Veillée de Noël 2024

24 décembre 2024.

Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

L’Évangile de cette nuit de Noël met en scène plusieurs personnages.

D’abord saint Joseph. Il représente la société humaine qui cherche à s’organiser car il se déplace, avec son épouse, jusqu’à Bethléem pour se faire recenser, c’est-à-dire pour participer à une action collective de la société de son temps.

Aussitôt, la caméra se tourne vers Marie son épouse qui était enceinte. Elle a déjà été désignée par l’ange comme la femme « pleine de grâce », donc déjà sauvée, déjà rétablie dans sa vocation d’image de Dieu, immaculée.

Puis, l’on constate que cette famille n’a pas sa place, la salle commune est pleine. La naissance du Sauveur va se produire dans une pauvre étable, dans la paille de la crèche. C’est déjà une indication que si, comme l’a dit saint Paul dans le passage de la lettre à Tite entendu en seconde lecture, « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous » (Tt 2,11), tous ne vont pas être immédiatement prêts à l’accueillir.

Entrent alors en scène les bergers, puis les anges. C’est tout de même étrange de voir que la société des humains pour qui le salut se manifeste semble indifférente, tandis que le ciel qui n’a pas besoin d’être sauvé, les anges qui louent Dieu dans un bonheur éternel, eux sont tout émoustillés et chantent si fort qu’ils percent la frontière entre le monde visible et le monde invisible pour annoncer aux bergers ce qui se passe. Les bergers, eux, savent peut-être mieux que les autres hommes qu’ils ont besoin d’être sauvés car ce sont, à cette époque, des populations mésestimées, marginalisées. Ils étaient facilement vus comme des sales types et n’avaient pas la prétention d’être des gens biens. Ils sont aussi des gens qui vivent dehors et qui regardent les étoiles (comme plus tard les mages), contemplent chaque jour la beauté de la création. Ils ont peut-être ainsi le cœur ouvert à l’œuvre de Dieu, tandis que nous qui vivons dans nos constructions humaines, nous ne comptons peut-être que sur nos propres forces.

« La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2,11). Ces mots de saint Paul sont très denses et sûrement pas si facile à intérioriser. Ce langage n’est pas familier à la plupart d’entre nous. « Grâce », « Dieu », « salut » : ces mots ne sont pas dans le langage habituel des médias qui envahit l’espace de nos quotidiens bruyants.

Ce qui nous est familier, c’est la quête de l’universel. « tous les hommes » dit saint Paul. Malgré les divisions parfois très profondes au sein de la société, nous aspirons à l’universel. Et le mystère de Noël est fait pour rejoindre tout le monde, toutes les femmes et tous les hommes, sans exclure personne. Gloire à Dieu et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, chantent les anges Tel est le cœur du message de Noël. Les pères de l’Église nous ont enseigné que la bonne volonté, la volonté du bien, subsiste dans l’âme humaine, même si elle est parfois une source ensablée et a besoin d’être dégagée. Car la volonté du bien fait partie de l’image de Dieu en l’homme qui ne peut pas être anéantie. Dieu a créé l’homme à son image, homme et femme, à son image selon la Bible (Gn 1,27). Cela ne peut pas être détruit. Nous en avons un signe quand nous voyons les grands élans de solidarité comme par exemple actuellement celui qui se manifeste à l’égard des victimes du cyclone de Mayotte.

Même si cette volonté du bien est parfois enfouie et presque invisible dans la vie des grands pécheurs, elle n’a jamais complètement disparu. Dans le cœur des bergers de Bethléem qui ne sont pas forcément des modèles de vertu, cette volonté du bien ne demande qu’à se réveiller et elle les conduit à la crèche pour adorer l’enfant qui vient de naître. Même chez les habitants de Bethléem, bien au chaud dans leurs maisons et indifférents à Marie et Joseph qui arrivent et doivent trouver un lieu pour s’abriter, l’élan joyeux de leur cœur ne demande qu’à se réveiller, ce qui se produira quand les bergers vont leur raconter ce qu’ils ont vu dans la crèche et qu’ils en seront tout étonnés (Cf. Lc 18). Lorsque que l’âme est ensablée par le péché qu’elle a besoin de la grâce de Dieu pour retrouver sont éclat, sa beauté.

Parler, comme saint Paul, du « salut de tous les hommes » sous-entend que tous les êtres humains ont besoin d’être sauvés, que chez toutes et tous, l’image de Dieu est altérée et a besoin de retrouver sa beauté originelle. Aujourd’hui, me semble-t-il, la société a du mal à admettre ce fait. Nous avons tous envie de faire partie des gens bien et les sales types, ce sont les autres, ceux qui posent problème et que nous stigmatisons comme pour dire : « nous n’avons rien à voir avec eux ! ». Dans le domaine politique ou même religieux, certains clivages très durs font que beaucoup ont une vision binaire de la société. Ceux qui s’opposent à nous sont facilement diabolisés. Selon une définition humoristique bien connue, un égoïste c’est quelqu’un qui ne pense pas à moi ! Il est vrai que la mondialisation a introduit tellement de variété dans la société actuelle que l’acceptation de ces différences demande des d’efforts et provoque des remises en question. Admettre que nous avons tous besoin d’être sauvés parce que nous sommes tous des pécheurs est un facteur de paix, peut-être même une condition pour avancer.

Alors, quand saint Paul nous dit que « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes », il nous ouvre un chemin magnifique. Et comment la grâce de Dieu qui nous sauve s’est-elle manifestée ? Bien évidement par la venue du Christ, la naissance de l’enfant de la crèche qui est le signe que Dieu fait grâce. Noël est l’arrivée d’un nouveau-né qui manifeste l’image de Dieu en l’homme.

Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire, voilà le signe par lequel la grâce de Dieu s’est manifesté pour le salut de toute l’humanité. La question de savoir si nous sommes sensibles à cette manifestation ou pas reste la grande question pour chacun d’entre nous. Est-ce que je me laisse toucher ou pas ? Est-ce que j’accepte de me réjouir de cette lumière discrète du salut ou pas ? Est-ce que je vais essayer de désensabler la source qui est moi pour refléter la joie de Dieu, l’image de Dieu en moi ou pas ? Est-ce que j’accepte d’avoir besoin d’être sauvé ou pas ?

Frères et sœurs, que la joie de Noël envahisse nos âmes, c’est ce que je vous souhaite, c’est aussi la grâce que nous pouvons demander et recevoir en cette nuit très sainte. Joyeux Noël à tous !

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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