Fête de la vie religieuse. Vœux de sœur Tuoi

Samedi 27 juillet 2019.

Homélie de Mgr Laurent Camiade

Demeurer dans l’amour du Christ (Jn 15). Voilà le testament spirituel de Jésus. Avant sa mort, c’est le conseil fondamental qu’il donne à ses plus proches, aux disciples qui viennent de l’accompagner pendant trois années de ministère public. Demeurer dans l’amour du Christ.

Oh mes frères, mes sœurs, avons-nous pris au sérieux cette consigne ? Oui, sans doute : depuis des siècles, les chrétiens se sont efforcés de demeurer dans l’amour du Christ. Cela se vérifie par la charité vécue des premières communautés qui « avaient un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun » (Ac 4,32). Et si l’on en croit Tertullien, un évangélisateur du II° siècle, les païens disaient d’eux avec émerveillement : « voyez comme ils s’aiment ! » (cf. Apologétique, n. 39 § 7). Cela se vérifie par le développement des œuvres hospitalières, inspirées par l’évangile du bon samaritain qui confie à un hôtelier le blessé, pour que des spécialistes prennent soin de lui. Ainsi saint Jean Chrysostome parmi bien d’autres pères de l’Église a montré comment les hospices étaient un modèle inspiré par les enseignements de Jésus, selon une manière très bénéfique de prendre soin des plus abîmés par la vie en s’organisant pour une charité qui se donne de la peine (cf. 1 Th 1,3). De tous temps, les chrétiens se sont montrés champions pour l’accueil des malades, des pauvres, des immigrés, des simples voyageurs ou hôtes de passage. Demeurer dans l’amour du Christ, c’est ainsi quelque chose de très concret.

Au Moyen-âge surtout, se sont par ailleurs développés les collèges autour des monastères, puis les écoles et les universités pour la formation intellectuelle et le développement culturel du plus grand nombre possible et les échanges de connaissances dans toute l’Europe et parfois déjà au-delà. Instruire les ignorants a été une œuvre de miséricorde spirituelle très développée par les chrétiens et qui a permis la très vaste évolution de notre culture, laquelle s’est répandue de bien des manières en s’adaptant et en intégrant bien des savoirs des autres pays sur toute la surface de la terre. La communication des connaissances et des sagesses est une forme très importante de la charité du Christ qui a demandé à ses disciples de demeurer dans son amour.

Bien plus tard encore, au XIX° siècle, de très nombreuses congrégations ont été créées, particulièrement en France, pour que l’amour du Christ continue de s’incarner dans l’accès de tous à l’instruction et aussi par des actes de soin, d’accueil et d’aide aux plus vulnérables. La congrégation des sœurs de Notre-Dame du Calvaire a été fondée à Gramat en 1832 par le bienheureux Pierre Bonhomme, Hortense et Adèle Pradel (en religion, Mère Thérèse et Mère Vincent), dans un but précis : pour « le service des pauvres et l’instruction des enfants ». Après que les sœurs aient eu l’habitude de visiter les malades mentaux à l’hôpital psychiatrique de Leyme, des sœurs partent à Paris pour créer avec le docteur Falret, un accueil de jour pour « aliénées convalescentes et indigentes ». En octobre 1854, s’ouvre la première école pour l’éducation des sourds à Mayrinhac-Lentour. Les sœurs fondent aussi à Paris un asile pour sourdes-muettes. Il s’agit, par tous les moyens, de les faire « entendre » pour les rendre accessibles à la Parole, pour leur faire connaître l’Amour de Dieu. Depuis, l’œuvre scolaire ou d’éducation populaire et aussi des lieux de soins, des établissements sanitaire et sociaux continuent d’être portés ou fondés par la congrégation.

J’ai rappelé aujourd’hui ces choses anciennes que vous connaissez bien mieux que moi, mes sœurs. Je les rappelle en ce jour où plusieurs d’entre vous fêtent leur jubilé (Sœur Marie-Jeanne -50 ans- et Sœur Marie-Yves -60 ans de vie religieuse) et où sœur Tuoi va prononcer ses vœux définitifs, car cette histoire de charité qui s’est donné de la peine peut nous aider tous à prendre conscience que demeurer dans l’amour du Christ passe par des actes concrets.

Demeurer dans l’amour du Christ est aussi une expérience personnelle et intime qui peut combler une vie, non sans épreuves, mais avec une joie de fond qui se nourrit de la certitude d’avoir été choisie par le Seigneur, de même qu’il avait choisi son peuple Israël parmi les autres peuples comme le rappelle le prophète Isaïe : « Je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi » (Is 43,1). C’est ainsi que le Christ aujourd’hui parle à chacune de ces femmes qui lui ont consacré leurs vies. Certaines sont consacrées depuis des années, une, sœur Tuoi, va faire aujourd’hui le don de sa vie en réponse à cet appel du Seigneur. C’est le feu de l’amour de Dieu qui vous rend capable de vous mettre avec Marie sous le regard aimant de Jésus Crucifié, Vivant et d’entendre la Parole qui vous envoie vers tous ceux qui ont besoin d’une attention maternelle, pour donner un sens à leur vie (cf. le charisme de la congrégation, notredameducalvaire.fr).

Le calvaire ainsi compris n’est donc pas un lieu d’attendrissement ni d’apitoiement passif, mais un lieu d’envoi missionnaire.

Depuis au moins un demi-siècle en Europe, il y a peu de jeunes qui consacrent leur vie à Dieu et sur les quelques-uns qui le font quand même, environ un sur cinq a ses origines hors de l’Europe, comme c’est le cas pour Tuoi qui fait ses vœux définitifs aujourd’hui. Trop peu de chrétiens dans notre pays, sur notre continent, savent demeurer dans l’amour du Christ. Nous le voyons tellement bien si nous considérons les œuvres de miséricorde : au lieu d’accueillir les étrangers et de soigner les malades, notre pays semble préférer investir dans des techniques coûteuses pour se donner l’illusion du pouvoir de répondre à n’importe quel désir individuel. Chaque nouvelle loi de bioéthique fait reculer d’un cran le respect des plus petits que sont les embryons humains et chaque nouvelle loi sur le statut des étrangers cherche à élever d’un cran des murs entre les peuples. Ces maux bien connus témoignent d’un manque d’amour concret. N’avons-nous pas tous tendance à craindre plus pour notre confort individuel que pour les plus vulnérables être humains qui ont besoin de nous.

Le vœu de pauvreté est alors vraiment un engagement prophétique dont le monde actuel a un grand besoin pour redécouvrir que l’essentiel n’est pas dans la possession de biens matériels, mais dans le don de soi. Le Christ Jésus est dans le plus petit quel qu’il soit. Il appelle aujourd’hui à choisir de se détourner de notre ego pour se tourner vers Lui qui se fait reconnaître dans les plus vulnérables. Le vœu de chasteté qui est l’engagement à une manière désintéressée d’aimer toute personne que Dieu nous donne de rencontrer est aussi un signe vital pour le monde actuel où la tendance est trop souvent de tout ramener à soi, à ses envies et à ses pulsions. Le vœu d’obéissance, quand à lui, prend sens dans la foi en Dieu le Père, entre les mains de qui nous pouvons remettre toute notre liberté avec confiance et qui nous a donné, en son Fils Jésus une image parfaite de sa bonté. Ceux qui ont consacré leur vie en vue du royaume de Dieu peuvent ainsi obéir à Dieu, même à travers des intermédiaires humains dans la mesure où ceux-ci vivent à l’intérieur de cet effort continuel de s’abandonner de plus en plus à la volonté du Père.

Merci sœur Tuoi de nous apporter le témoignage de votre générosité. Avec les dons propres de votre culture d’origine, avec votre sourire et surtout votre cœur ouvert à l’appel du Seigneur vous pouvez favoriser l’action du Saint-Esprit qui veut toucher nos cœurs et les ouvrir à l’amour du Seigneur. Et lorsque nous sommes touchés, comment demeurer dans cet amour du Christ ? Jésus nous donne Lui-même la réponse : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». « Donner sa vie pour ses amis ». Chacun d’entre nous peut se poser cette question et demander à l’Esprit Saint de l’éclairer en vérité : quelle que soit ma vocation, pour qui ai-je donné ma vie ? L’ai-je vraiment donnée ou bien suis-je davantage en quête de moi-même, de mon confort, de ma sécurité, de mon épanouissement ?

Le Seigneur nous demande de nous aimer les uns les autres. C’est vraiment une grande grâce qu’il nous fait de participer à cette célébration et de pouvoir nous réjouir du don de leur vie qu’ont fait les sœurs jubilaires (sœur Marie-Jeanne, sœur Marie-Yves) et aussi toutes les sœurs de la congrégation, du don de sa vie que fait aujourd’hui sœur Tuoi pour toujours.

Que l’Esprit Saint donne à chacun d’entre nous la joie d’aimer comme le Seigneur l’attend de nous et de demeurer sans son amour.

Amen.

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