Toussaint. Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mercredi 1er novembre 2023

Mes frères,

La fête de tous les saints nous rappelle que notre vocation, la vocation de tout homme, c’est la sainteté, c’est de rejoindre un jour ce peuple immense des bienheureux dans le ciel, en prenant dès à présent, sur la terre, le chemin d’une vie sainte et belle, conforme au projet de Dieu pour nous.

Mais pour devenir des saints, par où commencer ? Comment s’y prendre ?

L’Évangile des béatitudes nous offre des pistes, plus ou moins faciles car être pauvre, pleurer, avoir soif de justice et être persécuté ne sont pas des chemins très attirants ! Je propose de nous arrêter simplement sur la troisième béatitude : « Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage » (Mt 5,5).

La douceur me semble être un chemin pertinent dans le monde actuel. Bien sûr, cela peut faire rire ou donner l’impression de quelque chose de faible, de peu viril ! On peut facilement se moquer de la douceur et la tentation, surtout lorsqu’on exerce des responsabilités, que l’on soit un homme ou une femme, peut être de se durcir, de chercher à impressionner, à cacher nos craintes et nos faiblesses pour ne pas se laisser marcher sur les pieds. La douceur, alors, en pâtit. Mais Jésus lui-même n’a pas craint de dire « je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Cette douceur du Christ n’est pas du tout une faiblesse et ne l’a jamais empêché d’affronter des conflits, de tenir tête à ses contradicteurs, mais sans violence, sans écraser jamais les autres sous le poids de son autorité. Pourtant, il est le Dieu tout-puissant qui est capable de rabattre le caquet de n’importe qui. Bien souvent, il répondait aux questions-piège par une autre question qui renvoyait l’interlocuteur à sa propre conscience ou à ses propres contradictions. La fermeté ne contredit pas la douceur, nous le savons bien, mais elle demande plus de force intérieure que la colère ou la violence.

Pour saint Paul, la douceur est un des fruits de l’Esprit Saint en nous, de même que la maîtrise de soi (cf. Gal 5,23). Et il recommande, lorsqu’on voit un frère qui agit mal, de le reprendre, mais « avec un esprit de douceur » (Gal 6,1). Il dit aussi qu’il convient de traiter nos adversaires « avec douceur » (2 Tm 2,25). Et l’Apôtre Pierre, quand à lui, nous dit que lorsque nous défendons la foi devant nos persécuteurs, il faut le faire « avec douceur et respect » (1 P 3,16). Témoigner du Christ « doux et humble de cœur » n’est pas compatible avec la violence.

En ces temps troublés où les conflits armés touchent de nouveau la terre du Christ, la Terre Sainte comme nous l’appelons, sans dire à qui elle appartient, sinon à Dieu, la recommandation de la douceur comme une caractéristique de l’action au nom de Dieu me semble très utile. Comment peut-on prétendre justifier sous de prétendus motifs religieux ou politico-religieux n’importe quelle forme de violence ? Il n’est pas juste de prétendre nous-mêmes nous acquitter des promesses de Dieu. C’est comme si nous n’avions plus confiance en Lui pour se défendre Lui-même, pour défendre son honneur.

Nous sommes de pauvres pécheurs, nous méritons souvent les humiliations qui sont les nôtres. Mais ne prétendons jamais que nous allons être capables de sauver l’honneur de Dieu. Ou bien, si nous voulons faire honneur à Dieu, imitons le Christ et sa douceur, soyons des saints, soyons réellement fidèles à ses paroles. Choisir la douceur, c’est renoncer aux disputes, aux jugements acerbes, à classer les autres selon leurs apparences, aux commentaires impitoyables sur les réseaux sociaux, à cultiver l’amertume et les paroles assassines.

Parmi les plus grands saints, on cite souvent saint François d’Assise comme un champion de la douceur. « Paix et bonté » (Pace e bene) était sa devise. Et nous savons que le moment clé de sa conversion est son fameux baiser au lépreux. Il le raconte dans son testament spirituel. La vue même des lépreux non seulement le dégoutait mais le faisait se trouver mal, c’était physiquement insupportable pour lui. Un jour, pourtant, il décide de s’approcher d’un lépreux et de l’embrasser par amour du Christ et il se met alors au service de ces parias de la société et séjourne avec eux. Alors, dit-il, « en m’en allant de chez eux, ce qui semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’âme et du corps. » Voir en chaque être humain, aussi défiguré soit-il par les blessures de la vie, un frère est la clé qui fait la douceur de saint François.

Saint Antoine le grand, ermite en Egypte au IV° siècle, nous a laissé ces conseils lumineux : « Efforçons-nous de ne rien posséder que ce que nous emporterons avec nous dans le tombeau, c’est-à-dire la charité, la douceur et la justice… » Voilà les pistes typiques des béatitudes qui peuvent conduire chacun d’entre nous à la sainteté. Ne s’attacher à rien ici-bas, sinon la charité, la douceur et la justice. Après notre mort, nous n’emporterons rien d’autre dans le tombeau que ces trois vertus, la charité, la douceur et la justice. Quand nous pensons à nos chers disparus, en cette période où nous visitons et fleurissons nos cimetières, n’est-ce pas d’ailleurs ce que nous aimons garder en souvenir à leur sujet ? Leur charité, leurs actes d’amour et le bien qu’ils ont fait ; ce qu’ils ont fait de juste ici-bas ; et aussi, leur douceur, leur tendresse et leur bienveillance…

Nous avons tous des manques en ces domaines, reconnaissons-le. Peut-être les événements du monde ou ceux qui nous touchent de plus près provoquent-ils en nous de la colère, des envies de revanche ou bien manquons-nous de patience, ou sentons-nous des mouvements durs et violents ou l’envie de dire du mal ou de faire du mal jaillir au fond de notre être. Notre nature humaine est désorientée par le péché depuis les origines. C’est pourquoi nous comptons sur l’aide du Seigneur. En contemplant le Christ, doux et humble de cœur, nous pouvons demander la grâce de l’imiter. A la fin des temps, dans cette circonstance où, selon saint Antoine du désert, nous ne pourrons emporter avec nous que nos actes de charité, de douceur et de justice, saint Jean nous dit que puisque ce que nous sommes, avec la grâce de notre baptême, sera manifesté devant Dieu, « nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est ». La douceur du Seigneur ne demande qu’à apaiser le fond de notre âme. Saint Jean le dit aussi : « quiconque met en lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur » (1 Jn 3).

Chers frères et sœurs, la douceur obtient tout. La béatitude que nous avons citée l’affirme : « heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. »

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade

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