Dimanche 29 septembre 2024, cathédrale Saint-Etienne
– Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Mes frères,
En choisissant pour thème de ce dimanche des migrants « Dieu marche avec son Peuple », le pape François nous rappelle que nous sommes tous des migrants sur cette terre, parce que nous avançons vers la terre promise qui est le ciel. Nous ne sommes que de passage ici-bas, notre vraie patrie est le ciel. Ce rappel a de quoi changer sans doute notre regard si nous sommes tentés de distinguer entre ceux parmi nous qui sont d’ici et ceux qui sont d’ailleurs. Comme le disait un auteur ancien (II° siècle), dans la fameuse « Lettre à Diognète », en ce qui concerne les chrétiens, « Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère ». Le même texte avait précisé : « Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. » Et un peu plus loin : « Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. »
Ce que souligne aussi le thème de cette journée, c’est qu’aucun d’entre nous n’est seul dans son pèlerinage sur la terre, pèlerinage dont le ciel, notre vraie patrie, est la destination. Dieu marche avec nous. Même si nous nous sentons peut-être seuls par moment dans ce monde individualiste, Dieu marche avec nous et nous formons un seul peuple, le peuple de ceux qui avancent ici-bas vers la vie éternelle.
C’est une des grandes failles de notre culture sécularisée que de paraître oublier que nous ne sommes que de passage ici-bas et que ce qui a du prix est ce qui a une valeur d’éternité comme c’est le cas de l’amour porté aux plus faibles, aux plus fragiles, des gestes d’accueil, de partage et de bonté, des liens qui sont établis par l’amitié et qui sont préservés ou parfois restaurés grâce au pardon. Tout cela a une valeur d’éternité, bien plus que n’importe quelle forme de richesse matérielle, de pouvoir d’achat ou d’impression de sécurité.
Mais si nous ne voulons pas que ces vérités fondamentales ne soient que des principes idéalistes et que ce discours ne soit qu’un vœu pieux, il nous faut aussi intégrer dans notre méditation la notion de limite, ce que l’évangile de ce jour nous aide à aborder. En ce qui concerne notre comportement face aux phénomènes migratoires, beaucoup alertent aujourd’hui en disant qu’il faut établir des limites, discerner ce qu’un pays est capable d’accueillir ou pas et aussi, beaucoup demandent comment limiter le fait que tant de populations soient obligées ou se sentent obligées de fuir leur pays, souvent au risque de leur vie, dans des conditions de précarité et d’incertitude.
L’évangile d’aujourd’hui n’aborde pas directement ces questions, mais il peut nous éclairer. Ces extraits de l’enseignement de Jésus que nous venons d’entendre mettent d’abord en scène une situation de rejet : les disciples veulent empêcher un homme d’expulser les démons au nom de Jésus car « il n’est pas de ceux qui nous suivent » (Mc 9,38). Il n’est pas membre du club ! Mais Jésus ne voit pas les choses ainsi, celui qui n’a pas sa carte du parti chrétien, qui n’a peut-être pas encore été baptisé ou ne fréquente pas l’Église, peut malgré tout agir bien au nom de Jésus, par la puissance même de Jésus qui est venu sauver tous les hommes et qui est lui-même le Dieu qui marche avec son Peuple. Au fond, cet homme qui combat le mal, ne marche peut-être pas avec les chrétiens, mais il se peut toutefois que Dieu marche avec lui. Ainsi, notre manière de regarder, comme celle des disciples, doit changer et nous devons prendre en considération ce qui est fait selon la volonté de Dieu et par sa puissance plutôt que ce qui est fait selon des critères d’appartenance à un groupe identifié.
Jésus présente ensuite un exemple de la limite, car tout n’est pas non plus de Dieu ni selon Dieu, il n’y a pas à tomber dans le relativisme. Et la limite est dans celui qui cause le scandale et qui fait tomber les plus petits, celui qui blesse, qui viole, qui profite de sa force ou de sa position et qui en abuse au détriment des plus faibles. Celui-là empêche les autres de suivre Jésus et de trouver en lui la vie, ce qui un péché très grave, lourd de conséquences. Voilà celui que Jésus demande d’exclure. Car « il vaudrait mieux pour lui qu’on… le jette à la mer » pour s’y noyer que d’avoir ainsi été cause de scandale. Remarquons bien ce que dit Jésus, il ne dit pas de jeter l’homme de scandale à la mer. Il dit qu’il vaudrait encore mieux pour lui être noyé dans la mer que d’avoir commis de tels actes. Car c’est surtout le châtiment éternel qu’il faut craindre et Jésus ne dit jamais que le repentir et ou le pardon soient définitivement perdus. Jésus nomme le mal qui consiste à abuser des plus petits en les scandalisant d’une manière ou d’une autre. Il s’adresse ensuite aux pécheurs : « si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la ». Il vaut mieux pas de main qu’une main qui fait le mal. Là est la radicalité de la limite que Jésus donne. Ce n’est pas celui qui expulse des démons qui doit être mal jugé, mais celui qui abîme les autres et leur ferme l’accès au royaume de Dieu.
Sans prendre pour exemple des situations extrêmes, au cours d’une conversation ordinaire, il arrive parfois que l’on s’emballe à dire du mal de quelqu’un et ça n’apporte rien de positif, cela ne fait qu’aggraver le scandale. Alors, celui qui a le courage de dire, « et bien, on ferait mieux de s’en tenir là car nous sommes en train de nous laisser fasciner par le mal et cela ne construit rien de bon, ni entre nous, ni pour ce pauvre gars dont nous allons pourrir la réputation », celui qui tient des paroles de ce genre, il chasse un démon, le démon du commérage et de l’acharnement sur un de ses semblables. Une chrétienne m’a raconté que, dans une conversation à laquelle elle assistait dans un milieu anarchiste et pas du tout chrétien, ce type de recadrage amical s’est produit il y a quelques semaines de la part d’un des protagonistes et cela l’avait édifié de voir, dans ce milieu loin de l’Église, cette attitude digne de l’évangile, une attitude qui refuse de se complaire dans des paroles négatives. Cela arrive et c’est une leçon qui montre l’actualité de ce que nous avons entendu dans la Parole de Dieu. Il vaut mieux couper une mauvaise conversation comme on coupe la main qui fait le mal que d’aller ainsi vers « la géhenne » comme dit Jésus, c’est-à-dire d’aller en enfer.
J’ai parfois l’impression que certaines conversations à propos des migrants ont aussi besoin d’être coupées net car elles deviennent un acharnement malsain. Cela n’interdit pas de réfléchir à ce qui est juste et de nommer le mal —comme Jésus ne se gêne pas pour le faire— s’il arrive que quelqu’un commette le mal ou que l’on rencontre des difficultés à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective, par exemple dans des camps de réfugiés ou des immeubles squattés. Chercher des solutions n’a rien à voir avec rabâcher des slogans ou proférer des mots blessants, la plupart du temps très injustes.
Pensons plutôt que Dieu marche avec nous et s’il marche avec nous, avec son Peuple, apprenons à nous regarder les uns les autres comme Il nous regarde, sans démagogie mais avec tendresse, miséricorde, compassion et en mendiant notre amitié.
Dieu marche avec nous, marchons tous ensemble vers la vie éternelle. Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors
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