Journée de la Création

Dimanche 27 août 2023, Dégagnazes.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mes frères,

L’Évangile de ce dimanche présente des oppositions : qui est Jésus aux dires des gens / qui est-il pour les disciples ? Puis, seconde opposition, après la réponse de Pierre, non pas la chair et le sang / mais le Père qui est aux cieux. Enfin, surgit au contraire un rapprochement, « ce que tu auras lié (ou délié) sur la terre sera lié (ou délié) dans les cieux. »

Il y a les gens, les rumeurs / et d’autre part la vérité sur Jésus. Il y a la chair et le sang (l’humanité livrée à elle-même et fragile) / et d’autre part le Père des Cieux. Il y a aussi le ciel / et la terre, mais, cette fois en lien étroit l’un avec l’autre.

Il me semble que ces mouvements d’aller-retour que l’Évangile nous invite à suivre peuvent éclairer justement notre rapport à la Création. Si, avec Pierre, avec l’Église (la commun auto des disciples), nous reconnaissons Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu vivant, Dieu fait homme, si avec lui, avec l’Église, nous entrons dans le regard du Père qui est aux cieux sans nous laisser dicter nos comportements par la chair et le sang, nous allons pouvoir vivre ici-bas, sur la terre, dans une harmonie nouvelle, renouvelée, avec la vie du ciel, avec notre destinée éternelle.

Une fausse compréhension des oppositions évangéliques pourrait conduire à un désintérêt pour la terre, à nous dire que désormais, elle est promise à la destruction, que ce monde va vers sa perte, inexorablement. Mais ce n’est pas ce que dit Jésus. Certes, ce monde aura une fin. Son horizon n’est pas limité à la sphère de ce qui est visible. La création ne s’est pas limitée à la réalité matérielle. Dieu a créé en même temps le monde sensible et le monde spirituel. Ainsi, le ciel n’enlève pas sa valeur à la terre, bien au contraire. La vie d’ici-bas compte pour l’au-delà et notre manière de recevoir la terre que Dieu nous a laissée à cultiver et à gérer a un grand prix, non seulement pour ce que nous allons laisser aux générations qui nous suivent, mais aussi en vue de notre avenir éternel. Autant il serait ruineux de ne voir la terre que de façon terre à terre, autant il est absurde et pas du tout chrétien, en fait, de voir la terre comme une prison dont seule serait à attendre notre évasion. Elle n’est pas non plus un simple espace à aménager selon notre convenance, à notre disposition pour en profiter le plus possible. La terre s’inscrit dans un projet plus vaste que ce que nous sommes capables d’imaginer. Les liens d’ici-bas peuvent être éternels dans le ciel. Les libérations sur la terre, peuvent nous libérer pour la vie éternelle. Nous voyons, dans cet évangile, que c’est la tâche de l’Église d’opérer ces liens, de relier le ciel et la terre. Le Christ a voulu que la vie sacramentelle, en particulier, opère ce passage entre la vie d’ici-bas et la vie du ciel. Jésus a dit à Pierre : « Ce que tu auras lié (ou délié) sur la terre sera lié (ou délié) dans les cieux ». Le rôle de Pierre, le rôle de la médiation ecclésiale est ici souligné avec une grande clarté.

Alors tout ce qui est beau ici-bas peut prendre une valeur immense car cela nous élève vers le ciel. Nous le savons bien, des beaux paysages, un beau sanctuaire de verdure, de beaux chants et de belles paroles, de beaux sourires sur nos visages sont autant de chemins vers le ciel, autant d’encouragements à croire en la bonté de notre créateur. Célébrer l’eucharistie dans un cadre de beauté nous aide à percevoir la dimension cosmique des sacrements. Dans Laudato si, le pape François explique cela : « L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui dans une joyeuse et pleine adoration : dans le Pain eucharistique, « la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur lui-même » (Benoît XVI, homélie, 15/06/2006). C’est pourquoi, l’Eucharistie est aussi source de lumière et de motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement, et elle nous invite à être gardiens de toute la création. » (Laudato si n. 236).

La séparation, au sens de la distinction entre le ciel et la terre, entre le visible et l’invisible, entre le charnel et le surnaturel, existe depuis la création du monde. « Dieu fit le firmament, il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus. Et ce fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel ». » (Gn 1,7-8) dit le livre de la Genèse. Mais ce qui est une conséquence du péché des hommes, c’est que cette séparation devienne une barrière infranchissable, une porte fermée. Après le péché, Dieu « expulsa l’homme, et il posta, à l’orient du jardin d’Éden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès de l’arbre de vie  » (Gn 3,24). Le prophète Isaïe, dans la première lecture de ce jour évoque la mission du Fils de David, le Messie attendu en ces termes de porte ouverte ou fermée : « Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. » (Is 22,22) Et cette clé, sur l’épaule du Messie, Jésus la remet à Pierre : « Je te donnerai les clés du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux ». (Mt 16,19)

Ce lien entre une vision fermée du monde terrestre et le péché doit nous faire réfléchir à la portée de nos relations mal ajustées à la création. Car au fond, n’est-ce pas quand nous fermons nos cœurs au projet spirituel de Dieu pour le monde qui nous entoure que la création ne devient pour nous qu’un moyen de plaisirs égoïstes ou un stock de matières premières à exploiter sans scrupules ou encore des ressources pour nous enrichir les uns, bien souvent, au détriment des autres ? Nous profitons des moyens techniques et des ressources de la planète tout en la détruisant par l’accumulation de déchets ou d’émissions de gaz toxiques et par le manque de modération dans notre usage des biens matériels. Et ces désordres terrestres contribuent à fermer à clé le royaume des cieux. Si, au contraire, nous freinons nos activités polluantes, si nous nous arrêtons pour contempler la beauté de la création, pour louer Dieu et prier le Christ de nous sauver, si nous entrons plus en profondeur dans le mystère du Christ, au sein de son Église, n’est-ce pas grâce au fait que des clés ont tourné dans les serrures des cieux ? Des clés ont tourné pour nous ouvrir à une harmonie plus grande avec le monde qui nous entoure et que Dieu nous a donné en gestion.

Mes frères, avec Pierre, avec l’Église, reconnaissons Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu fait homme. Avec l’Église, entrons dans le regard du Père qui est aux cieux sans nous laisser dicter nos comportements par la chair et le sang. Que Notre-Dame du Dégagnazes nous aide et nous encourage à vivre ainsi, dans une harmonie renouvelée, sur la terre, et en liens avec la vie du ciel, avec notre destinée éternelle.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors

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