Notre-Dame de Verdale

Dimanche 13 août 2023

Mes frères et sœurs,

Nous pourrions nous demander pourquoi le Seigneur Jésus a choisi Pierre —la foi de Pierre— comme socle pour construire son Église. Dans le passage de l’Évangile entendu ce matin, comme dans plusieurs autres, Jésus lui fait ce reproche : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Mt 14,31). Mais, s’il est clair que sa foi est fragile, qu’il n’est pas sans peur et sans reproche, nous pouvons admirer au contraire comment Pierre a engagé sa vie sur la parole de Jésus. Les disciples, voyant Jésus marcher vers eux sur une mer agitée, sont pris de panique, ils se mettent à hurler de peur. La parole de Jésus vient les rassurer « confiance ! C’est moi, n’ayez pas peur » (14,27). Et Pierre, alors, est le seul qui sait réagir à cet appel à la confiance et sa réaction, est de vérifier si c’est bien Jésus et non un fantôme comme ils l’ont d’abord cru. « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ».

Reconnaissons-le, mes frères et sœurs, qui d’entre nous serait prêt à se jeter à l’eau ainsi ? L’agitation de la mer rendait cet acte très périlleux, les courants risquaient bien sûr d’éloigner Pierre de la barque et de provoquer la noyade. Dans l’imaginaire biblique, la mer est un espace chargé symboliquement de tous les dangers. Mais Jésus marche sur l’eau, il domine la mort. Et si Pierre est prêt à miser sa propre vie à condition que ce soit Jésus qui le lui demande, c’est bien parce qu’il a compris cela, malgré son peu de foi. Plus précisément encore, c’est la certitude d’aller vers Jésus qui compte pour Pierre : « si c’est bien toi ». Et là est le rôle de Pierre au service de toute l’Église, être celui qui nous aide à discerner si c’est bien Jésus, si nous ne sommes pas en train de marcher vers des idoles, des faux prophètes, des illusions. Ainsi, plus tard, la mission des papes, comme successeurs de Pierre ne sera pas de jouer les gros bras, d’être sans fragilités ni même sans partager les inquiétudes du monde, mais de conduire l’Église à vérifier si c’est bien vers Jésus qu’elle marche.

Et Pierre risque sa vie pour obéir à la parole de Jésus. Il sait sûrement déjà que sa foi est fragile, qu’il risque d’être repris par la terreur de cette mer agitée, mais il sort de la barque et il obéit à l’ordre du Seigneur. Plus encore, dès qu’il fait l’expérience de sa faiblesse et qu’il commence à s’enfoncer, il se tourne encore vers Jésus : « Seigneur, sauve-moi » (14,30). Et ces mots sont encore plus exemplaires pour nous, pour chacun de nous, chaque fois que nous nous sentons fragiles, que notre foi chancelle, que nous avons l’impression de nous enfoncer. Nous pouvons le dire : « Seigneur, sauve-moi ».

La foi de Pierre nous montre ainsi que la foi est un itinéraire, elle passe par plusieurs étapes, elle est un dialogue avec le Seigneur qui vient à notre rencontre et qui nous rejoint dans nos peurs et nos fragilités.

Nous venons de vivre avant cette messe une très belle procession où ont été lus des textes extrêmement touchants et riches sur l’expérience de la maladie et sur la confiance en Dieu. Nous prions spécialement en ce jour, ici à Notre-Dame de Verdale, pour nos morts et pour nos malades. Parfois, quand quelqu’un est mort, la tendance naturelle est d’oublier tous ses défauts et de ne plus parler que des ses qualités. C’est normal, parce qu’il ou elle nous manque. Mais nous savons bien que la réalité de leurs vies comme des nôtres a été souvent partagée. Il y a eu des élans de foi et de bonté mais aussi des trahisons, des faiblesses et des moments où ils se sont enfoncés. C’est pourquoi nous prions pour nos morts et nous crions vers Jésus, en leur nom : « Seigneur sauve-nous ! » L’itinéraire de nos vies est complexe et nous avons besoin d’être sauvés, nous ne pouvons pas nous sauver nous-mêmes, aussi héroïques ou simplement justes qu’aient pu être certains de nos actes.

Nous prions aussi pour nos malades en sachant qu’ils portent en eux le signe de la difficulté de la vie. Sûrement, Jésus marche vers eux sur les eaux troublées de leurs épreuves, mais ils ne savent peut-être pas toujours le reconnaître, ou s’ils l’ont reconnu à un moment, le doute peut surgir encore et la faiblesse ne leur permet plus de marcher vers lui avec toute la confiance qu’il faudrait.

A l’heure de la mort comme à celle de la maladie, nous pouvons avec grande confiance nous en remettre à la Vierge Marie, Notre-Dame de Verdale, elle nous rassure, nous protège et nous ramène toujours à Jésus, le seul Sauveur.

Mes frères et sœurs, il me semble que nous pourrions aussi prier en ce jour pour ceux qui n’ont pas la foi. Saint Paul, dans sa lettre aux Romains, exprime sa grande tristesse de voir ses frères de race qui, à ses yeux, ont tout pour croire en Jésus-Christ le Sauveur, mais ne le reconnaissent pas. « J’ai dans mon cœur une grande tristesse, une douleur incessante » (Rm 9,2) explique-t-il. Certainement avons-nous, parmi nos connaissances, des membres de nos familles, nos amis, bien des personnes, qui auraient tout pour croire en Jésus, mais qui n’y parviennent pas ou se sont manifestement éloignés de lui. C’était aussi le sentiment du prophète Élie quand il se trouvait sur le mont Horeb et que Dieu s’est manifesté à lui, ce dont nous avons eu un extrait en première lecture. Il dira après avoir perçu cette présence de Dieu dans « le murmure d’une brise légère » (1 R 19,12), « Je suis passionné pour le Seigneur […] les fils d’Israël ont abandonné ton alliance […] je suis resté moi seul » (1 R 19,14). Il pense être le seul croyant qui reste ! « Je suis resté moi seul ». Mais Dieu va le détromper et lui dire qu’il reste 7000 hommes (1 R 19,18) qui ne se sont pas tournés vers les idoles. Il n’est donc pas seul ! Nous avons besoin que Dieu nous redise que nous ne sommes pas seuls à croire en lui ! Je pense que beaucoup de jeunes qui sont allés aux JMJ de Lisbonne y sont allés pour ne plus se sentir seuls car dans leur milieu de vie habituel, ils se sentent seuls comme croyants ! Comme saint Paul, ils peuvent avoir dans leur cœur une grande tristesse, une douleur incessante. C’est aussi la douleur des mères et des grand-mères dont les enfants ou les petits-enfants semblent avoir perdu la foi. Mais Dieu montre à Élie que le petit reste qui demeure n’est pas détruit et il est porteur d’avenir. Dieu est patient, il sait ce qu’il fait, il nous conduit sur un chemin que nous ne connaissons pas. Et ceux qui se noient, il leur suffit comme à saint Pierre, de crier vers Jésus pour dire « Seigneur, sauve-moi ! ».

Pour être ainsi réconfortés, nous avons besoin de nous retrouver avec d’autres croyants, comme notre assemblée de ce matin et comme les jeunes aux JMJ, mais aussi d’accueillir Dieu qui vient à notre rencontre, de laisser Jésus toucher nos cœurs, de la même manière qu’Élie quand il perçoit la présence de Dieu sur le mont Horeb. Élie croyait que Dieu était dans les succès, dans l’ouragan, dans le feu ou dans le tremblement de terre. Dans la révélation biblique, Dieu parle dans le feu à Moïse, mais il se manifeste aussi par des phénomènes impressionnants comme les plaies d’Égypte ou ce vent qui permet la traversée de la mer rouge à pied sec. L’idée de l’ouragan vient aussi de l’influence du Dieu païen Baal que ne cesse de combattre le prophète Élie et qui est supposé se manifester par des orages d’éclairs et de tonnerre. Élie pense que Dieu doit concurrencer Baal, à tonnerre, tonnerre et demi ! Mais c’est toujours faire une caricature de Dieu que de le croire semblable aux forces qui s’opposent à Lui. Dieu n’a pas besoin de prouver sa force puisqu’il est tout-puissant. Il se manifeste plutôt dans le contraire exact de divinités climatiques comme les Baal, il se rend présent dans « le murmure d’une brise légère » (1 R 19,12), autrement dit, dans l’expérience du silence. Le silence est impressionnant, il peut faire peur, tout aussi peur que la mer agitée ou la tempête. Mais c’est très souvent dans le silence que Dieu se fait réellement connaître, découvrir, aimer. Aux JMJ, un des moments forts a été, une fois de plus, le silence de l’adoration d’un million et demi de jeunes rassemblés avec le pape. Là Dieu, se révèle et parle au cœur de chacun, là, la foi grandit et s’enracine réellement dans la rencontre avec Jésus.

Appuyons-nous, comme ces millions de jeunes réunis avec le pape sur la foi de Pierre, une foi certes fragile de la fragilité humaine, mais qui risque tout pour s’attacher à Jésus et pour le suivre.

Amen.

+ Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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