Messe de la nuit de Noël

Dimanche 24 décembre 2023
Cathédrale Saint-Etienne de Cahors - Messe de la nuit de Noël

Mes frères,

Dieu vient à notre rencontre. Les hommes, pendant ce temps, sont bien occupés à compter leurs billes et, au moment de la naissance de Jésus, ils voulaient recenser toute la terre. Mais c’est exactement dans ce contexte que Dieu vient au monde. Marie et Joseph viennent se faire recenser à Bethléem et cette circonstance tout à fait humaine, tout à fait accaparée par des soucis de gestion des populations, est l’instrument même par lequel Dieu réalise la prophétie qui disait que, de Bethléem, naîtrait le chef et berger d’Israël (cf. 1 Chr 11,2 // Mt 2,6). D’ailleurs, cette image du « bon berger » qui vient guider son peuple se trouve fortifiée par les premiers témoins de l’événement, après Marie et Joseph, qui sont justement les bergers. Ces derniers pourtant ne sont pas là par un simple concours de circonstances (comme c’est le cas de Marie et Joseph qui ont obéi à l’injonction impériale du recensement). Les bergers sont là parce que des anges les ont avertis. Nous voyons donc que la Parole de Dieu s’accomplit à la fois à travers les enchaînements des opérations humaines, mais aussi à l’aide des interventions célestes, grâce à la communication que Dieu fait de son propre projet. Ce double enchaînement de causes conduit à la crèche. Le recensement et les anges se conjuguent pour révéler la double nature de l’enfant qui vient de naître, à la fois vrai homme dans la pâte humaine et vrai Dieu entouré de l’innombrable troupe céleste chantant sa louange.

Ainsi, Dieu vient à notre rencontre et l’Église, elle aussi, participe à cette double réalité. Dans l’Église, il y a la réalité ambigüe et parfois décevante de notre humanité blessée qui peut pourtant recenser tellement de belles capacités, de bons sentiments, de bonne volonté et de talents multiples. Et, dans l’Église, il y a aussi la réalité de la présence divine qui agit en premier lieu de façon toujours fiable dans les sacrements, dans la proclamation de la Parole qui nous éclaire et dans la louange qui monte du cœur d’un peuple qui se sait aimé.

Comme si tout cela ne suffisait pas, Dieu se manifeste dans beaucoup d’événements de l’Église, comme, ces derniers mois, les JMJ à Lisbonne en juillet-août ou le rassemblement autour du pape à Marseille en septembre ou le synode à Rome ou encore à travers toutes sortes de rencontres autour du Christ dans nos diocèses et nos paroisses. Souvent, la proximité de Dieu se laisse percevoir dans de petits événements très humbles, car la qualité des rencontres et de l’attention à la présence du Seigneur s’y trouve plus grande. Dans de petits événements qui ne font pas le buzz, il arrive qu’une joie spirituelle et une paix très sensibles, presque évidentes, se manifestent quand on s’est réuni simplement pour répondre humblement et fidèlement à l’appel du Seigneur. Ces discrètes manifestations divines ont une saveur évangélique car si nous lisons bien les évangiles, il y a de grands moments où Jésus parle aux foules mais aussi des moments très simples où il semble ne regarder qu’une seule personne, une femme qui a perdu son enfant, un paralysé, un aveugle, un sourd-muet… et on y retrouve à chaque fois le style simple de la crèche. On y retrouve le regard d’enfant que Jésus porte sur quelques bergers venus l’adorer, venus reconnaître en lui, contre toute apparence, le maître des temps et de l’histoire. Et l’Église, c’est cela, cette multitude de regards d’amour que Jésus porte sur chacun, cette communion invisible de multiples visages dont chacun, à vue humaine, porte à la fois ses charmes et ses laideurs, mais que Jésus aime, d’un amour unique et qui sauve, d’un amour qui remet en lien avec les autres, d’un amour qui redonne la joie au milieu de la tristesse, d’un amour qui guérit de la faiblesse et de la honte.

Ce regard merveilleux de l’enfant Jésus rejoint aussi chacun de nous, chacune de nos familles et chacun de nos réseaux relationnels. Car Dieu y est présent. Il nous y rejoint, il vient nous y rencontrer. Quoi ? Pouvons-nous penser, Dieu vient dans ma souffrance, dans mes ambiguïtés, dans mes échecs ou dans mes orgueils mal placés ? N’avons-nous pas trop souvent le sentiment d’être seuls, abandonnés, perdus ou victorieux, mais seuls ? Bien sûr, le regard de l’enfant Jésus n’a pas balayé d’un coup tout le purin de la crèche ni les odeurs acres de ces brebis qui suivaient leurs bergers…

Mais ces bergers, justement, pas trop propres sur eux et sentant le bouc, à qui nous pouvons sans crainte nous identifier, sont des hommes remplis d’humilité. Ils ont les yeux et les oreilles encore tout émerveillés du chant des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes ses bien-aimés » (Lc 2,14). Ils ont su que Dieu les visitait et ils ont la joie au cœur, une joie communicative qui étonnait tout le monde (cf. Lc 2,18). Car cette joie ne vient pas seulement du plaisir de vivre sur terre, mais d’abord de la présence de Dieu, venu à notre rencontre.

Toutefois, il a fallu que les bergers bougent. La voix des anges est venue les rejoindre là où ils étaient, dehors, dans les champs où paissaient leurs brebis. Alors, pour croiser le regard de l’enfant qui les a comblés de joie, ils ont dû bouger de là, courir à Bethléem ! Cette hâte (cf. Lc 2,16) des bergers est une image de la conversion. Pour rencontrer Dieu qui s’est fait si proche de nous, un mouvement de conversion est nécessaire. Il importe de bouger intérieurement, aller vers Lui, sortir de soi-même, se décentrer de soi pour entrer dans la crèche, pour entrer dans l’Amour qui s’y révèle avec simplicité. Cet Amour s’offre gratuitement mais ne se reçoit pas sans peine, sans remise en question.

Recenser la terre n’a de valeur ni de sens que si les terriens comprennent qu’ils ont quelque chose à se dire mutuellement de la part de Dieu. Pardonnez-moi d’évoquer un sujet sensible, mais, pour prendre exemple sur des genres de recensement actuels qui imprègnent un débat politique, calculer si nos migrants sont trop nombreux ou au contraire pas assez bien accueillis, ne sera qu’une discussion stérile si nous ne nous exerçons pas à considérer les autres avec l’espérance de recevoir d’eux quelque chose —et quelque chose de réellement divin. Si Dieu nous parle en chaque réalité humaine et nous visite en chaque recensement ou en chaque évaluation des enjeux sociaux, en quoi nos calculs sur les interactions culturelles et sociales nous permettent-ils d’aller davantage vers Lui ? Car là est la vraie mesure de toutes nos rencontres : est-ce qu’elles nous convertissent ou est-ce qu’elles nous laissent froids, égoïstes et immobiles ?

Le théologien Henri de Lubac disait que l’Église est « cette portion de l’humanité qui se convertit au Seigneur » (Histoire et Esprit, Cerf 2002 (1950), p. 303). L’Église serait donc faite des hommes et des femmes qui bougent, qui sortent d’eux-mêmes et se convertissent pour accueillir l’amour inconditionnel de Dieu. Alors, frères et sœurs, en venant ce soir à cette messe de la nuit de Noël, j’imagine que vous avez déjà tout compris : vous êtes venus en hâte, dans la fraicheur de la nuit, pour vous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu et pour contempler le mystère si touchant de la crèche. Et vous savez qu’après cela, dans les heures qui viennent, vous rencontrerez d’autres personnes, autant d’occasions de communiquer un peu cette joie que Dieu nous donne et que vous êtes venu puiser ici. Se convertir, c’est aussi tout simplement penser à cette transmission qui peut habiter nos rencontres humaines et les faire briller.

Dieu vient à notre rencontre. Il est avec nous. Et Il attend que nous nous tournions complètement vers Lui. C’est cela la double réalité de Noël, Jésus est vrai homme et vrai Dieu pour que nous, les hommes, puissions redevenir tout simplement amis de Dieu. Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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