe pour que le blé pousse plus vite. Mais nous savons aussi qu’il existe aujourd’hui tant de procédés techniques qui s’efforcent tout de même de forcer ces règles de la nature, de faire engraisser les veaux plus rapidement, d’avoir des fraises même hors saison… On sait aussi très bien, à l’inverse, ralentir le mûrissement de certains fruits pour étaler la vente en fonction du marché. Bref, l’ingéniosité humaine est sans cesse en train de chercher à maîtriser le temps et la vie de la terre. Cela n’est pas forcément mauvais, mais nous sentons tous qu’il existe de gros risques. Alors, le monde agricole lui aussi, pressé de toutes part en fonction des exigences économiques, devient sensible au catastrophisme ambiant qui obnubile nos contemporains et nous empêche d’avoir une oreille qui écoute vraiment. Certains tracteurs aujourd’hui sont même connectés à l’internet ce qui participe à rendre le patient travail du cultivateur toujours plus stressant. Que devient alors l’amour de la terre ?

Je pense que cette idée d’une « fête de la terre » est excellente pour se rappeler d’où vient la vraie richesse du monde rural.

Il ne s’agit pas de diviniser la terre comme si elle était la réalité ultime. C’est une partie de la création de Dieu. Mais dans la création, la terre occupe une place importante.

Le pape François dans sa grande encyclique Laudato si’, rappelle que pour saint François d’Assise, la terre est comme notre mère. Notre mère la terre. C’est elle, en effet qui nous nourrit, comme une mère nourrit son bébé. La terre est aussi « notre maison commune » qu’il ne faut pas transformer en dépotoir. Elle est ainsi pour nous également une sœur qui gémit et dont nous n’entendons pas suffisamment les gémissements. Ainsi, de même que la terre fait partie de la création, nous aussi, nous les hommes, nous sommes des créatures.

Nous avons reçu la terre comme un don de Dieu, elle nous est confiée, mais en réalité elle ne nous appartient pas, elle a quelque chose de sacré qui appartient à Dieu seul. La propriété privée qui est un titre juridique ne donne pas un quitus moral pour faire n’importe quoi de la terre. Car aucun morceau de terre ne peut, en réalité, être coupé du reste de l’univers. Ce que nous en faisons pèse sur le reste du cosmos, si nous n’en faisons pas un usage équilibré. Le pape dit ainsi : « Chaque communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la continuité de sa fertilité pour les générations futures » (Laudato Si n° 67).

J’avoue que je suis toujours peiné quand je vois des agriculteurs découragés, qui pensent que leur métier n’a pas d’avenir ou même qui s’efforcent de dissuader leurs enfants de reprendre l’exploitation après eux. C’est le signe que quelque chose ne va pas dans la société. Car ce sont de bonnes personnes. Ils ont choisi un métier qu’ils aimaient. Ils y ont cru, mais ils se trouvent pris dans un contexte trop dur. Parfois, ils sont trop isolés, prisonniers de logiques de concurrence avec leurs collègues. C’est un peu comme s’ils pensaient que leur échec ou leur disparition réjouirait les autres, ce qui est sûrement faux. Car nous avons tous besoin de la terre pour faire pousser la nourriture, pour élever les bêtes, pour partager notre fierté commune de vivre sur une terre qui nourrit nos frères. Et nous avons besoin les uns des autres.

Mais avons-nous gardé cette capacité de nous écouter les uns les autres ? Avons-nous gardé cette sagesse d’une oreille qui écoute ? Parfois, lorsqu’on se sent mal, déprimé, écrasé par les soucis (je peux vous dire, à mon niveau, je connais ça !), et bien il est indispensable de trouver une oreille qui écoute. Et le dialogue qui peut alors s’établir permet de repartir et d’aller de l’avant.

Cela dit, le sens ultime de notre vie sur cette terre, c’est dans le message que Dieu nous adresse à travers chacune de ses créatures et que nous pouvons découvrir. Pour découvrir le message de chaque créature, il faut être attentif. Pour cela, nous avons besoin d’écouter la Parole de Dieu, de devenir familiers des Écritures. Car la Bible est remplie d’images qui font ressortir la portée symbolique de chaque créature. Dieu a voulu et veut encore nous dire qui Il est à travers sa création. Il nous révèle son amour pour nous dans la création, dans la belle harmonie des choses, dans la générosité de la nature.

Mais peut-être aussi que dans les limites que nous percevons à travers l’exploitation excessive des ressources naturelles, nous pouvons —nous devons— entendre cet appel à plus de sobriété, de calme, de modération dans nos modes de vie. Écouter ce message n’est pas facile car nous sommes addicts aux catastrophes et aux émotions-choc. Nous voulons toujours plus de pouvoir sur le réel, certains d’entre nous seraient même prêts à se laisser transformer en cyborg. Nous sommes addicts au pouvoir sur le réel et à la croissance économique. Retrouver une vie sobre et paisible exigera un sevrage. Et cela nécessite des efforts et de la détermination. L’Evangile d’aujourd’hui nous propose un exercice spirituel qui peut nous aider sur ce chemin de sevrage : ne pas choisir soi-même la première place, mais laisser Dieu, le maître du repas, nous indiquer quelle est notre place, celle où nous pourrons le mieux développer nos capacités et accomplir notre vocation.

En Dieu qui nous a confié la terre, nous pouvons puiser la force nécessaire pour vivre ce sevrage, pour retrouver un équilibre dans nos vies et dans nos modes d’exploitation de la terre.

Le rythme traditionnel de la semaine, avec le repos hebdomadaire du dimanche est un rythme sage. Il donne sa place à Dieu, à la prière, à la célébration de la messe, au temps passé en famille, à une certaine gratuité dans les relations qui rend capable d’écouter les autres et d’entendre le message de chaque créature.

Mes frères, je vous laisse avec cette sentence du livre de Ben Sirac le sage : « L’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute » (Sir 3,29).

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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