Vendredi 24 janvier 2025
Semaine de prière pour l’unité de Chrétiens
– Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Croire. Croire que Jésus est vivant et partager cette foi. Cet enjeu est au cœur de notre identité de chrétiens. Sûrement, il n’y a pas de dialogue œcuménique qui puisse faire l’économie de partager cette foi qui nous est commune et qui, en tant qu’acte de croire, est en même temps singulière à chacun. Crois-tu cela ? C’est un « tu » qui est au cœur de cette question, une interpellation personnelle. Elle renvoie chacun à un « je », un « je » qui permettra de dire ensuite, éventuellement, « nous croyons », si ce « je crois » se rapproche réellement du « je crois » de ceux avec qui nous le dirons, nous le professerons. Le dynamisme même de l’œcuménisme consiste à rechercher à dire ensemble « nous croyons » d’une manière authentique. Les « conciles œcuméniques » s’étaient fixés cet objectif précis, même si leur histoire complexe ne le laisse pas toujours clairement paraître. Du moins, l’histoire montre que dire ensemble « nous croyons » suppose souvent des mises au point sur des sujets de tension qui, avec le recul, apparaissent plus ou moins secondaires, mais qui, à un moment donné, sont cruciaux.
Prenons l’exemple du concile de Nicée (dont nous fêtons le 1700° anniversaire). L’enjeu n’était pas un « nous croyons » abstrait qui ne soit qu’un faux-semblant pour cacher des divisions. Des historiens affirment aujourd’hui que ce qui préoccupait principalement l’empereur Constantin en convoquant ce concile, était la date de Pâques. La question théologique de l’unité entre le Père et le Fils venait en second. L’unité visible entre les communautés était la motivation première. Le credo de Nicée a été signé par la plupart des évêques présents sans grands débats (Eusèbe de Césarée écrit qu’il était lui-même l’auteur du texte, le principal rajout par le concile provenant d’une suggestion de l’empereur : le mot « consubstantiel »). Mais ensuite, les canons (c’est-à-dire les règles décidées par le concile) s’attachent à de tout autres sujets, c’est-à-dire ni au credo ni à la date de Pâques, mais surtout à des questions de discipline ecclésiastique et de relations entre les différentes Églises locales. Historiquement, la force du credo de Nicée, plus que dans les concepts philosophiques, aurait donc résidé dans la capacité des responsables d’Églises de l’époque (plus de 250 évêques) de se mettre réellement d’accord sur des sujets concrets qui présentaient des risques de tensions entre leurs communautés.
Cette Église indivise du 4° siècle peut nous faire rêver, nous qui arrivons 1700 ans après et sommes confrontés à l’histoire douloureuse de nos divisions dont nous sentons bien qu’elles ne sont pas près de disparaitre. Il nous est facile de continuer de professer le credo de Nicée tous ensemble, c’est même une grande joie. Mais il ne faudrait pas que ce soit un alibi pour ne pas travailler sur ce qui nous oppose encore et sur ce qui peut réellement nous rapprocher.
Pour cela, il me semble que dans le contexte actuel de sécularisation et de perte des repères culturels chrétiens dans la société où nous évoluons, un des enjeux majeurs, plus encore qu’au temps du concile de Nicée, est de dialoguer à partir des fondements de notre foi et de la manière dont nous la confessons au milieu du monde. La démarche kerygma de l’Église catholique en France a travaillé cette question de la première annonce, de la proclamation du kerygme aujourd’hui. Et la question « crois-tu cela ? » mise en avant pour cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens est évidemment en lien étroit avec cette réflexion. Annoncer le kerygme, c’est dire à qui veut l’entendre (parfois aussi, à contre-temps, à qui ne veut pas l’entendre) que Jésus-Christ, le Fils de Dieu est mort et Ressuscité pour nous sauver et que nous en sommes les témoins. Cela suppose un « je crois » très personnel de la part de chacun de ceux qui prétendent annoncer le kerygme. Comment, en quoi, Jésus me sauve ? Qu’est-ce qui me fait dire je crois ? D’où cela me vient-il ? Personnellement, j’ai été marqué assez jeune (11-12 ans) par la découverte douloureuse que beaucoup de mes camarades prenaient des distances avec l’Église. Cela a fait naître en moi le désir de m’attacher au Christ pour mieux en parler autour de moi. La parole de l’Apôtre Thomas devant Jésus qui l’invite à toucher ses plaies et à mettre la main dans son côté, « mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28), une parole d’émerveillement, qui n’est pas un discours mais exprime une relation, « mon » Seigneur et « mon » Dieu me touche, et correspond vraiment à ce que je perçois intérieurement de Jésus qui me sauve, parce qu’il ne me laisse pas seul et a souffert pour moi.
Entre chrétiens, catholiques, protestants, évangéliques, anglicans, orthodoxes, nous ne pouvons pas faire l’économie de partager ainsi notre kerygme personnel, notre expérience de Jésus qui nous sauve. C’est un point essentiel qui ne va pas forcément résoudre d’un coup tous les sujets de division. Parmi les sujet actuels les plus sensibles se trouve celui de l’accès des femmes au ministère pastoral et leur place, avec les hommes, dans les responsabilités au sein de nos Églises ; les questions morales liées au regard porté sur l’homosexualité mais aussi sur l’éthique médicale, l’embryon et la fin de vie ne sont pas moins délicates. Ces questions peuvent et doivent être partagées ensemble dans un esprit d’écoute mutuelle infiniment respectueuse, en acceptant de ne pas forcément voir facilement s’accorder nos violons. Mais, dès lors que nous avons commencé par partager notre expérience d’être sauvés par Jésus-Christ et notre désir d’en témoigner, nous pouvons continuer à prétendre professer ensemble le credo de Nicée, sans que cela soit artificiel, sans que cela soit une illusion qui voilerait nos différences et nos incapacités à surmonter des divisions. Au contraire, la vérité de notre « je crois » à chacun, partagé avec pudeur et sincérité, peut devenir l’authenticité de notre « nous croyons ». En réfléchissant aussi sur les manières peut-être différentes d’annoncer le kerygme, nous avancerons également sur un chemin de communion de foi, fondé sur le désir commun de répandre l’amour du Christ en ce monde. Ce désir s’exprime d’ailleurs également dans les œuvres communes que nous pouvons développer, les engagements caritatifs, au service des plus petits, des démunis, des étrangers, les malades ou des prisonniers.
Je voudrais souligner aussi que notre œcuménisme n’est pas que de façade si réellement, comme c’est le cas, nous reconnaissons le baptême célébré par les uns et les autres, si nous avons un respect pour l’appartenance ecclésiale des fidèles qui sont amenés, par exemple pour des motifs matrimoniaux de mariages mixtes, à fréquenter plusieurs de nos communautés, si nous savons parler les uns des autres avec estime et reconnaissance pour la participation de chacun à l’œuvre de Salut du Christ Jésus.
Jésus dit à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru ». L’œcuménisme lui-même est fondé sur un acte de foi en une communion mystérieuse que nous ne voyons pas encore, que nous verrons peut-être seulement quand le Christ rétablira toutes choses. Bienheureux sommes-nous d’y croire sans toujours le voir, même si nous en avons perçu bien des signes.
Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors