Décès du P. Edmond Pezet (1923 - 2008)

En l’absence de Mgr Turini, c’est le P. François Gerfaud, vicaire général, qui a présidé la célébration. Ci-après, le texte de présentation qu’avait rédigé son ami le P. Gérard Bessière.

Edmond - « Pezet », comme on disait amicalement - n’aurait pas aimé qu’on fasse son éloge. Il aurait balayé de son rire toute louange. Cependant il faut parler... à l’heure où il s’en va .

S’il est permis d’oser une expression quelque peu familière, je dirai : « C’était un grand bonhomme », mais si discret qu’il a été méconnu, ignoré. Sauf de quelques amis qui avaient découvert en lui un grand spirituel.

Les souvenirs se pressent à la mémoire. Je le revois au Petit Séminaire, à Gourdon : sa concentration sur son pupitre, à l’étude, m’impressionnait. Il avait - c’est rare - une intelligence générale : il était doué tout autant pour les études littéraires que pour les disciplines scientifiques. Il avait aussi le sens pratique, le savoir-faire, la sagesse des hommes de la terre, ses ancêtres. Il aimait faire le jardin...

Le service militaire - la guerre d’Indochine - lui firent découvrir l’Asie et son climat religieux. Il en revint pour être vicaire à Martel, puis vicaire-instituteur à Cajarc, mais en son âme, il n’était pas revenu et il aspirait à rejoindre ces populations, ces univers religieux, dont il s’était approché. Il avait été ordonné prêtre à Cahors en 1949.

Il put enfin obtenir de l’évêque de Cahors , en 1955, l’autorisation de rejoindre la Société des Auxiliaires des Missions qui vouait ses membres, peu nombreux, à se mettre très modestement au service des « clergés indigènes », comme on disait alors. De 1958 à 1970, au service d’un évêque thaï, il fut curé de trois villages , dans la forêt claire, au Nord est de la Thaïlande. Il apprit la langue, les langues. Il décide alors de faire connaissance avec le bouddhisme : il passe trois années avec les moines bouddhistes à Bangkok et il rencontre les bouddhistes, non plus seulement dans les livres ou les manifestations extérieures, mais au contact de leur vie profonde. Edmond, tout en exerçant son ministère, suivait les cours des théologiens bouddhistes, à l’Université de Bangkok.

Il acquit une compétence rare en Occident, rare aussi dans l’Église. Il avait appris le sanskrit, il était devenu capable de lire et de traduire des textes sacrés anciens, il connaissait la diversité et la subtilité des chemins religieux qui parcourent l’Asie du sud-est.

Il pouvait en parler d’expérience, de l’intérieur. Durant plusieurs années, il avait demandé au responsable d’un monastère bouddhiste la possibilité de vivre à proximité de la communauté. Le supérieur le faisait attendre. Mais un jour, Edmond arriva avec son baluchon et il fut accepté. On lui construisit une cabane dans la forêt proche. Le matin, comme les moines, il allait mendier son riz en présentant son bol aux habitants du village. Durant deux ans, jusqu’en 1975.

Quand il revint dans les paroisses dont il avait été curé et qu’il raconta ce qu’il venait de vivre, les chrétiens lui proposèrent de l’installer dans un bois tout proche pour qu’il soit à la fois leur moine et leur prêtre, au confluent de leur ascendance bouddhiste et de leur appartenance chrétienne. Pezet vécut ainsi, en « moine de village », pendant trois ans. Mais lorsque le Cardinal Archevêque de Bangkok en fut informé, il laissa tomber comme un couperet un seul mot, en latin : « Cesset » ! (prononcer : Kesset ) - « qu’il arrête ! ». Il voulait des communautés chrétiennes protégées, encloses en elles-mêmes. Pezet , lui, vivait la rencontre entre l’Evangile et l’expérience bouddhiste. Il ne lui restait plus qu’à partir.

Durant trois ans, il se mit au service des réfugiés kmers qui affluaient dans des camps, à la frontière du Cambodge. Puis il revint en France, en 1984, dans la demi-solitude du
presbytère de Constans, prés de parents attentionnés ... jusqu’à ce que la maladie le contraigne
à rejoindre l’ancien Grand Séminaire, à Cahors, puis le Foyer Pierre Bonhomme, à Gramat, où il connut les derniers dépouillements .

Il laisse peu d’écrits - quelques lettres, quelques notes, de rares articles - d’une grande densité. Ses interventions, dans de petits groupes amicaux ou lors de réunions à Luzech, dévoilaient sa liberté intérieure, sa recherche rigoureuse, son immense culture religieuse. Bien au-delà des clichés superficiels, il faisait découvrir à quel point la démarche bouddhiste est distante de notre logique cartésienne et requiert chez qui veut s’en approcher un indispensable dépaysement. Souvent, au terme d’explications toujours très claires, devant l’étonnement des auditeurs, il se mettait à rire. Sa joie était la fleur de sa paix.

Il savait que le silence précède, englobe et déborde la parole. Un jour où il fut interviewé à la Télévision française, il accueillit une question sans desserrer les dents : son visage, longuement pensif, crevait l’écran ! Ce mutisme de quelques instants parlait plus fort que des mots !

On conserve en France et dans l’Eglise, grâce à leurs écrits et à leurs amis, le souvenir des Pères Monchanin et Le Saux qui partirent à la rencontre de l’Hindouisme. Edmond Pezet fut leur égal, à la rencontre du Bouddhisme, mais sa simplicité, son effacement, son apparence si ordinaire, ont fait que beaucoup sont passés à côté de lui sans voir l’être exceptionnel, le grand spirituel qu’il était, qu’il demeure. Dommage qu’on n’ait pas su, dans l’Eglise, jusqu’en ses instances les plus élevées, recourir à son expérience et à sa compétence.

Une amie lui demandait, il y a quelques années : « Qu’est-ce que vous faites maintenant ? » Il se tut de longs instants, puis il répondit avec son souci habituel de la justesse du langage : « J’attends ... l’Ultime . »

Gérard Bessière

Soutenir par un don