Dimanche 12 Janvier 2025, cathédrale de Cahors.
– Homélie de Mgr Camiade
Mes frères,
En ce jour de fête du baptême de Jésus, nous pouvons contempler le Seigneur au Jourdain. Jean-Baptiste annonce la venue de celui qui est plus fort que lui… qui baptisera dans l’Esprit Saint et le feu (cf. Lc 3,16). Puis Jésus, quoi que plus fort que Jean, vient humblement se faire baptiser par Jean, au milieu de la foule, au milieu d’un peuple. Mais c’est là que se produit une révélation : l’Esprit Saint descend sur lui de manière visible, sous la forme d’une colombe et la voix du Père se fait entendre « tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie ». En se faisant baptiser, Jésus inaugure un nouveau genre de baptême qui n’est pas seulement un rite de purification comme l’était le baptême de Jean-Baptiste, mais une effusion du Saint-Esprit. Jésus va baptiser dans l’Esprit Saint et le feu.
Mais voilà, les évangiles ne mentionnent jamais que Jésus lui-même ait baptisé quiconque et les historiens disent le plus souvent cela, en s’appuyant notamment sur ce qui dit l’évangile de Jean : « À vrai dire, ce n’était pas Jésus en personne qui baptisait, mais ses disciples » (Jn 4,2). Le baptême chrétien, et c’est là toute sa force, est à la fois un acte spirituel de Jésus qui baptise dans l’Esprit et le feu et un acte concret des disciples de Jésus qui, à vrai dire, sont ceux qui baptisent, c’est-à-dire ceux qui posent le rite du baptême, versant de l’eau sur des gens et disant, depuis les débuts du christianisme, « je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », formule dont on trouve la trace déjà à la fin de l’Évangile selon saint Matthieu (cf. Mt 28,19).
Si nous avons été nous-mêmes baptisés, et la plupart d’entre nous l’avons été matériellement par un disciple de Jésus, nous le sommes donc spirituellement par Jésus lui-même. La question que nous pouvons alors nous poser, c’est : que signifie pour nous avoir reçu l’Esprit Saint ? Que signifie avoir été baptisés par Jésus « dans l’Esprit Saint et le feu » (Lc 3,16) comme l’annonçait Jean-Baptiste dans l’évangile de ce jour ?
Avoir reçu l’Esprit Saint, c’est certainement avoir la vie de Dieu en nous, être animés intérieurement par un souffle, un feu, une inspiration, un dynamisme. C’est une illumination. Cela veut dire qu’il y a des choses que nous pouvons connaître, comprendre et vivre qui sont plus fortes et plus puissantes que ce que nous pourrions seulement faire ou connaître par nos seules forces. Le premier don de l’Esprit Saint reçu au baptême, c’est la foi. On parle des trois vertus théologales, la foi, l’espérance et l’amour. Saint Paul, dans la lettre à Tite, entendue en seconde lecture, nous dit que « Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle » (Tt 3,7).
Il me semble que, une fois que nous avons bien pris conscience de l’action en nous de l’Esprit Saint, nous sommes exposés à deux tentations opposées.
La première tentation est de croire que tout ce que nous faisons, désormais, parce que nous sommes baptisés est forcément pur et bon, que l’Esprit Saint a fait de nous des super-héros incorruptibles. Il en découle que nous avons une responsabilité vis-à-vis de l’Esprit que nous avons reçu, la responsabilité de discerner les inspirations, les mouvements intérieurs de notre âme, ce qui se passe en nous. Car si nous avons bien reçus l’Esprit Saint, l’esprit mauvais du diable ne cesse jamais de chercher également à nous influencer. Et nous avons aussi notre nature propre, notre caractère, nos préférences personnelles, nos idées, qui ne sont pas forcément conformes à la volonté de Dieu et ne doivent pas être confondues avec les inspirations de l’Esprit Saint. Discerner est le mot clé pour ne pas tomber dans l’orgueil spirituel de se prendre pour superman ni pour superwoman. Cette tentation conduit d’ailleurs souvent à de graves désillusions. Même dans l’Église, parmi les communautés nouvelles, des fondateurs ou de grandes figures, un certain nombre ont idéalisé la grâce qui leur avait été donné, comme s’ils avaient confondu le don de l’Esprit Saint avec la mise en valeur de leur ego. Et ils ont fini par donner le contre-témoignage d’abus très graves, abus d’autorité ou abus sexuels, sur la base d’abus spirituels qui consistent à mystifier en faisant croire que tous ce que l’on fait serait forcément le fruit de l’Esprit Saint. Cela a été un grand aveuglement, et même un aveuglement collectif qui a duré jusqu’à ce que la parole des victimes soit enfin libérée. Cela dit, même à petite échelle, pour le chrétien lambda, la tentation existe de s’illusionner sur la vie de l’Esprit Saint en nous. Pour éviter cela, il faut prendre le temps du discernement et s’y exercer souvent. Il existe des critères, à commencer par les commandements de Dieu qui nous éclairent sur les limites les plus fondamentales entre le bien et le mal, puis, de façon plus fine, les signes donnés par la présence de l’Esprit Saint à l’œuvre qui produit la joie, la paix, la fraternité, la justice et la générosité. Pour vérifier cela, il est nécessaire de relire nos décisions et nos façons d’agir pour nous assurer d’être sur le bon chemin, sur le chemin de l’Esprit Saint. Nous devons souvent prier pour demander la grâce d’être dociles à l’Esprit Saint, la grâce du discernement. Cela prend des années aux chrétiens, s’ils s’exercent bien à ce discernement, pour sentir de plus en plus spontanément et intuitivement s’ils sont réellement dans la mouvance de l’Esprit de Dieu et non dans celle du diable ou de leur propre égo.
La seconde tentation, qui est la tentation inverse serait de douter de la puissance de cet Esprit Saint qui nous a été donné au baptême. Je crois que cette tentation est aujourd’hui très forte dans l’Église. Beaucoup se découragent ou perdent confiance dans la grâce de leur baptême. Nous devons lutter souvent contre cette tentation de perdre confiance. Il y a tant et tant de difficultés, de contradictions, de désillusions. Mais si Dieu a pris soin de manifester la présence de l’Esprit Saint sur Jésus quand il est sorti du baptême, avec l’apparition d’une colombe qui descend, n’est-ce pas justement pour nous encourager à y croire ? Nous encourager à croire que le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit est un acte de l’Église qui réellement nous assure d’avoir reçu l’Esprit Saint ? Et cela est vrai d’ailleurs de tous les sacrements de l’Église, comme l’Eucharistie ou le mariage. La force de l’Esprit Saint et son feu sont bien là. Je le dis parce qu’il y a aujourd’hui ici des couples qui se préparent au mariage, le sacrement du mariage est aussi un rite par lequel Jésus-Christ donne part à son Esprit pour avoir la force d’aimer davantage comme lui, de manière désintéressée et généreuse, et dans la joie. Le mariage va fortifier le lien entre vous et aussi faire en sorte que votre union soit le moyen de votre cheminement vers la sainteté. Vous pourrez devenir des saints, ce qui est la vocation que nous avons tous reçue au baptême, mais en étant mariés, votre mariage, votre famille sera le premier moyen de votre sainteté. Il existe quelques couples saints comme Joachim et Anne, parents de la Vierge Marie et, bien sûr, Marie et Joseph, mais aussi des couples ayant reçu le sacrement du mariage et qui ont été canonisés, comme Louis et Zélie Martin, les parents de sainte Thérèse de l’enfant Jésus, ou Luigi et Maria Beltrame Quattrochi. Ces exemples et ceux de beaucoup d’autres qui ne sont pas canonisés mais ont eu une vie exemplaire fortifiée par la grâce de leur mariage, montrent que l’Esprit Saint est bien à l’œuvre dans les sacrements de l’Église et nous pouvons lui faire confiance.
Chers frères et sœurs, avec humilité, discernement et confiance, rendons grâce à Dieu pour le don de son Esprit Saint, la foi, l’espérance et l’amour qu’il infuse et déploie en nous, la joie qui en découle et la vie éternelle qu’il nous promet et nous donne !
Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors