par Mgr Laurent Camiade.
Dimanche des Rameaux 14 avril 2019
Commençons par prier avec les mots que Jésus nous a enseignés : Notre Père…
Depuis des siècles, notre cathédrale a abrité « la Sainte Coiffe », un linge vénéré comme le suaire de la tête du Christ. Celui-ci, selon l’Évangile, est vu par Pierre et Jean au tombeau vide (cf. Jn 20,7).
En cette année où nous célébrons le 900e anniversaire de la cathédrale Saint-Etienne de Cahors, dans la continuité du vœu qu’en avait exprimé mon prédécesseur Mgr Norbert Turini, j’ai souhaité, avec l’aide des services de l’État et du patrimoine qui auront rénové l’abside qui lui est dédiée, remettre dans la cathédrale cette relique autrefois célèbre mais un peu oubliée.
Ces propos reprennent en partie des réflexions déjà publiées sur la culte de la Sainte-Coiffe, auxquelles j’en ajouterai quelques autres. Je développerai surtout le sens de la vénération des reliques dans le culte chrétien.
Le réalisme de la mort et de la résurrection
Ce qui compte avec la Sainte-Coiffe, c’est d’ouvrir nos cœurs au mystère de la Résurrection de Jésus : il n’a pas fait semblant de mourir et a été enseveli (comme le rappelle le Credo). Il est ressuscité et sa résurrection a concerné son corps qui n’a pas connu le pourrissement. Les évangiles nous en présentent des indices. L’habitude ancienne de vénération de différents linges de la passion, de la mort et du tombeau vide, nous en donne quelques autres. Cela nous encourage à espérer davantage la résurrection promise de notre chair renouvelée par l’Esprit Saint.
Ceux qui, avant nous ont cru en la Résurrection du Seigneur et vénéré cette relique ont laissé leur sensibilité s’imprégner de ce même mystère auquel nous sommes invités à croire. Notre foi ne se nourrit pas de raisonnements ni de preuves. Mais les linges de la Passion font appel à notre besoin de mémoire et d’émotion sensible. Ce sont deux choses différentes que de savoir intellectuellement que Pierre et Jean ont vu les linges au tombeau vide et de voir ou même toucher le linge de la tête ou ce qui peut en rester.
Le tissu vénéré aujourd’hui est un témoin de la foi transmise de génération en génération de croyants. Sa distance probable d’avec l’objet matériel ayant recouvert la tête de Jésus n’a jamais diminué la dévotion à la Sainte-Coiffe. Une relique est toujours un moyen et jamais une fin. Ce sont les grâces obtenues dans cette vénération qui ont toujours stimulé la dévotion. Au cours des processions de la Sainte-Coiffe, en particulier, de nombreux signes de la bienveillance de Dieu ont été obtenus. Le bienheureux Alain de Solminihac (évêque de Cahors au XVII° siècle) a organisé des processions avec la Sainte-Coiffe, en particulier lors des grandes pestes qui ravageaient le diocèse. La ville de Cahors a été épargnée.
Vénération n’est pas adoration
Dans le vocabulaire religieux chrétien, il existe des différences importantes entre vénérer, adorer, contempler… Pour les reliques on parle de vénération, ce qui signifie étymologiquement « respect ». La vénération des saints ou des reliques découle de leur lien avec la personne du Christ qui les habite de sa grâce. La vénération suppose un acte de foi : je reconnais dans cet objet ou la vie de ce saint, un témoignage de l’action gratuite de Dieu.
La vénération se distingue de l’adoration. L’adoration est due seulement à Dieu. La tradition catholique, depuis le concile de Trente a tenu à distinguer clairement le culte de dulie du culte de latrie. La latrie est due à Dieu seul. La dulie (du grec « doulos », serviteur-esclave) ne concerne pas Dieu mais ses serviteurs. La dulie se distingue encore entre dulie absolue : lorsqu’on s’adresse aux saints eux-mêmes par la prière d’intercession ou le respect envers sa personne ; et dulie relative : c’est la vénération des reliques des saints. La vénération d’une relique n’est donc ni un culte de latrie ni une dulie absolue, mais une dulie relative. Ce vocabulaire et ces nuances ont été précisées au XVI° siècle en réponse aux objections des protestants qui estimaient que le culte des saints détournait les croyants du Christ, l’unique Médiateur et Sauveur. Ainsi, il convenait de bien redire que prier les saints et vénérer leurs reliques, c’est reconnaître la grâce du Christ qui les a rendus saints, serviteurs du mystère du Salut. Le Sauveur c’est Jésus-Christ.
Ce culte des reliques, dit relatif peut être tout à fait un chemin spirituel faisant entrer dans une vraie prière, car Dieu nous a placés sur la terre avec toutes sortes de moyens relatifs pour parvenir jusqu’à lui. Il faut confondre le mot relais non de façon restrictive mais comme lié à une relation, parmi d’autres, mais il s’agit bien d’une mise en contact, d’un lien. Nous pouvons nous appuyer les uns sur les autres pour avancer vers le Seigneur. C’est même le commandement du Christ que de nous aimer les uns les uns les autres. La sainteté est favorisée par une culture, une ambiance, toutes sortes de médiations relatives (cf. Exhortation du pape François sur l’appel à la sainteté, Gaudete et exultate, n. 141), l’unique médiateur qui donne accès à Dieu étant Jésus-Christ. J’ai évoqué plus haut mon prédécesseur, le bienheureux Alain : nous ne pouvons ignorer qu’il était ami de saint Vincent de Paul, qu’il avait connu saint François de Sales et beaucoup d’autres dans la mouvance de l’école française de spiritualité. Leur sanctification a bénéficié d’une culture de la sainteté.
Même lors d’une démarche individuelle de vénération d’une relique, on s’inscrit, en réalité, dans la continuité d’une expérience communautaire. Cela nous fait bénéficier de toute une tradition de piété et nous met en lien, dans la communion des saints, avec un peuple nombreux.
Le pape François, dans La joie de l’Évangile, le souligne que la piété populaire aide à dépasser l’individualisme et le subjectivisme de bien des recherches spirituelles actuelles :
« Les formes propres à la religiosité populaire sont incarnées, parce qu’elles sont nées de l’incarnation de la foi chrétienne dans une culture populaire. Pour cela même, elles incluent une relation personnelle, non pas avec des énergies qui harmonisent mais avec Dieu, avec Jésus Christ, avec Marie, avec un saint. Ils ont un corps, ils ont des visages. Les formes propres à la religiosité populaire sont adaptées pour nourrir des potentialités relationnelles et non pas tant des fuites individualistes. En d’autres secteurs de nos sociétés grandit l’engouement pour diverses formes de “spiritualité du bien-être” sans communauté, pour une “théologie de la prospérité” sans engagements fraternels, ou pour des expériences subjectives sans visage, qui se réduisent à une recherche intérieure immanentiste » (Evangelii gaudium, n. 90). Ainsi, pour le pape François, une spiritualité authentique est liée à la reconnaissance d’une transcendance et se vérifie dans le mouvement d’incarnation qu’elle comporte nous conduisant à aller vers les autres.
Ces remarques sont importantes. Il n’est pas question d’adorer la coiffe du Christ, mais bien de la vénérer. C’est une démarche dite relative (qui nourrit la relation ou qui permet de « nourrir des potentialités relationnelles », comme dit la pape). Elle nous inscrit dans la tradition populaire de piété de tous ceux qui l’ont fait avant nous. Et la vénération d’une relique a un contenu objectif commun à tous ceux qui la vivent : nous nous relions à la personne d’un saint ou, ici, pour la Sainte-Coiffe, au Christ Jésus lui-même. Même si nous vénérons dans une démarche individuelle, en fait, nous nous comportons selon des codes hérités d’une piété communautaire. C’est le cas par exemple quand nous allumons un cierge de dévotion : même s’il se peut que je sois seul en le faisant, je place mon cierge au milieu d’autres cierges, allumés par d’autres. La foi des autres me porte.
Même si elle comporte des taches qui pourraient être, à l’origine, du sang du Seigneur, la Coiffe n’est pas elle-même le Christ. Car ce sang n’est au mieux que des restes matériels du corps du Christ. Or, la portée salvifique du sang, selon la tradition judéo-chrétienne, est liée à l’effusion du sang, comme principe vital et non à la matière du sang, surtout pas du sang séché. Le sang du Christ, versé pour nous et présent sous l’espèce du vin lors de l’eucharistie a infiniment plus de valeur et mérite un culte d’adoration. L’eucharistie rend actuelle, contemporaine, l’offrande du Christ qui verse son sang pour nous sauver. Communier au Corps et au Sang du Christ dans l’eucharistie est l’acte religieux le plus important pour un chrétien. Il engage d’ailleurs, pour être accompli dignement, à répondre au don total de sa vie par le Christ à nous donner nous aussi par amour de charité pour nos frères, surtout les plus petits et les plus exclus (cf. Mt 25). La vénération des pauvres fait ainsi partie intégrante du culte de l’eucharistie.
Adorer Dieu seul.
Adorer Dieu seul est très important. C’est le premier commandement donné par Dieu à Moïse (Ex 20,2-6). Dans l’Ancien Testament, de nombreux textes nous alertent sur le grand danger spirituel qu’il y a à adorer des images fabriquées de main d’homme. Le plus célèbre est le récit du veau d’or : pendant que Moïse reçoit le décalogue, le peuple s’impatiente, et Aaron, croyant bien faire, fait fondre l’or du peuple pour fabriquer un veau en or. Il leur donne ainsi une image sur laquelle ils peuvent fixer leur regard. Il ne veut pas détourner le peuple du Dieu qui les a sauvés. Il leur dit : « Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte » (Ex 32,4). Aaron pense accomplir un acte d’apaisement, répondant à la demande du peuple sans trahir Dieu qui les a délivrés de l’esclavage. Mais Dieu ne veut pas de cela.
Il faudra attendre que Dieu Lui-même s’incarne pour que Dieu puisse être adoré sur terre sous une forme corporelle. Les hommes n’ont pas ce pouvoir de fabriquer eux-mêmes une image de Dieu. C’est Dieu, en s’incarnant, qui va donner aux hommes cette image parfaite de Lui : Jésus-Christ. Toutes les autres images de Dieu que les hommes veulent se fabriquer seront fausses, trompeuses, illusoires. Cette question de l’image de Dieu est centrale dans la vie de foi. Il est inévitable que nous nous fabriquions, dans notre esprit, une certaine image de Dieu. Mais nous avons tous à purifier sans cesse nos images de Dieu. Et seule la contemplation de Jésus-Christ rend possible cet ajustement progressif de nos fausses images de Dieu à la véritable image de Dieu, celle que Dieu Lui-même a façonnée pour nous en s’incarnant.
Nous n’avons peut-être pas les mêmes tentations idolâtriques que les Hébreux, au temps de Moïse. Mais, de même qu’ils ont pu être fascinés par la réussite technique et artistique de la fabrication du veau d’or (historiquement, les hébreux de cette époque-là n’étaient guère artistes ni artisans habiles mais plutôt frustres. Les galeries du Musée Archéologique Palestinien de Jérusalem montrent qu’à leur arrivée en Palestine, le passage du récent Bronze au Fer I, la civilisation locale subit une brusque décadence artistique), nous sommes peut-être quand à nous tout à fait fascinés par nos pouvoirs de transformation de ce qui nous entoure, tant sur le plan des technologies de pointe que de la robotique et des nanotechnologies en plein essor. Beaucoup parmi nos contemporains ne rêvent-ils pas de recréer une humanité augmentée, toujours plus performante ? Le veau d’or prend bien des formes en notre époque qui se croit peu religieuse mais nourrit des rêves irrationnels de domination, jouant aux apprentis créateurs !
Contempler le Christ en vénérant la Sainte-Coiffe.
La contemplation peut se dire de toute attitude émerveillée, de tout regard prolongé sur un beau tableau ou un beau paysage. Mais elle devient un acte religieux —au sens chrétien— seulement si l’on reconnaît la présence de Dieu ou l’origine divine en l’objet contemplé. Ce mot a donc des significations diverses, généralement liées au regard.
Contempler Jésus-Christ n’est pas évident puisqu’il a disparu depuis l’Ascension. Ce n’est donc pas une contemplation matérielle qui le permet, à l’exception de l’eucharistie que Jésus lui-même nous a laissée en disant « ceci est mon corps, ceci est mon sang ».
Mais c’est la foi en la parole de Jésus qui permet au regard de contempler Jésus-Christ en regardant une hostie consacrée. Car, en elle-même, l’hostie n’a pas une apparence attirante ni fascinante. C’est avec l’aide de l’Esprit Saint, dans la communion de l’Église, et jamais seuls que nous pouvons nous imaginer Jésus en nous représentant telle ou telle scène de l’Évangile. Par exemple, en relisant le récit de la découverte du tombeau vide par Pierre et Jean, nous pouvons demander la grâce du Saint-Esprit pour visualiser la scène et en faire une contemplation évangélique. Ou, en regardant la Sainte-Coiffe, nous pouvons tâcher de nous imaginer le corps de Jésus, sa tête qui en a été recouverte, puis, à la résurrection, le suaire qui recouvrait la tête, posé à sa place dans le tombeau… C’est un regard intérieur, contemplatif mais à distance des apparences visibles qui donne accès à l’image de Dieu qui est Jésus-Christ.
La vénération de la Sainte-Coiffe aide à fixer notre attention sur un objet dont parle l’Évangile de Jean et à porter ainsi un regard intérieur sur la scène décrite par l’évangéliste du moment où Pierre et Jean arrivent dans le tombeau vide après la résurrection de Jésus et qu’il est dit de saint Jean : « il vit et il crut ».
Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors
"Site officiel de la Sainte Coiffe de Cahors" ici.
Photographies : David Griaux