Appel décisif des catéchumènes / Homélie de Mgr Laurent Camiade

Dimanche 21 février 2021 - Cathédrale de Cahors

Mes frères,

Nous célébrons en ce dimanche l’appel décisif des catéchumènes. Si vous êtes appelés au baptême aujourd’hui, c’est pour devenir comme Jésus, pour vivre ce qu’il a vécu, pour vous engager à sa suite et avec sa grâce sur un chemin d’amour et de vérité. L’appel décisif est une étape du baptême où va résonner à vos oreilles la révélation d’un appel qui existe déjà dans votre vie depuis toujours, mais qui reçoit en ce jour son expression liturgique, rituelle et communautaire. Au nom de l’Église, l’évêque va dire tout simplement que vous êtes appelés. Vous l’aviez deviné et c’est pourquoi vous êtes là au milieu de nous, vous avez déjà vécu plusieurs étapes, en particulier l’entrée en catéchuménat qui était une étape liturgique importante. Vous avez été accompagnés par des prêtres et d’autres baptisés avec qui vous avez pu partager et mieux connaître la parole de Dieu et ses appels à la conversion. Ces personnes vous ont aidé à comprendre comment être chrétien engage nos actes, nos manières d’agir au quotidien. Ceci est très important car, dans la culture contemporaine, il a souvent été dit que Dieu serait une affaire privée qui ne regarde pas la vie en société mais seulement la conscience individuelle des croyants. Or cela est faux. Dieu, la foi en Dieu change notre façon d’agir et, par notre agir, nous en venons modestement mais réellement à changer le monde. On ne devient pas chrétien pour acquérir de super-pouvoirs de transformation de la société, mais parce qu’on a découvert qui est Jésus-Christ et on espère ressusciter un jour avec Lui pour former un seul peuple de frères dans le royaume de Dieu. Or, cette découverte et cette foi impliquent des changements dans notre vie de tous les jours et des liens plus forts avec nos frères en humanité. Et c’est cette régénération de la fraternité qui est un facteur de transformation du monde.

L’Évangile de ce jour nous dit qu’après son baptême, Jésus ne va pas directement changer le monde, mais il se retire au désert, là où, à priori, il ne se passe pas grand chose. Sauf que nous apprenons qu’il y reste quarante jours et qu’il y est tenté par Satan. Tous les hommes, même et peut-être plus encore, les baptisés sont tentés par Satan qui veut nous détourner de notre amitié avec Dieu et avec nos frères. L’Évangile de Marc ne précise pas de quelle manière Satan a tenté Jésus mais il nous offre une image de la victoire de Jésus sur les tentations qui est une promesse pour nous de la présence et du soutien de Jésus face à nos propres tentations. Cette image, c’est Jésus parmi les bêtes sauvages et les anges qui le servent. Les tentations n’empêchent pas Jésus de vivre en harmonie avec son environnement. Les bêtes sauvages elles-mêmes semblent en paix avec lui. Tandis que nous sommes très conscients aujourd’hui de nos inconséquences vis-à-vis de la création, de l’inflation terrible des déchets, du dérèglement climatique et de l’échec de notre puissance technique à maîtriser un problème sanitaire mondial, la vision de Jésus au désert, vivant au milieu des bêtes sauvages, panthères, serpents, scorpions ou autres pangolins, peut nous ouvrir à une compréhension nouvelle de ce que la victoire sur les tentations veut dire. Réapprendre à vivre en paix avec la création et avec toutes les personnes qui nous entourent est le combat de toutes nos vies si nous espérons vraiment un royaume de Dieu fondé sur la fraternité.

Saint Marc mentionne, juste après le séjour de Jésus au désert, comme une sorte d’indication chronologique : l’arrestation de Jean-Baptiste. Cette arrestation de Jean est connue des lecteurs de cet évangile car elle a impressionné toute une génération. Cela manifeste un aspect délicat de la vie de disciple de Jésus : le message de la foi n’est pas reçu facilement par tous. Et il provoque même assez souvent de la contestation et du rejet. Il est fréquent de penser que la crédibilité d’un message dépend de la quantité de personnes qui l’admettent. Ou bien, à l’inverse, certains qu’on désigne aujourd’hui sous le néologisme de complotistes, pensent que si une affirmation est contestée c’est le signe qu’elle porte une certaine vérité puisqu’elle dérange les autorités. La Bonne nouvelle du Royaume de Dieu ne s’appuie sur aucun de ces deux critères contradictoires de l’acceptation par le plus grand nombre ou du rejet par les puissants. L’arrestation de Jean-Baptiste est sans doute liée au fait qu’il conteste la vie personnelle du roi Hérode, mais pourtant, Hérode aimait entendre parler Jean. Sa parole, même âpre, était savoureuse à ses oreilles. Il sentait qu’elle était bienfaisante, même s’il n’a pas trouvé la force de la mettre en pratique. Le Martyre de Jean-Baptiste annonce surtout la mort de Jésus, voulue par une minorité influente qui refusait de reconnaître que Dieu puisse les rencontrer ainsi, à hauteur d’homme. Ils refusent cette proximité de Dieu qui vient rencontrer les hommes humblement. Et parce qu’ils refusent l’abaissement de Dieu, ils y participent en réalité d’une manière active en le faisant condamner à mort. Et Jésus, Dieu fait homme, se laisse faire. Par la suite, les épreuves traversées par les chrétiens, victimes de persécutions ou d’incompréhensions multiples, participent elles aussi, comme un témoignage vivant, à ce même mystère de l’abaissement de Dieu qui est l’œuvre du Christ et qui nous sauve. L’humilité est ainsi une marque essentielle de la vie chrétienne. Toute forme d’arrogance ou de mépris devrait être bannie de nos cœurs si nous voulons vraiment suivre Jésus-Christ.

Après l’arrestation de Jean donc, Jésus part en Galilée annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu et l’appel à la conversion. Le cliché c’est que les catéchumènes adultes ont vécu une conversion spectaculaire, qu’ils sont porteurs d’un grand courage pour avoir quitté une vie de péché et entrer dans la vie de la grâce. Or la réalité est toujours plus complexe. Ce qui m’a frappé en lisant les lettres des catéchumènes ici-présents, c’est qu’à travers des chemins très différents, les uns et les autres expriment que ce n’est pas tant leur recherche ni leur effort personnels qui ont été déterminants pour découvrir le Christ, mais le Christ Jésus Ressuscité, lui-même, est venu les surprendre et les rejoindre sur leur chemin, soit par une guérison, la naissance d’un enfant, une image intérieure, un soutien pour retrouver une vie droite ou une consolation dans le deuil. Même s’il passe par des moments décisifs qui marquent un avant et un après, le chemin de conversion est généralement long, étalé sur de nombreuses années. Et une fois baptisé, on n’est pas encore au bout de ce chemin. Il faudra toujours continuer à cheminer vers une vie plus unifiée en Dieu. Le sacrement de baptême sera un nouveau départ, mais aussi un jalon sur un itinéraire de vie qui devra toujours rester humble. Nous n’avons jamais fini de nous convertir. Grégoire de Nysse a eu cette formule célèbre : « celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement jusqu’au commencement sans fin de la vie éternelle » (Homélie sur le Cantique des Cantiques). Saint Pierre, dans le passage entendu en 2° lecture, dit que «  le baptême est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite » (1 P 3,21). Cet engagement est le lieu même où nous mesurons de plus en plus que nous n’en sommes qu’au commencement et bien loin du but. L’expérience de notre faiblesse est alors le lieu même où Jésus-Christ nous sauve. Sainte Thérèse de l’enfant Jésus disait après avoir fait le récit du commencement de sa vie spirituelle : « j’ai reconnu bien vite que plus on avance dans ce chemin, plus on se croit éloigné du terme, aussi maintenant je me résigne à me voir toujours imparfaite et j’y trouve ma joie…  » (Manuscrit A, Folio 74 r°).

Mes frères, l’appel décisif des catéchumènes marque leur engagement dans la famille des fils de Dieu. Cela les engage et nous engage avec eux à chercher à retrouver, en contemplant la vie du Christ, une plus grande harmonie avec nos frères humains et avec toutes les créatures. La foi au Christ implique un témoignage courageux mais surtout d’imiter l’humilité du Fils de Dieu qui s’est fait l’un de nous et a traversé la mort pour nous sauver. Cela nous conduit à la joie de ne faire jamais que commencer d’entrer dans la vie du Royaume de Dieu, qui nous est promis pour la vie éternelle.

Amen.


Merci à Michel Lhommelet pour les photos ci-dessous (cliquez pour agrandir)

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