Messe Chrismale 2025

Lundi 14 avril 2025, cathédrale Saint-Etienne de Cahors

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

L’Évangile selon saint Luc évoque la première prédication de Jésus à Nazareth. À travers ce texte, il se présente clairement comme le Christ, celui qui a reçu l’onction, selon la prophétie d’Isaïe. La bénédiction des huiles saintes trouve dans ce passage une signification vraiment essentielle : l’onction d’huile nous met en lien avec le Christ qui est, par excellence Celui qui a été oint de l’huile d’allégresse (cf. Ps 44,8), consacré par l’onction de toute éternité. Le mot « Christ » signifie exactement cela : celui qui est oint.

Or cette lecture que fait Jésus dans la synagogue de Nazareth est un acte liturgique. Je voudrais que nous réfléchissions un petit peu sur ce que cela signifie.

L’identité de Jésus comme Christ, comme Oint de toute éternité, est une réalité transcendante, qui ne fait pas partie du cours de l’histoire, mais qui se révèle dans l’histoire, peu à peu, grâce aux paroles prophétiques et finalement grâce à son Incarnation, puis à sa mort et sa résurrection. Celles-ci révèlent le sens ultime de cette onction qui est sa consécration par Dieu à l’œuvre du Salut, à la victoire sur la mort et le péché, pour attirer l’humanité vers la vie sans fin du Royaume des Cieux. Pour entrer en contact avec ce mystère infini, l’Église, selon une certaine continuité avec la tradition juive, déploie une liturgie, que l’on peut définir comme l’action du Christ avec son Église. Dans une très belle lettre sur la formation liturgique du peuple de Dieu, le pape François a insisté sur ce point : « La liturgie ne dit pas « je » mais « nous » et toute limitation de l’étendue de ce « nous » est toujours démoniaque. La Liturgie ne nous laisse pas seuls à la recherche d’une connaissance individuelle présumée du mystère de Dieu, mais nous prend par la main, ensemble, en assemblée, pour nous conduire dans le mystère que la Parole et les signes sacramentels nous révèlent. » (Desiderio desideravi, n. 19) Ainsi, la liturgie s’appuie sur des symboles naturels très simples comme l’huile, l’eau, le pain et le vin. Et elle se caractérise aussi par des paroles et par des gestes. Or, aucun des gestes de la liturgie n’a été codifié par hasard, mais pour que l’Église prolonge l’action de Jésus-Christ.

Prenons un petit exemple dans l’évangile de ce jour : saint Luc nous dit d’abord que Jésus se lève pour faire la lecture. Tout à l’heure, des lecteurs, un psalmiste, puis un diacre pour l’évangile, se sont levés pour faire eux aussi, comme Jésus, la lecture de différents textes bibliques. Ils ont rejoint l’ambon, lieu de la proclamation de la parole, où a été ouvert un livre. Saint Luc dit encore que l’on remit à Jésus le livre du prophète Isaïe. Le lecteur n’arrive pas avec un texte qu’il aurait rédigé lui-même, c’est pourquoi la lecture commence toujours par l’annonce de son titre : aujourd’hui, le livre d’Isaïe, puis l’Apocalypse de saint Jean, puis l’Évangile selon saint Luc. Les auteurs bibliques ont parlé par l’Esprit Saint et les lecteurs se mettent donc au service d’une parole qui vient de plus loin qu’eux-mêmes. Pour Jésus, c’est autre chose, car justement, c’est de lui que parle le texte et c’est aussi par lui, le Verbe de Dieu, que Dieu parle, qu’Il se révèle. C’est ce qu’il dira dans ce que l’on peut appeler son homélie, l’homélie la plus brève et la plus extraordinaire de toute l’histoire des homélies, l’archétype de l’homélie : « aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4,21). Mais avant de prononcer ces mots, Luc nous dit que « Jésus referma le livre » (Lc 4,20). Ce geste aussi est important dans la liturgie, pour bien montrer la différence de statut entre la parole lue dans les Écritures et l’autre parole que sera l’homélie. La parole du prédicateur est là pour souligner que le même Esprit Saint qui a inspiré le livre agit encore aujourd’hui, dans le monde entier. Il cherche à aider l’assemblée à accueillir cette parole lue, comme étant réalisée aujourd’hui par le même Esprit Saint qui avait inspiré les auteurs sacrés et qui a consacré Jésus-Christ de toute éternité, par une onction spirituelle.

Dans le chapitre 5 de l’Apocalypse, il était aussi question d’un livre fermé et de la recherche de quelqu’un qui soit digne d’ouvrir les sept sceaux qui le ferment. Ce quelqu’un est, bien sûr, le Christ, celui qui a reçu l’onction qui seul en est digne. C’est pourquoi le rôle de prononcer une homélie pour montrer l’actualité du livre est réservé au Christ Jésus lui-même. Et en signe de cela, l’Église réserve l’homélie aux ministres ordonnés, à ceux qui ont reçu un sacrement spécial de configuration au Christ pour le service de la Parole de Dieu au nom du Christ. Ils sont là pour rappeler que c’est toujours le Christ qui préside à la liturgie de l’Église. La raison d’être des prêtres, pour présider à l’eucharistie comme pour donner l’homélie est de rappeler à l’Église son originalité vis-à-vis de toutes les autres sociétés ou associations humaines qui doivent promouvoir des responsables. La singularité de l’Église est d’être convoquée par Dieu, pour se réunir autour du Christ, dont les ministres ordonnés sont les représentants. Chaque prêtre ou diacre, ou même chaque évêque a plus ou moins de talent pour prêcher, plus ou moins d’éloquence ou a un style capable de rejoindre plus ou moins facilement telle ou telle personne. Mais par le fait simplement qu’il a été ordonné et qu’il fait l’homélie, il manifeste que la parole est actuelle, qu’aujourd’hui elle s’accomplit dans le Christ. C’est quelque chose de performatif même si ce n’est pas toujours performant, pardon à ceux que nous faisons bailler !

Si j’insiste sur cela, c’est évidemment parce qu’aujourd’hui, la place et le rôle des prêtres dans l’Église et dans la société est fragilisée. La révélation des violences sexuelles dans l’Église et son caractère reconnu systémique paraît stigmatiser l’ensemble des prêtres et conduit souvent à contester leur autorité. De même, en mésestimant la valeur théologique de l’ordination, beaucoup ne comprennent pas pourquoi elle est réservée à certains hommes tandis que nous sommes dans une société qui promeut la parité et l’égalité des chances pour tous. Par-delà ces difficultés prégnantes, reconnaissons ce qui en découle de positif, à savoir un appel à ajuster avec grand soin le positionnement des prêtres et l’exercice de leur autorité spirituelle, vraiment au service des fidèles et de la société toute entière, sans autoritarisme, mais dans la recherche de méthodes de discernement s’appuyant sur le travail synodal du Peuple de Dieu, sur un partage de la réflexion et de la conduite des communautés chrétiennes avec des femmes et aussi d’autres hommes. Ceci implique un surcroît d’auto-critique et de vigilance, qui ne peuvent être supportables que dans un climat général d’estime mutuelle et de fraternité. Il y a là un enjeu de crédibilité mais aussi une chance pour donner un témoignage spécialement pertinent pour le monde actuel : si des prêtres si différents les uns des autres arrivent à cultiver une estime mutuelle sincère et une capacité d’action commune, fondée sur l’écoute en profondeur de leurs communautés, ils entraineront avec eux l’ensemble des fidèles, si marqués eux-aussi par les clivages de la société contemporaine. Ainsi, nous deviendrons des communautés vraiment fraternelles et rayonnantes, donnant envie à toute la société d’œuvrer davantage à la paix qu’au réarmement, au dialogue exigeant qu’à l’insulte permanente. C’est là un défi de l’Église si elle veut vraiment servir l’œuvre du Christ. Cet idéal auquel nous sommes appelés à travailler, nous comptons sur la grâce de l’Esprit Saint pour nous en rapprocher et il doit être en premier lieu incarné dans nos célébrations liturgiques.

Ainsi, respecter les gestes de la liturgie n’est pas de la maniaquerie, mais fait partie du témoignage que nous rendons au fait que la liturgie n’est pas l’œuvre subjective de notre assemblée, mais l’œuvre objective de Jésus-Christ avec son Église, son Église qui est son Corps mystique, toujours en train de poser les actes de Jésus, de faire les gestes que Jésus a faits et de dire les paroles qu’il a dites, paroles de communion, de guérison, de miséricorde et de tendresse. Il s’agit essentiellement de se mettre à l’unisson de Jésus-Christ pour que ce soit son action à Lui —sa louange et l’offrande de sa vie à son Père— qui se réalise dans le moment de notre vie où nous célébrons la liturgie. Le Christ Jésus est l’acteur principal de la liturgie.

Le pape François souligne un fruit donné à qui se laisse former par la liturgie : c’est l’émerveillement. L’émerveillement n’est pas une impression affective ni un éblouissement devant des effets spéciaux, mais le résultat du contact objectif que la liturgie nous permet d’avoir avec le mystère pascal de Jésus, sa mort et sa résurrection, son œuvre de Salut qui s’accomplit aujourd’hui pour nous, comme Jésus l’a dit à la synagogue de Nazareth : « aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ». Si notre liturgie nous fait sentir et goûter la présence de cet aujourd’hui du Christ vivant parmi nous, elle provoque un sentiment d’émerveillement.

Pour célébrer la liturgie de l’Église, vous le savez, chers frères et sœurs, le rôle des prêtres est central. En renouvelant leurs engagements ce soir, les prêtres se rappelleront du don qu’ils ont fait d’eux-mêmes pour la gloire de Dieu et le Salut du monde. À la fin de la célébration, les diacres renouvelleront à leur tour leurs engagements au service de Dieu et de la dimension fraternelle de l’Église. Celui qui préside la liturgie n’est pas là en son nom propre, mais parce qu’il a été envoyé pour rappeler à tous que c’est Jésus-Christ qui est la tête de l’Église et que Lui seul peut rendre à Dieu un culte digne de sa Gloire, c’est donc avec lui que nous prions et célébrons, ne l’oublions jamais et laissons-nous émerveiller par la grandeur de ce mystère.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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