Réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Dimanche 8 décembre 2024, cathédrale de Saint-Etienne de Cahors.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

« Tout être vivant verra le salut de Dieu » (Lc 3,6 // Is 40,5), c’est ce qu’annonçait le prophète Isaie et que nous retrouvons dans la bouche de saint Jean-Baptiste à la fin du passage de l’évangile de Luc, entendu ce matin.

La traduction « tout être vivant » correspond bien à l’idée de base, selon laquelle, c’est toute créature vivante qui pourra voir Dieu à l’œuvre. En ces temps où nous sommes davantage sensibilisés à la sauvegarde de la planète, cette large dimension peut nous toucher, même si sa signification profonde reste énigmatique. Elle témoigne, en tout cas, clairement d’une manière biblique de regarder le cosmos, une manière globale. La présence de Dieu au monde ne touche pas que les humains ni que quelques-uns parmi eux, même si elle touche particulièrement les humains et habite surtout quelques-uns d’entre eux, ceux qui ont reconnu Jésus-Christ comme l’unique sauveur du monde. Faire attention au large retentissement de l’œuvre de Dieu, plus large que dans la seule sphère des chrétiens, peut aider chacun à se décentrer de son égo parfois démesuré. Notre relation avec Dieu n’existe qu’au milieu d’un ensemble de liens, avec nos frères et sœurs en humanité et avec l’ensemble de la création, particulièrement avec l’ensemble des « êtres de chair » dont parlait Isaïe. « Tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé » (Is 40,5). Jean-Baptiste qui se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage pouvait avoir à l’esprit que les sauterelles et les abeilles verraient le salut de Dieu. Ce que Dieu fait en ce monde touche le concret de la vie et non pas seulement des idées ou des processus psychologiques. Mais bien sûr, ce que voient les sauterelles ou les abeilles n’a pas exactement le même effet sur elles que sur les humains. Cependant, tous voient la même réalité mystérieuse de la présence de Dieu au monde.

Notons que le début du passage de l’Évangile va dans le même sens, mais en se focalisant sur le plan du déroulement de l’histoire et de la précision géographique. Le récit de l’annonce de Jean-Baptiste est soigneusement situé à un moment donné de l’histoire et il va donc impacter cette histoire. Saint Luc souligne l’insertion de ces événements dans l’histoire à travers pas moins de 6 repères : « L’an quinze du règne de l’empereur Tibère / Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée / Hérode étant alors au pouvoir en Galilée / son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide / Lysanias en Abilène / les grands prêtres étant Hanne et Caïphe » (Lc 3,1-2a). Et, au passage, 5 noms de lieu sont mentionnés, ainsi que 7 noms de personnages historiques. Et que se passe-t-il à ce moment précis de l’espace-temps ? « La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie » (Lc 3,2b). L’événement qui relève de l’œuvre du Salut de Dieu et vient impacter le cours de l’histoire en un lieu déterminé est que sa parole retentit et s’adresse personnellement à quelqu’un. Voilà, très clairement, la manière de Dieu de se manifester, il fait retentir sa parole dans le concret de la vie. Et il continue de le faire dans nos histoires personnelles qu’il vient transformer et renouveler. Sa parole résonne à nos oreilles dans nos églises, dans nos cathédrales, au milieu de notre monde.

En ce jour de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, nous sommes associés à cet événement depuis notre cathédrale Saint-Etienne de Cahors. Dans nos cathédrales la parole de Dieu retentit, à des moments précis, déterminés par le cycle liturgique. Et ces moments rassemblent des hommes dispersés, en touchant non seulement les croyants mais aussi beaucoup d’autres, chacun à la mesure de l’ouverture de son cœur au message qui advient.

A une époque où notre société est si divisée, politiquement, culturellement, religieusement, une parole qui rassemble tout le monde relève vraiment des signes du Salut de Dieu. Il est heureux que la réouverture de la cathédrale parisienne soit capable de favoriser l’unité nationale et même internationale, attirant une foule très diversifiée et notamment des représentants politiques aussi différents que possible. Chacun entendra la parole du Seigneur avec des oreilles différentes, les croyants ou les incroyants, les humains, les sauterelles ou les abeilles, ne percevant pas de façon identique les mêmes mots ! Mais aucun ne pourra nier que quelque chose s’est produit. « Tout être vivant verra le salut de Dieu ». Cela n’impose rien à personne, mais cela s’impose à tous en tant qu’évènement de l’histoire. Car il ne peut pas être mis en doute qu’en 1163, le projet initial de construction de Notre-Dame de Paris ait été de rendre gloire à Dieu, de bâtir une caisse de résonance pour la parole de Dieu qui nous sauve. Pour certains, elle est ainsi seulement une trace historique d’un événement révolu, la foi d’un peuple devenu une minorité. On parle volontiers de « patrimoine ». Mais ce mot de « patrimoine » signifie bien, selon son étymologie, l’héritage du père, à savoir ce que nous ont transmis nos pères et ce que nous avons à transmettre à notre tour. Qu’une cathédrale appartienne au patrimoine comporte alors un sens très fort. L’identité d’une cathédrale, c’est la cathèdre de l’évêque, c’est à dire son siège, mais plus exactement, sa chaire, le siège d’où il enseigne en tant que successeur des Apôtres pour transmettre la foi des Apôtres. C’est donc bien le lieu par excellence où retentit la parole du Christ, où elle s’adresse à tous, pour que tout être vivant voie le salut de notre Dieu.

Lorsque Notre-Dame de Paris brûlait, nous étions ici-même, dans la cathédrale de Cahors, en train de célébrer la messe chrismale. Je me souviens, en sortant en procession, dans la nef, les gens me montraient leurs téléphones portables avec ces flammes enveloppant Notre-Dame. Mon cérémoniaire venait de m’en avertir dans le creux de l’oreille au moment où j’allais donner la bénédiction finale. Mais sur l’instant, j’avais craint une fake-news et j’ai préféré ne rien dire publiquement. Puis, j’ai vu ces gens qui montraient leurs téléphones, plusieurs d’entre eux versaient des larmes. Plus tard, nous avons vu ces images du peuple parisien, lui-même en train de pleurer. Les convictions religieuses n’avaient pas forcément à voir avec cette émotion, mais c’était plutôt le sentiment diffus d’être en train de perdre quelque chose d’infiniment précieux. Alors, aujourd’hui, c’est au contraire la joie qui nous saisit tous et nous permet de vibrer ensemble, avec tout le peuple. Cette expérience est très importante et porteuse de grands espoirs. Ainsi, nous le voyons : nous ne sommes pas obligés d’être toujours en train de nous déchirer, nous ne sommes pas enfermés dans nos clivages idéologiques, dans nos conflits de voisinages, nos concurrences stupides, nos guerres sans fin, nos oppositions partisanes. Dieu vient parmi nous pour que nous puissions tous voir son Salut. Que nous soyons croyants ou pas, que nous soyons abeilles sauvages ou sauterelles, un signe nous est donné. Laissons-le faire grandir en nous l’espérance et la confiance.

Certains médias parlent volontiers des gens qui ont sauvé Notre-Dame. Bien sûr, les pompiers qui ont risqué leur vie pour préserver les tours et ensuite tous ceux, si nombreux, qui ont participé à la restauration, ont rendu possible l’évènement de la réouverture. Tout ceci étant vrai sur le plan horizontal, il n’est pas moins vrai que c’est Notre-Dame ou plus exactement son Fils Jésus-Christ, qui nous sauve ! A quelques jours de la fête de Noël où la Vierge Marie donne naissance au Sauveur, ne négligeons pas de voir le Salut de Dieu, ouvrons nos oreilles à l’écoute de sa parole qui résonne dans nos cathédrales et bien au-delà. Laissons-nous remplir de sa joie et partageons-la, dans la confiance et l’espérance. Et mettons nos énergies au service du projet de Dieu qui consiste à rassembler tous les peuples dans la paix et dans l’amour fraternel.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade

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