Jeudi 17 avril 2025. Cathédrale de Cahors
– Homélie de Mgr Laurent Camiade
Mes frères,
« Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn 13,1). En cette période du jubilé de Paray-le-Monial et après l’encyclique du pape François sur l’amour humain et divin du cœur de Jésus, cette phrase de l’évangile résonne d’une manière particulière.
Il est important de considérer avec attention l’amour du cœur de Jésus et de repérer ici, au centre du mystère pascal, cette intention profonde de Jésus : son amour pour les siens, son amour « jusqu’au bout », ou, selon une autre traduction, « jusqu’à l’extrême » (TOB). Après cette expression, est décrit le dernier repas de Jésus avec ses disciples, dont saint Jean retient deux choses : d’abord l’intention du cœur de Judas qui, à l’inverse du cœur de Jésus, est inspiré par le diable et ensuite, le geste du lavement des pieds par Jésus.
L’amour de Jésus « jusqu’au bout », dans un contexte dramatique où il va être livré à cause du péché, se manifeste par un geste de service. Et ce geste n’est pas si facilement accueilli par tous les disciples puisque l’on voit Pierre résister à cela : « C’est toi, Seigneur qui me laves les pieds ? » Aimer jusqu’au bout ne va pas de soi. Ce n’est pas facilement compris. Cela suppose aussi que les autres se laissent aimer. Entre celui dont le cœur est perverti par le diable et s’apprête à livrer Jésus et celui qui ne veut pas que Jésus s’abaisse à ses pieds pour les lui laver, il y a diverses formes de résistances à l’amour de Jésus. Mais Lui, il aime chacun de nous, il aime jusqu’au bout, il lave les pieds de Judas dont le cœur est impur et il lave finalement aussi les pieds de Pierre.
L’amour du cœur de Jésus qui se révèle dans le geste du lavement des pieds est aussi, nous le savons, une invitation à nous aimer les uns les autres, à « rendre amour pour amour » selon l’expression rapportée par sainte Marguerite-Marie après ses visions à Paray-le-Monial. Dans l’évangile, les mots de Jésus sont très clairs également : « c’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez vous aussi comme j’ai fait pour vous ». (Jn 13,15).
A travers cet emploi du verbe « faire », on comprend bien que l’amour du cœur de Jésus —son amour jusqu’au bout— n’est pas d’abord un sentiment, mais une action concrète. Cette action, celle que symbolise le lavement des pieds, est clairement le don de sa vie, son sacrifice. On comprend qu’il s’agit du don de sa vie quand on regarde attentivement d’autres verbes qui caractérisent ce que fait Jésus : l’évangile décrit chacun de ses gestes : il « dépose » son vêtement, « lave » leurs pieds, puis il « reprend » son vêtement. Ces gestes sont ritualisés quand le prêtre fait le lavement des pieds, il dépose sa chasuble sur l’autel, puis il lave des pieds, puis il reprend sa chasuble. Or dans le texte grec de saint Jean, les verbes traduits ici par déposer et reprendre sont exactement les mêmes que lorsque l’évangéliste cite ces mots de Jésus : « Le Père m’aime, parce que je dépose ma vie, afin de la reprendre. » (Jn 10,17) que l’on traduit plus souvent par « je donne ma vie afin de la reprendre ». Ce n’est pas par hasard si Jean emploie ces deux mêmes verbes : cela montre bien la signification profonde de ce lavement des pieds. Il manifeste l’abaissement et l’humiliation de Jésus qui n’est pas quelque chose de subi, mais l’expression libre de son amour infini. Et ce geste d’amour et de service est pour la purification de nos âmes, pour notre salut.
Pierre qui a toujours eu du mal à accepter l’abaissement de Jésus reçoit de lui cette explication : « si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi ». L’enjeu de se laisser aimer par Jésus est rien moins que notre part au royaume des cieux. L’enjeu de sa passion est notre salut. L’enjeu de notre participation au repas du Seigneur est également celui de notre participation à la vie éternelle. Saint Jean l’avait dit clairement au chapitre six de son évangile : « Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. » (Jn 6,58)
Mes frères, quand nous participons à l’eucharistie, souvenons-nous toujours de Celui qui, par amour, s’est livré pour nous, lui, le « Maître et Seigneur » (Jn 13,13-14) s’est fait serviteur, il a déposé sa vie pour la reprendre afin que cette nourriture, ce vrai pain descendu du ciel, nous permette d’avoir part avec lui dans le royaume des cieux et de vivre éternellement.
L’eucharistie est la présence actualisée jour après jour de cet amour infini qui nous sauve et qui s’appelle Jésus-Christ. Le Maître et Seigneur nous purifie, nous lave les pieds en se faisant serviteur de notre joie (cf. Jn 15,11). N’ayons pas peur de le suivre dans sa Passion, à travers toutes ses épreuves, car son abaissement est l’expression de son amour infini et, en cela, il reste toujours source de joie, il reprendra la vie qu’il a déposée, par sa résurrection, il nous entrainera vers la vie sans fin et la béatitude éternelle.
Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors