Bénédiction de l’orgue rénové de l’église St Pierre à Gourdon

Dimanche 16 avril 2023

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

L’orgue a une place importante dans la liturgie et dans notre vie de prière. Nous le savons tous, la musique de l’orgue, avec ses multiples registrations, peut nous accompagner dans des moments de joie ou de tristesse. Elle soutient nos chants et favorise notre contemplation ou notre prière. En bénissant cet orgue, nous avons demandé à Dieu de bénir tous ceux qui l’utiliseront pour louer et glorifier son nom, ainsi que tous ceux qui l’entendront. Nous sommes, par ailleurs, reconnaissants envers tous ceux qui ont travaillé pour rendre possible la rénovation de cet instrument, les artisans, les musiciens et ceux qui ont financé (ce sont les collectivités, donc nous tous !) cette belle rénovation ainsi que l’ajout de plusieurs jeux car un orgue, vous le savez bien, a un coût élevé.

Dans la première lecture, au second chapitre des Actes des Apôtres, nous avons entendu évoquer l’importance, dès les débuts de l’Église, de la « fraction du pain » (Ac 2,42). La « fraction du pain » était le premier nom de ce que nous appelons la messe ou le sacrifice eucharistique. Cette mention de la fraction du pain dès le début de l’Église montre, la place centrale qu’a eue, depuis les origines, la célébration de la mort et de la résurrection du Christ autour du sacrement de l’eucharistie. Les premiers chrétiens y étaient « assidus » nous dit le texte. Quelques versets plus loin, il est même dit que « chaque jour, d’un même cœur, […] ils rompaient le pain dans les maisons ». Chaque jour ! Même s’ils n’avaient pas encore de belles églises (ils allaient encore dans le Temple louer Dieu avec les autres juifs) et qu’ils devaient être discrets, dans des maisons privées, ils se réunissaient pour faire chaque jour la fraction du pain. Cette ferveur de foi est remarquable, d’autant plus impressionnante qu’il y avait peu de moyens et aussi la peur des autorités juives, toujours hostiles aux disciples de Celui qu’ils avaient fait crucifier.

Après de longues premières années de persécutions diverses, au IV° siècle, on a commencé à célébrer dans des lieux ouverts et même à bâtir des églises et des basiliques dédiées au culte eucharistique et à la prière chrétienne. Il faut attendre le VIII° siècle pour que l’on commence à installer des orgues dans les églises, puis peu à peu, que cet instrument acquière une quasi exclusivité. Il est un symbole de l’importance de la beauté en liturgie et, pourrait-on dire, de l’habitude d’y mettre le prix. L’Église n’a jamais craint, en effet, de dépenser de l’argent pour la beauté du culte qu’elle rend à Dieu au cours du sacrifice eucharistique. On rappelle souvent à ce sujet l’onction de Béthanie, ce geste de Marie (la sœur de Marthe et de Lazare) qui verse un riche parfum, « un nard pur, de grand prix » (Jn 12,3) sur les pieds de Jésus, sans s’occuper des protestations de Judas qui prétend qu’on aurait pu vendre ce parfum pour faire des dons aux pauvres. Rien de nouveau aujourd’hui, quand quelqu’un dépense pour la liturgie de l’Église, il y a toujours des Judas qui sont jaloux de Dieu et préfèreraient un autre usage à ce qui est ainsi généreusement donné. Faire du beau pour exprimer notre foi, même si, et justement parce que ce n’est pas nécessaire, plaît à Jésus. Le seul risque serait de vouloir en tirer une gloire humaine, de ramener à soi en jouant les vedettes au milieu d’œuvres d’art destinées à rendre gloire à Dieu. Cela consisterait à mettre la foi en dessous de l’or et de tout ce qui brille. Dans la seconde lecture, saint Pierre nous a justement rappelé : « votre foi a bien plus de prix que l’or, cet or voué à disparaître » (1P 1,7).

L’Église a bien moins de moyens aujourd’hui qu’à d’autres époques, mais à sa mesure, elle est appelée à continuer à rendre témoignage à ce qui a plus de prix que l’or : la foi en la résurrection de Jésus.

Pour nous encourager dans cette foi, Jésus a multiplié les apparitions après sa résurrection, afin que les Apôtres puissent en témoigner. Je suis frappé de cela : le Ressuscité n’est pas apparu seulement une foi, ce qui aurait pu suffire pour montrer qu’il est vivant, mais plusieurs fois. Il a insisté. L’Évangile d’aujourd’hui raconte deux de ces apparitions, une à dix des Apôtres, sans Thomas qui est occupé ailleurs ni Judas qui s’est pendu, puis, une où les onze Apôtres vivants sont au complet. Face aux doutes exprimés par Thomas, Jésus revient, il insiste, il ne laisse pas les Apôtres sans réponse. L’Évangile de saint Jean rapportera encore une troisième apparition de Jésus, à sept des disciples, au bord du Lac où il va rompre du pain pour eux et le leur distribuer (Jn 21,13). Remarquons que le cadre du bord du Lac de Tibériade est un des plus beaux qui étaient possibles pour un tel geste de fraction du pain.

Jésus insiste, mais par ailleurs, il n’hésite pas à mettre en œuvre toutes sortes de dons de la création pour manifester sa vie plus forte que la mort et sa gloire. En effet, la pêche miraculeuse qui précédait ce geste de fraction du pain fut un signe de la prodigalité de Dieu à l’égard de ses disciples. Les 153 poissons pêchés au bord du lac de Tibériade, représentaient, selon saint Jérôme, le nombre d’espèces de poissons connues à cette époque, ils indiquaient ainsi l’universalité de la mission de l’Église. On peut dire que les multiples sonorités d’un orgue (les 1000 tuyaux de l’orgue de Gourdon) ont aussi cette signification d’universalité. Alors n’oublions pas de prier pour que cet orgue rénové, à travers la diversité et la riche harmonie des sons qu’il est capable d’émettre, nous remette en mémoire les appels de Jésus à la paix, à la fraternité et à l’unité.

Pour revenir à l’insistance de Jésus qui multiplie les apparitions et, en particulier, tient à offrir à Thomas la possibilité de toucher ses plaies, de mettre la main dans son corps ressuscité pour accéder à la foi, réalisons combien Jésus tient à nous faire entrer toujours davantage dans la foi. Si nous restons prisonniers du brouhaha de la société de consommation, de l’inondation des paroles et des images dont les ondes électromagnétiques nous abreuvent et de l’accélération permanente de l’enchainement de nos activités, nous ne savons plus pourquoi nous vivons. Thomas était sans doute un homme occupé, lui aussi, puisqu’il n’était pas disponible pour être, la première fois, avec les autres disciples quand ils ont vu Jésus. Alors, comme Thomas, nous avons besoin de nous arrêter, de rejoindre la communauté des disciples et aussi de faire silence pour nous rendre disponibles à l’intériorité, pour être de nouveau capables d’exposer notre vérité intérieure, ce que nous sommes vraiment, même si c’est parfois douloureux. C’est quand nous ne nous cachons pas ce que nous sommes, que nous pouvons véritablement rencontrer Dieu et laisser Jésus se manifester pour nourrir de nouveau notre foi.

Il vaut mieux d’ailleurs reconnaître, comme Thomas, nos doutes et nos manques de foi, nos réticences, nos incertitudes, nos besoins d’être confortés et réconfortés, car c’est toujours à partir de cette reconnaissance de notre réalité, de la vérité sur nous-mêmes, que Jésus peut nous rejoindre et non pas si nous nous bricolons une foi à notre mesure ou que nous nous persuadons d’être d’inébranlables mystiques. Le recours aux plaies de Jésus pour entrer dans la foi est significatif de ce que c’est souvent par les réalités douloureuses de notre existence que le Seigneur passe pour nous toucher et nous rejoindre. Il ne demande que ça. Il insiste même. C’est juste à nous d’ouvrir nos cœurs en acceptant notre misère.

Alors, comme Thomas, nous pourrons nous écrier : « mon Seigneur et mon Dieu ». Peut-être les grandes orgues n’ont-elles pas d’autre vocation que de chanter pour nous ce même acte de foi qui jaillit du plus profond de nos âmes : « mon Seigneur et mon Dieu ».

Amen. Alleluia.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

Photographies : Clémence Boucheix

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